Les disparus d’Algérie ou la mémoire sélective
Par HÉLIE DE SAINT MARC.
On célèbre beaucoup le passé, aujourd’hui... On évoque, à tout moment, la mémoire.
On a raison. Le passé éclaire le présent qui tient entre ses mains l’essentiel de l’avenir... Tout se tient... Il faut croire à la force du passé, au poids des morts, au sang et à la mémoire des hommes.
Évoquons donc notre commune mémoire, mais à une condition... ne pas, dans le passé, occulter ce qui dérange. La mémoire sélective n’est plus la mémoire. Elle devient le mensonge. Le scandale n’est pas de dire la vérité... C’est de ne pas la dire toute entière.
Le Cercle algérianiste en publiant « Français d’Algérie disparus (1954-1963)- des familles témoignent » lors de son congrès d’octobre dernier à Perpignan a ouvert à nouveau un dossier cruel, terrible, volontairement écarté, occulté, celui des disparus d’Algérie.
À la fin de la guerre d’Algérie, avant et après les accords d’Évian, des milliers d’hommes et de femmes ont disparu, enlevés sans laisser de traces. Destins brisés, crucifiés, atomisés, dans une totale opacité... Drames terribles qui, pendant des décennies, ont laissé, dans des familles ou des communautés, des sillons d’angoisse, de souffrances, de larmes et de terribles interrogations sans réponse.
Des chiffres ? André Santini, secrétaire d’État aux Rapatriés, dans son entretien au Figaro-Magazine (27 mai 2000) parle de 25000 disparus. Les plus prudents de 4000... La vérité se situe vraisemblablement entre ces deux chiffres.
Ne rentrons pas dans de macabres calculs...
Simplement un ordre de grandeur : sachons que ramené à la population de notre métropole hexagonale, le nombre de disparus s’élèverait à 300000, en prenant la référence des disparus en Algérie par rapport à la population d’origine européenne.
La raison du silence concernant cette tragédie ? Tenter d’éviter la honte d’avoir à regarder en face ce qui fut, en réalité, une inqualifiable lâcheté. Ces hommes, ces femmes disparus ne furent ni véritablement protégés, ni véritablement recherchés. Sur le sol algérien, à l’époque, la France avait alors les moyens d’action ou de pression, pour les protéger ou pour les rechercher. Elle ne les a pas utilisés.
Telle est la terrible, la tragique, l’insoutenable vérité.
Certains demandent : « Pourquoi ouvrir à nouveau ce dossier ? ». Simplement pour remplir ce devoir de mémoire dont on nous parle tant... Pour appréhender la vérité, la regarder en face, la dire, la redire, la crier... Non par vengeance... Non par haine... Mais par respect... par respect en souvenir de ceux qui furent victimes de ce drame de lâcheté.
La vérité est naturellement, dans un monde de tricherie, la plus grande violence qui soit. Il faut affronter cette violence et remplir ce devoir de mémoire.
La vérité se construit pierre par pierre.
Hélie de Saint Marc
2004