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Grèves : Macron en sortira-t-il affaibli ?

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
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Par Michel Wieviorka1

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Un article de The Conversation

La puissante mobilisation sociale initiée le 5 décembre 2019 revêt l’allure d’un face à face avec le pouvoir politique – elle ne se passe pas beaucoup au sein des entreprises, face aux directions.

Elle pose, comme tant d’autres mouvements dans le monde aujourd’hui, une question décisive : quelle peut être la sortie d’une telle situation, sans médiation ni débouché institutionnel évident ? Une éventuelle négociation pourra-t-elle régler les problèmes en profondeur ?

Pour examiner une telle question sur le fond, il faut d’abord avoir une idée claire des acteurs en présence, et des enjeux du conflit.

Acteurs et enjeux

Le mouvement est parti d’une initiative syndicale, à la RATP, où il a été décidé notamment de la date du 5 décembre pour lancer une grève.

Mais si elle est à bien des égards organisée par des syndicats, la mobilisation témoigne surtout d’une tendance à la radicalité, et s’il s’agit de la CGT, à l’autonomisation plus ou moins rageuse de la base qui, depuis plusieurs années, menace en permanence d’échapper au contrôle de l’appareil.

La tension est grande entre radicalisation et réformisme négociateur, incarné avant tout par la CFDT. Ce qui ne facilitera pas d’éventuelles négociations : le fait même de ne pas être dans le « tout ou rien » est suspect aux yeux de tous ceux qui sont portés par des logiques de rupture, de désespoir ou de colère.

En 1995 , certains commentateurs avaient parlé d’un mouvement « par procuration », pour désigner un soutien massif de la population qui, sans participer aux manifestations ni se mettre en grève, se reconnaissait dans la lutte contre le plan Juppé et le contrat de plan de la SNCF.

Ici, la situation est beaucoup plus complexe. La mobilisation du 5 décembre a été précédée, à quelques jours d’intervalle, par celle des personnels de la santé publique , très suivie et soutenue par la population, et par celle des étudiants, moins suivie, dénonçant la précarité dans laquelle ils se trouvent.

Le mouvement a aussi été précédé, pendant plus d’un an, par l’action des Gilets jaunes , qui se sont longtemps tenus à distance des syndicats, de façon plus ou moins hostile, mais dont certains aujourd’hui rejoignent leur lutte.

Le refus de tout leadership, de toute structuration, et les modes d’action des Gilets jaunes, occupations de ronds-points, manifestations, et violences, usages des réseaux sociaux et d’Internet, ne laissent certainement pas les manifestants et grévistes d’aujourd’hui indifférents.

Black blocs, ressentiment et effet Macron

Par ailleurs, la radicalité, le spectre ou la réalité de la présence des black blocs , la haine, le ressentiment n’existaient pas en 1995, ou bien peu ; ils font clairement partie du paysage aujourd’hui.

Et plus largement, la mobilisation actuelle, au-delà des revendications sociales, comporte de forts affects profondément négatifs à l’encontre du chef de l’État , un désir de le voir abandonner le pouvoir, qui était déjà porté par les Gilets jaunes.

Les sentiments de la population, tels que les révèlent les sondages d’opinion , sont, plus généralement ambivalents : au début, en tout cas, d’une part, soutien à la mobilisation, et d’autre part, accord pour le principe général de la réforme proposée par le pouvoir, le tout surdéterminé chez certains par le rejet haineux d’Emmanuel Macron.

En 1995, Alain Juppé avait finalement reculé, sinon sur la Sécurité sociale (sa réforme était passée), du moins sur les retraites. Mais Jacques Chirac , en tant que Président, n’avait pas été mis personnellement en difficulté majeure à la suite de cet épisode. Et la CGT était plus puissante, encore articulée à un Parti communiste pas au bout de son déclin historique. Il n’y avait pas non plus les tensions majeures entre la base et l’appareil qui se sont développées ces dernières années.

Distance par rapport au pouvoir

En un quart de siècle, la distance de la population par rapport au pouvoir s’est accentuée, et les appareils syndicaux semblent moins capables d’accepter, comme disait Maurice Thorez en 1936, de « terminer une grève ».

Cela ne veut pas dire que le mouvement durera longtemps – l’appui populaire est plus radical, anti-Macron, mais rien ne dit qu’il restera massif. Et peut-être que sauf recul net du pouvoir, la mobilisation retombera en laissant subsister des formes d’actions plus ou moins violentes, en tous cas rageuses, et une immense amertume chez tous ceux qui rentreront dans le rang avec le sentiment d’avoir perdu.

N’oublions pas qu’après les accords de Grenelle , en 1968, la retombée du mouvement et la déception en milieu ouvrier et chez des acteurs plus ou moins politisés ont alimenté pendant plusieurs années une forte agitation sociale, échappant aux syndicats, et capitalisée, voire alimentée par un gauchisme très actif dans les entreprises, notamment « maoïste ».

Du côté du pouvoir, la situation est également moins propice qu’en d’autres temps à une solution durable. Même s’il parvient à sauver au moins en partie sa réforme, il n’aura pas renforcé sa position politique, il continuera à rester sans relais ni médiation dans son rapport à la population, il devra continuer à affronter le ressentiment et la colère.

Le pouvoir n’a pas su trouver le positionnement qui lui aurait permis de bénéficier d’emblée d’un appui clair de la CFDT. Au contraire, celle-ci, en principe favorable à la réforme du système des retraites à laquelle pensait le gouvernement, s’est retrouvée en position délicate, déséquilibrée, au point que la CFDT–Rail est entrée dans la grève de la SNCF.

Le jeu des extrêmes

Ce sont les extrêmes qui semblent bénéficier finalement de la phase actuelle de contestation sociale. La France Insoumise et Jean‑Luc Mélenchon se présentent comme l’opérateur politique de la colère sociale, ce qui pourrait se traduire par une légère amélioration d’image dans l’opinion.

Et surtout, le Rassemblement national tient un discours social favorable aux grévistes et marque des points dans l’opinion en surfant sur la vague du rejet d’Emmanuel Macron. Il avance sur deux jambes, celle-ci, sociale, qui est à l’ordre du jour, l’autre, nationaliste, raciste, anti-immigrés et anti-migrants, qui est son fonds de commerce habituel. Ses difficultés judiciaires font tache, mais en se présentant comme le champion des petites gens, et celui de l’ordre en imputant les éventuelles violences au gouvernement et à sa police, le RN sort plutôt renforcé de la séquence actuelle.

Si cette analyse est juste, alors, la conclusion est claire : quel que soit l’aboutissement de la protestation présente, la capacité d’action politique du chef de l’État sera plus vraisemblablement affaiblie, sans que pour autant soient apparus ou se soient renforcés des acteurs sociaux et politiques susceptibles de construire le tissu de médiation, de débats, d’organisations ou d’institutions qui permettraient de redonner vie à la démocratie.

Où est le problème ? Dans la société ? Dans le système politique ? Dans leur relation ?

La société est tiraillée par des forces qui la fragmentent, comme l’explique Jérôme Fourquet dans son livre, L’archipel français . Elle est aussi susceptible de moments ou de formes de fusion entre le populisme de gauche ou de droite. Elle peut dès lors être dans une logique de fusion des luttes sans contenu commun.

En réalité, le système politique est décomposé : deux extrêmes populistes et un centre ; une gauche et une droite qui sont déchirées.

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Sur le web -Article publié sous licence Creative Commons

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Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH) – USPC. ↩

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