Par Nathalie MP Meyer.
Belle journée que le 18 juin pour les libertés publiques en France !
Hasard du calendrier, certes, mais la loi Avia contre la haine sur internet ayant été soumise à la moulinette du Conseil constitutionnel le 18 mai 2020 par des sénateurs emmenés par Bruno Retailleau (LR), c’est un mois plus tard, soit 80 ans jour pour jour après l’appel du général de Gaulle enjoignant aux Français de résister à l’oppression que les membres du Conseil ont lourdement dépecé cette loi déjà dénoncée pendant tout son parcours législatif comme extrêmement dangereuse pour la liberté d’expression.
Aucun juge, l’administration aux commandes
Comme souvent, tout avait commencé par les meilleures intentions du monde : la haine ne passerait plus par internet et le monde virtuel serait enfin tout beau et tout gentil ! Les propos haineux, les apologies de la violence et de la discrimination, le non-respect des lois mémorielles, les invectives racistes, homophobes, sexistes, etc. – tous ces contenus que d’aucuns se croyaient autorisés à pondre derrière l’anonymat de leur écran allaient enfin disparaître des réseaux sociaux !
Concrètement, la loi Avia s’articulait autour de deux grandes mesures inscrites dès son article premier : Contenus à caractère terroriste ou pédopornographique : l’administration pouvait demander aux plateformes en ligne de les retirer dans un délai d’une heure, faute de quoi elles encouraient une peine d’un an de prison et 250 000 euros d’amende. Contenus à caractère haineux ou sexuel : les plateformes en ligne devaient les retirer ou les rendre inaccessibles dans les 24 heures sur simple signalement d’une personne ayant simplement donné son nom et les raisons qui rendaient selon elle ce contenu illicite au regard de la loi Avia. Là encore, des sanctions pénales à l’encontre des plateformes étaient prévues en cas de manquement à cette obligation.
Dans les deux cas, aucun juge à l’horizon pour rendre une décision de justice à charge et à décharge ; seulement l’administration, qui est censée appliquer les décisions du pouvoir en place et lui en rendre compte, ce qui n’est jamais bon pour échapper à l’arbitraire et au discrétionnaire de décisions purement politiques ; ou alors seulement les signalements de particuliers dont il y a tout lieu de craindre qu’ils pourraient devenir extrêmement vagues et nombreux compte tenu des faibles conditions requises.
La haine n’est pas une notion juridique
Second problème, et de taille, la haine n’est pas une notion juridique. Elle n’est définie par aucun texte qui permettrait de savoir où s’arrête la liberté d’expression et où commence la haine selon la loi Avia. Il est vrai que cette dernière donnait une liste assez vaste de tout ce qui tombait sous le coup de ses interdictions.
Mais prenons le cas de la discrimination religieuse, par exemple. Lorsqu’en début d’année, la jeune Mila tenait sur Instagram les propos ci-dessous :
« Je déteste la religion […], le Coran, il n’y a que de la haine là-dedans, l’Islam, c’est de la merde, c’est ce que je pense. […] Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir »
propos qui lui ont valu harcèlement, menaces de mort et toute la bêtise idéologique de la garde des Sceaux, était-elle dans la haine « façon Avia » ou faisait-elle simplement usage de sa liberté d’expression ?
Pour rendre sa décision de non conformité avec la Constitution, le Conseil constitutionnel s’est appuyé sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC , 1789) :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Actant d’abord que l’évolution des technologies et des pratiques de communication rend les plateformes d’expression et de débat en ligne parfaitement éligibles au droit défini dans cet article, les Sages soulignent ensuite que le législateur a toute compétence pour réprimer les abus de la liberté d’expression – ce que la loi Avia se flattait de faire eu égard aux contenus à caractère terroriste, pédopornographique, haineux ou sexuel.
Mais le Conseil constitutionnel insiste également sur le fait que la réponse envers les abus en question doit être « adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi », faute de quoi elle porte une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d’expression et de communication.
C’est précisément là que rien ne va plus dans la loi Avia.
La loi Avia et son atteinte à la liberté d’expression
Dans le cas des contenus pédopornographiques ou d’apologie du terrorisme, l’atteinte à la liberté d’expression est constituée par le fait que l’administration devient seul juge du caractère licite ou illicite des propos ainsi que par le minuscule délai d’une heure laissé aux plateformes pour retirer les contenus incriminés.
Dans le cas des contenus haineux ou à caractère sexuel, le court délai de 24 heures associé aux peines encourues et au fait que n’importe qui puisse opérer un signalement sans aucune confrontation judiciaire risque de pousser les plateformes à retirer tous les contenus signalés sans prendre le temps de vérifier précisément leur caractère effectivement illicite. D’où une nouvelle atteinte évidente à la liberté d’expression.
Si le Conseil constitutionnel qualifie sa décision de « non-conformité partielle », c’est en réalité toute la loi Avia qui s’effondre car la censure de son article premier entraîne tout le reste qui n’en était qu’une série de modalités particulières.
Madame Avia ne s’avoue pas vaincue pour autant dans son « combat de longue haleine contre les discours de haine sur internet ». Elle a d’ailleurs immédiatement relancé l’idée de la création de deux nouveaux « bidules » à coup sûr citoyens et solidaires : l’observatoire de la haine en ligne et le parquet judiciaire spécialisé.
Mais pour l’instant, sa loi contre la haine en ligne est retoquée pour non constitutionnalité et je m’en réjouis. Ce qui est très plaisant dans cette affaire, c’est de penser que nous avons des institutions qui font leur travail et, surtout, que nous vivons sous le régime d’une Constitution qui est encore capable de garantir effectivement nos libertés publiques.
Malheureusement, ainsi que je l’écrivais il y a environ un an, nombreux sont les partis, les factions, les groupes d’opinion qui tentent de faire prévaloir leur point de vue en essayant de le forcer au sein de la Constitution.
Après le principe de précaution sanctuarisé par Jacques Chirac dans la Charte de l’environnement intégrée au bloc de constitutionnalité, le gouvernement actuel souhaite y inscrire l’impératif écologique. On assiste aussi à des tractations pour y faire figurer le droit à l’avortement, tandis que d’autres pensent aux racines chrétiennes de la France et d’autres au droit des animaux, voire au droit des arbres .
La Constitution a beau être le texte fondamental de notre République, celui qui, trônant au sommet de la hiérarchie des normes, est censé limiter les pouvoirs des gouvernants et définir les rapports entre les gouvernants et les gouvernés afin de garantir à chaque citoyen que ses droits naturels seront protégés, elle n’en est pas moins l’enjeu ultime de tous les constructivismes idéologiques.
Cette fâcheuse tendance revient à vouloir graver dans le marbre l’état de la science, de la culture, de l’histoire ou de l’opinion. Une tendance contre laquelle il nous faut résister de toute nos forces, faute de quoi le Conseil constitutionnel n’aura plus, à l’avenir, qu’à admettre que toute nouvelle loi, aussi réductrice et privatrice de liberté soit-elle, est parfaitement constitutionnelle.
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