L’extrême gauche en France fait régulièrement parler d’elle, que ce soit assez systématiquement lors des manifestations, ou plus sporadiquement, comme dernièrement lorsque de jeunes militants des « jeunes avec Macron » ont été pris à partie sur le campus de l’université de Nanterre alors qu’ils distribuaient des tracts aux étudiants.
Bon, me direz-vous, mais que pouvaient bien faire de jeunes bourgeois dans le quartier général de l’autogestion et des éternels étudiants en deuxième année de sociologie ? C’est à peu près aussi incongru que de voir un képi entre deux barres de HLM, ou une jeune fille seins nus dans la rue. Si ce n’est pas pour chercher des ennuis, si ce n’est pas de la provocation, on se demande ce que c’est…
Bon, peut-être. Mais l’idée même de provocation, de renverser la table, de bousculer l’ordre établi, du grand soir et de la révolution… ça ne serait pas des idées de gauche par hasard ?
Un rapport ambigu avec la violence
La gauche a toujours été tiraillée entre pacifisme et violence, entre Gandhi et Che Guevara , entre Jaurès et Trotsky. Ce n’est pas nouveau.
Mais ce qui est nouveau, c’est que la gauche woodstock semble bien avoir définitivement abdiqué face à la gauche Evergreen . La vague radicale née aux États-Unis s’est immédiatement propagée en France, pays champion de l’antiaméricanisme primaire : woke, antifa, black blocs … Rien que des dénominations bien franchouillardes qui, bizarrement, ne sont pas soumises à l’impératif d’écriture inclusive.
Parler de gauche et de droite est toujours très compliqué pour un libéral qui considère que chaque individu est à la fois unique et totalement libre de ses opinions. Les stéréotypes, les partis, les classes et autres cases sont des concepts que la pensée libérale rejette par principe : chaque individu est différent, et tout étiquetage porte déjà en lui-même les prémisses d’une servitude.
Les extrêmes, encore plus que les autres partis politiques, refusent cette liberté. Leur existence repose sur le besoin de séparer les bons des mauvais, et de faire s’affronter les uns contre les autres : qu’ils vénèrent le déterminisme, comme l’extrême droite, ou qu’ils prétendent ne pas s’y soumettre, comme l’extrême gauche, leur vision du monde exclut les individus pour se concentrer sur la couleur de peau , la nationalité, la culture, la richesse, la religion, l’origine familiale…
D’où l’idée d’un monde en perpétuelle lutte, où la violence serait à la fois déplorable et nécessaire.
Partisan, pour ne pas dire sectaire
Dès que l’on considère la société comme une construction politique, aux commandes de laquelle on aspire de prendre les rênes, par ambition ou par besoin de reconnaissance, il devient nécessaire de choisir un camp.
Une fois ce choix partisan opéré, les partisans du camp d’en face deviennent immédiatement des monstres, des ennemis à abattre. Tout chez eux devient méprisable : leurs idées bien sûr, mais jusqu’aux détails vestimentaires ou la coupe de cheveux. Ce qu’ils mangent, ce qu’ils regardent à la télé, les livres qu’ils lisent, les sports qu’ils aiment regarder.
La moindre spécificité chez l’autre devient de gauche ou de droite, selon le camp dans lequel on se trouve.
Un basculement sociologique
D’autant plus compliqué que, pour reprendre le prisme de décodage gauchiste préféré, et adopter un point de vue sociologique, c’est bien dans la classe moyenne supérieure que l’on trouve les prétendants révolutionnaires d’aujourd’hui, les ouvriers et les ruraux ayant entamé depuis les années 1980 une lente mais inexorable émigration, et ont déserté les rangs des partis, des syndicats et diverses autres cellules militantes de la gauche d’antan.
Pour ceux qui auraient raté le match à la télé : la gauche a gagné en 1981 . Et comme partout à chaque fois que la gauche gagne, elle s’est installée et hâtée de remplacer l’ordre bourgeois pour installer le sien, en prenant possession de tout ce qui pouvait et devait être occupé : universités, médias, agences de communication, justice, immobilier, culture, mode, fonction publique…
La France qui pense et qui s’affiche est de gauche.
Non pas parce qu’il y a une quelconque demande populaire ou un mouvement profond, mais tout simplement parce que la distribution des privilèges et la compétition de cour sont le mode de fonctionnement profond de ce pays, et que les révolutions qui s’y sont succédé n’ont finalement constitué qu’à remplacer les personnes occupant les grands appartements des beaux quartiers.
Une énième aristocratie
La France d’aujourd’hui est de gauche, parce que la gauche a pris le pouvoir il y a quelques années et a hissé son étendard sur tous les frontons.
Se dire de gauche, c’est le code vestimentaire qu’il faut porter pour afficher son appartenance à l’aristocratie et montrer que l’on tient un rôle actif dans cette grande entreprise de répartition du pouvoir qui a été théorisée sous le nom de révolution.
Dans cette gauche bourgeoise , capitaliste, réactionnaire, bigote, riche, privilégiée , arrogante, sectaire, qui occupe tous les rouages du pouvoir et des images, il devient très difficile de se différencier. Les places sont chères, et il est indispensable de se faire remarquer. L’affichage décomplexé de sa différence et de sa rébellion est le chapeau indispensable du costume gauchiste. Se faire remarquer, monter son ego en haut d’un étendard pour attirer l’attention et sentir qu’on existe par le regard des autres, c’est indispensable, encore plus que de boire et de manger, autant pour soi que pour exister parmi les autres.
Les excès verbaux de Sandrine Rousseau , Mathilde Panot ou de Jean-Luc Mélenchon procèdent de la même logique que ceux des divers groupuscules et collectifs plus ou moins violents et plus ou moins ridicules qui défraient régulièrement la chronique, uniquement parce qu’ils sont certains de bénéficier d’une exposition médiatique acquise et automatique.
Non seulement il faut se faire remarquer pour exister, mais il faut également faire oublier par tous les moyens que l’aristocratie, la bourgeoisie et le clergé de notre temps sont aux mains de ceux qui revendiquent l’élimination des privilèges et des classes sociales. La surenchère permet de maintenir le mensonge hypocrite d’une gauche antisystème dont les membres vivent et prospèrent allégrement de ce même système. Prendre la main sur la révolution est le meilleur moyen de s’assurer que celle-ci n’arrivera jamais et de protéger ce système que l’on dit combattre mais qui vous nourrit.
Faire du bruit pour exister
La violence des groupuscules d’extrême gauche d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celles de Ravachol ou des Brigades rouges. Cette violence n’existe que si elle peut se montrer, n’existe que pour se montrer.
L’extrême gauche actuelle n’agit pas dans la clandestinité, mais dans la lumière des projecteurs. Elle instrumentalise la violence bien plus qu’elle ne l’exerce. Elle crée le chaos, mais un chaos très limité, très maîtrisé, en faisant très attention de ne jamais franchir la ligne qui la transformerait immédiatement de martyr pleurnicheur en monstre sanguinaire.
Cette violence n’a de consistance que pour jouir du plaisir de croire en son existence.
Un moyen pour verrouiller le pouvoir
Mais en dehors de la reconnaissance égotique que peuvent en tirer ses protagonistes qui est sa raison primaire, elle procède également d’une motivation plus politique : celle d’interdire toute évolution dans le système actuel.
L’extrême gauche française n’a absolument aucune ambition à changer les choses, bien au contraire et on l’a bien vu que ce soit lors du mouvement des Gilets jaunes ou de la contestation contre la réforme des retraites : son objectif principal est de monopoliser toute contestation et de tuer ainsi dans l’œuf toute tentative qui viserait à déstabiliser les privilèges acquis par les gardiens de ces révolutions en série qui ont secoué l’histoire de France, et qui ont débouché sur la courante version aristocratique et monarchique de la République actuelle.
Des révolutionnaires en peau de lapin
Clairement, vu la facilité dans la France de 2023 pour se procurer des armes, des drones, des éléments de surveillance, ou n’importe quoi d’autre qui permettrait d’armer une révolution, si l’extrême gauche avait réellement la volonté de mettre en œuvre la violence qu’elle met en scène régulièrement, cela fait très longtemps que le pays aurait basculé dans un gigantesque bain de sang.
Peut-être a-t-elle cru qu’en s’attirant les bonnes grâces des minorités périphériques elle pourrait se flanquer d’une force armée qui prendrait les coups à sa place ? La façon dont les émeutiers du début de l’été se sont tous immédiatement mis au garde-à-vous quand un obscur signal a sifflé la fin de la récréation prouve que leur alliance avec les banlieues n’existe que dans les fantasmes de ces révolutionnaires de salon.
Le grand soir gauchiste n’est pas pour demain. Si révolution il y a, ce sera pour virer du pouvoir cette nième aristocratie qui se gave de privilèges et d’argent public en déversant en flot continu ses fantasmes pervers et ses élucubrations millénaristes afin de faire taire toute contestation.
Il avait fallu deux millénaires à l’aristocratie de l’Ancien Régime pour émerger. Et même après tout ce temps à accumuler pouvoirs et richesses, elle a été incapable de conserver ses privilèges, et tout son cirque de codes et de paraître s’est effondré en quelques mois.