Habités par un mélange de panique et d’illusion, les dirigeants européens continuent à refuser de voir le réel en avançant comme des somnambules. Il ne sera pas question ici de faire la liste des imbécillités qu’ils profèrent mais de pointer les désastreuses déclarations de l’ancienne chancelière allemande Angéla Merkel à propos des accords de Minsk. Désastreuses parce qu’elles vont avoir un impact considérable sur le rapport de force dans la guerre hybride globale qui oppose l’Occident au reste du monde. Merkel vient de reconnaître que les accords de Minsk, dont l’application aurait permis d’éviter la guerre en Ukraine et la tragédie pour son peuple, n’était dans son esprit qu’un chiffon de papier. Accords qu’elle avait parrainés, promus, et soutenus. Elle est venue tranquillement nous dire que tout cela était bidon, qu’il n’avait jamais été question de les appliquer, mais que c’était une manière de gagner du temps pour se préparer à faire la guerre à la Russie.
La genèse des accords de Minsk
En février 2014, des manifestations populaires contre la corruption se sont déclenchées à Kiev, capitale de l’Ukraine. Une partie des manifestants protestait contre le fait que le président Ianoukovitch venait de renoncer à la signature d’un accord avec l’Union européenne au profit d’un partenariat économique avec la Russie. Depuis la chute de l’URSS, des pays de l’ancienne union, l’Ukraine était le plus arriéré économiquement et le plus corrompu. Profitant de l’occasion, les États-Unis, par l’intermédiaire de Victoria Nuland et de la CIA, ont organisé un violent coup d’État et déposé le président légitime, au profit de ses relais dans le pays, Oleksandr Tourtchynov et Arseni Iatseniouk, avant d’organiser une élection truquée portant au pouvoir Petro Porochenko, un oligarque qui résidait jusqu’alors aux États-Unis.
On connaît la suite : les protestations des populations russophones du Donbass s’opposant au coup d’État et faisant l’objet d’une répression sanglante de la part de groupes néonazis, dont le point d’orgue fut l’atroce massacre de la maison des syndicats d’Odessa. Le pays bascula alors dans la guerre civile avec la création des deux républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk.
Le 5 septembre 2014, un premier « accord de Minsk » fut négocié et signé pour faire cesser la guerre du Donbass. Le cessez-le-feu ne dura que quelques semaines et les armées des républiques séparatistes issues des unités russophones de l’armée ukrainienne reprirent leur progression.
Le 12 février 2015, sous le parrainage de François Hollande et Angela Merkel et en leur présence, fut signé à Minsk, en Biélorussie, un nouveau plan de paix prévoyant un règlement global. Signé par Petro Porochenko, président de l’Ukraine, et Vladimir Poutine, président russe, un nouvel accord de cessez-le-feu (Minsk II) prévoyant l’arrêt des combats, contre l’engagement des différentes parties sur une feuille de route de treize points. L’accord « Minsk II » reste la référence pour résoudre le conflit de façon durable et sera au centre de toutes les discussions diplomatiques pendant six ans. Le document a été également paraphé par le représentant du pouvoir de Kiev, l’envoyée spéciale de l’OSCE, un représentant russe et les présidents des républiques séparatistes Alexandre Zakhartchenko et Igor Plotnitsky. Il faut rappeler également la résolution du conseil de sécurité de l’ONU du 17 février 2015 demandant « aux parties d’appliquer pleinement les mesures adoptées à Minsk ».
Dans les faits, le gouvernement ukrainien n’a jamais voulu appliquer ces accords, et en particulier prendre l’initiative de la réforme constitutionnelle permettant d’accorder l’autonomie administrative du Donbass telle qu’elle était prévue par le texte. Volodymyr Zelensky, qui avait fait sa campagne électorale en prenant l’engagement d’appliquer « Minsk II » fut élu en avril 2019 avec 73 % des voix. Il renonça rapidement à cette promesse.
Échec, reprise de la guerre civile et invasion russe
Finalement malgré le parrainage occidental avec l’engagement de la parole de la France et de l’Allemagne, ces accords ne furent jamais appliqués, chacune des parties rejetant la responsabilité sur l’autre, et la guerre civile plus ou moins larvée s’est poursuivie, pendant que les États-Unis, sous la direction personnelle de Joe Biden (alors vice-président), mettaient la main sur l’Ukraine. En particulier par l’intermédiaire de l’OTAN, qui prenait en charge la réorganisation à ses standards de l’armée ukrainienne. Dans ces conditions, la volonté occidentale d’intégration de l’Ukraine à l’OTAN restait entière, demandée avec insistance par les autorités de Kiev et présentée par les Occidentaux comme légitime. Ce qui constituait pour la Russie un point non négociable s’est transformé en « casus belli » lorsque les demandes russes de la mise en place écrite d’un système de sécurité en Europe centrale ont été rejetées par les États-Unis et que l’Ukraine a recommencé début février des bombardements d’artillerie massifs sur le Donbass. L’invasion russe commencée le 24 février est un événement historique d’une portée considérable. Au-delà du théâtre des opérations militaires en Ukraine, on assiste à un affrontement politique économique, diplomatique, culturel et géostratégique qui oppose « l’Occident collectif » au reste du monde. Mais depuis bientôt dix mois, une véritable guerre de haute intensité se déroule sur le terrain, qui confronte le peuple ukrainien à une terrible tragédie. L’armée de Kiev, équipée par l’OTAN, subit des pertes militaires effrayantes et les civils sont confrontés au froid et à la faim par la destruction des infrastructures « critiques » du pays.
Se pose alors la question essentielle : l’application des accords de Minsk aurait-elle permis d’éviter cette guerre ? D’éviter les dizaines de milliers de morts de soldats ukrainiens ? Permis aux civils d’Ukraine de vivre dans des maisons chauffées et éclairées ? D’éviter à l’UE de précipiter la catastrophe économique avec ses sanctions imbéciles ? C’est probable, et par conséquent, la question de la responsabilité de l’échec de ces accords est essentielle. Et ceux sur qui elle repose devraient normalement en répondre.
Comprenons-nous bien, il n’est pas question ici d’absoudre la Russie de ses responsabilités dans ce qui s’est produit. Mais s’il existait une solution diplomatique approuvée par tous, comment se fait-il qu’elle ait abouti à un échec de cette envergure ? Madame Angela Merkel, chancelière de l’Allemagne à ce moment-là, vient de faire des aveux sidérants sur les intentions et la duplicité des Occidentaux au moment de la signature des accords et, ensuite, dans leur mise en œuvre.
Les véritables intentions occidentales
Auparavant, nous avions eu l’aveu de l’ancien président Porochenko, pourtant également signataire des accords, sur le fait qu’il avait menti sans jamais avoir eu l’intention de respecter sa parole. Alors qu’il avait déclaré au journal Le Monde le 6 juin 2015 que : « Les accords de Minsk sont notre seule solution », il a accordé le 15 juin 2022 un entretien à plusieurs médias – dont Radio Svoboda (filiale de la station Radio Free Europe, financée par le Congrès des États-Unis). Il y a avoué tranquillement ce qu’avait été sa manœuvre : « Nous avons réalisé la mise en œuvre de ce que nous voulions […] notre tâche était, tout d’abord, d’écarter la menace ou au moins de reporter la guerre avec la Russie. De nous assurer huit années pour pouvoir rétablir la croissance économique et renforcer les forces armées. C’était la première tâche, et elle a été accomplie ».
Il y avait eu aussi les déclarations, en mars 2019, d’Alexey Arestovich, le gourou bizarre de Zelenski, quelques jours avant l’élection de son poulain qui pourtant s’était engagé à appliquer les accords de Minsk. Il annonçait tranquillement dans une vidéo le déclenchement de la guerre pour deux ans plus tard.
Le problème est que cette duplicité, avouée aujourd’hui sans fard, était partagée par ceux qui furent les parrains de ces accords et s’étaient engagés à faire tous leurs efforts pour qu’ils soient appliqués. Angela Merkel a donné plusieurs entretiens, et en particulier celui accordé au quotidien allemand Die Zeit, dans lequel elle dit textuellement : « Je pensais que le lancement de l’adhésion à l’OTAN de l’Ukraine et de la Géorgie discuté en 2008 était une erreur. Les pays ne disposaient pas encore des conditions préalables nécessaires pour cela […] L’accord de Minsk de 2014 était une tentative de donner du temps à l’Ukraine. Elle a bien utilisé ce temps pour se renforcer, comme on peut le voir aujourd’hui. L’Ukraine de 2014-2015 n’est pas l’Ukraine d’aujourd’hui. Comme vous l’avez vu lors de la bataille pour Debaltseve (ville ferroviaire du Donbass, Oblast de Donetsk, théâtre d’une importante bataille de la guerre civile) au début de 2015, Poutine aurait pu facilement les envahir à l’époque. Et je doute fort que les pays de l’OTAN aient pu faire autant à l’époque qu’ils le font maintenant pour aider l’Ukraine. » La chancelière nous dit ainsi clairement à quoi servait la signature des accords de Minsk. Pas à mettre en place une solution pour ramener la paix et aller vers un système de sécurité collective, mais à donner du temps à l’Ukraine pour créer les conditions de son adhésion à l’OTAN et pour encaisser une guerre avec la Russie !
Concernant François Hollande, l’autre parrain des accords, celui-ci ne s’est pas exprimé, mais des témoins peu suspects de sympathies pro-ukrainiennes disent que lui au moins était de bonne foi, quoique inefficace. Emmanuel Macron, son successeur, a quant à lui fait la démonstration calamiteuse de son incompétence, et par conséquent de sa totale inefficience à simplement tenter de sauver ce qui pouvait l’être. Après avoir dit que la solution se trouvait dans une troisième version des accords, il s’en est ouvert auprès de Vladimir Poutine. Comme il a trouvé intelligent de se mettre en scène (en violant tous les usages), et de diffuser (!) son entretien téléphonique avec le président russe, on a pu constater que ses carences diplomatiques et juridiques étaient absolument criantes. La conversation démontra qu’il n’avait pas lu les accords de Minsk, n’en connaissait pas le contenu et, ce qui est pire, qui en étaient les signataires. On imagine l’effet en Russie, mais aussi dans le reste du monde, de cette guignolade.
Poutine, quant à lui, aurait récemment déclaré à un groupe de mères de soldats : « Avec le recul, nous sommes tous intelligents, bien sûr, mais nous pensions que nous parviendrions à nous entendre, et Louhansk et Donetsk seraient en mesure de se réunifier avec l’Ukraine d’une manière ou d’une autre dans le cadre des accords – les accords de Minsk… Nous avancions sincèrement vers cela. » On n’est pas obligé de souscrire à sa bonne foi, mais au moins le président russe garde sa dignité.
L’attitude de l’Occident collectif depuis l’invasion russe est caractérisée par une étonnante capacité à se tirer des obus de mortier dans les pieds, en détruisant la confiance minimale dont ont besoin les relations internationales. Comme avec la saisie des avoirs financiers russes, saisie qui a probablement signé la fin du statut de monnaie de réserve du dollar et de l’euro. Maintenant, ce sont des traités et les accords qui sont considérés comme autant de chiffons de papier. Pourquoi désormais en Russie, en Chine, en Iran, au Moyen-Orient en Afrique ou en Amérique du Sud quelqu’un prendrait-il la peine de négocier à nouveau avec des gens qui trichent ? Est-ce cela que l’Occident collectif appelle « l’ordre international selon les règles » ?
Comme d’habitude, la presse occidentale et la française en particulier a passé tout ceci sous silence, préférant donner la parole à des « experts » militaires ineptes et des mégères ukrainiennes de plateau pour qu’ils exhalent leur racisme anti russe décomplexé. En revanche, dans le reste du monde l’information a produit le désastre géopolitique que l’on peut imaginer.
Angela Merkel vient de confirmer à l’opinion russe et au monde, que la guerre à la Russie était la seule option que l’Occident n’ait jamais envisagée.
Nous risquons de le payer très cher.
Régis de Castelnau