Par Fabio Rafael Fiallo.
La campagne électorale en vue des élections de mi-mandat qui auront lieu le 6 novembre aux États-Unis se déroule sous le signe d’une polarisation rampante. Les modérés des deux grands partis politiques de ce pays (Parti démocrate et Parti républicain) se voient en effet fortement concurrencés par les tenants d’une ligne dure (extrémiste ou populiste ) au sein de leurs organisations respectives.
Un exemple de la tendance en cours a trait aux résultats des primaires qui ont été organisées dans l’État de Floride pour l’élection du poste de gouverneur. (Il convient de rappeler l’importance de la Floride, le plus peuplé de ce qu’on appelle les swing states , c’est-à-dire le groupe des États qui ne sont acquis d’avance à aucun des deux partis et qui font pencher la balance dans les élections présidentielles.)
La polarisation des débats
Côté démocrate, le vainqueur de ces primaires en dépit de sondages qui lui avaient été défavorables fut Andrew Gillum , classé à la gauche de la gauche et soutenu par Bernie Sanders, le chef de file au niveau national de cette gauche pure et dure.
La polarisation n’en était pas moins présente dans les primaires organisées par le Parti républicain dans ce même État. Ron DeSantis , un des tenants de la droite populiste et appuyé par Donald Trump, parvint aisément à battre le candidat de l’aile modérée de son parti.
Gillum et DeSantis ne sont pas les seules personnalités politiques jugées radicales ou populistes à s’être imposées dans les primaires cette année. Il convient de mentionner le cas d’Alexandria Ocasio-Cortez et de Rashida Tlaib, qui, brandissant des prises de position ouvertement pro-socialistes, réussirent à devenir candidates du Parti démocrate au Congrès des États-Unis.
Ajoutons à cela la victoire de sept candidats anti-establishment dans les primaires démocrates pour le sénat de l’État de New York , ce qui aura accru l’espoir de la gauche radicale de peser de tout son poids dans les orientations du Parti démocrate dans la période à venir.
Pour autant, la gauche radicale est loin d’avoir la mainmise sur le Parti démocrate . Parmi les 41 candidats soutenus par le Congressional Democratic Campaign Committee (institution pro-establishment au sein du Parti démocrate), 39 réussirent à gagner les primaires de ce parti face à des candidats « progressistes » (c’est-à-dire situés à la gauche de la gauche).
Gauchisation des discours
Il n’en demeure pas moins que, pour remporter les primaires démocrates face aux progressistes, les candidats modérés ont souvent été obligés de gauchiser leur discours. Tel fut le cas du gouverneur de l’État de New York Andrew Cuomo , qui parvint à battre la progressiste Cynthia Nixon mais seulement après avoir pioché dans le programme de la gauche radicale.
Le poids de l’aile radicale (populiste) se fait sentir encore également du côté républicain, où les candidats ralliés au président Trump ont aisément battu des républicains modérés dans les primaires de leur parti. En effet, parmi les 37 candidats soutenus par Trump, tous sauf deux sont sortis victorieux des primaires. Même des candidats républicains qui dans le passé avaient critiqué ou s’étaient démarqués de l’actuel président des États-Unis (telle Martha McSally dans l’Arizona) ont dû, pour accroître leurs chances de succès dans les primaires de cette année, rejoindre le camp des pro-Trump .
Ce qu’implique la polarisation sur les présidentielles
Une telle polarisation ne manquera pas d’avoir des implications sur les élections présidentielles qui auront lieu en 2020. Voici pourquoi.
Le parti jugé vainqueur des élections du mois de novembre sera enclin à continuer à prendre en compte le poids des tenants de la ligne dure, au prix de l’éloignement du centre de l’échiquier politique. Car si des positions radicales – de la gauche dure ou de la droite populiste – auront permis de gagner les élections à mi-mandat de cette année, pourquoi changer de stratégie pour 2020 ? En d’autres mots, les propos extrémistes, clivants, risquent de perdurer dans le parti qui remportera les élections de novembre.
Et pourtant, lors des présidentielles de 2016, on a pu voir ce que la radicalisation peut coûter politiquement. En effet, dans le but de rallier l’appui des électeurs progressistes – ceux qui penchaient en faveur de Bernie Sanders – Hillary Clinton opta pour gauchiser ses propos , perdant par là-même de nombreuses voix des électeurs placés au centre, ce qui contribua à sa défaite électorale.
Le contraire est de nature à se produire au sein du parti qui aura perdu en novembre prochain. Là, c’est l’aile modérée qui sera en position de force pour exiger l’abandon des propos clivants et l’adoption d’un discours plutôt centriste. Autrement dit, l’aile modérée pourra affirmer : « si les propos extrémistes nous ont amené à la défaite en novembre 2018, alors changeons carrément de discours pour 2020 afin de nous attirer le soutien des indécis et des indépendants ».
Le vainqueur à venir
En résumé : le parti perçu comme le perdant des élections de novembre prochain se sentira obligé de se remettre en question et d’adopter une stratégie plus conciliante lors des élections présidentielles de 2020. De ce fait, il serait mieux équipé – que ne le serait le parti ayant remporté les élections de mi-mandat – pour rallier en 2020 les voix des indécis et des modérés (rien de moins que 35 % de l’électorat américain selon un récent sondage mené par l’agence Gallup).
Il faut maintenant soulever la question cruciale : quel parti pourra prétendre avoir été le vainqueur des élections de novembre prochain ?
Chez les démocrates, pour crier victoire, il ne suffira pas d’accroître le nombre de sièges au Congrès. En effet, depuis 1934, et sauf quelques exceptions, le parti au pouvoir aux États-Unis perd toujours des sièges lors des élections de mi-mandat . Et comme le Parti démocrate est actuellement l’opposition, gagner des sièges ce novembre va de soi ou presque.
Pour pouvoir revendiquer une victoire en novembre, les démocrates devront donc faire mieux que grignoter quelques places. Ils devront, au minimum, gagner les 23 sièges additionnels qui leur manquent pour contrôler la Chambre des Représentants.
Si cela s’avère être le cas (ce qui, à la lumière des sondages, paraît plus que probable), l’aile radicale du Parti démocrate aura consolidé son poids au sein de ce parti. Les progressistes pourront en effet prétendre qu’une telle victoire aura été due – comme l’a déjà anticipé la journaliste Katrina vanden Heuvel dans les colonnes du Washington Post – à leur forte mobilisation et au financement qu’ils ont apporté.
La même dynamique est à l’œuvre du côté du Parti républicain. S’il parvient à minimiser les pertes, c’est-à-dire à garder la majorité à la Chambre des représentants – une éventualité très improbable vu les sondages d’opinion mais non pas impossible (rappelons que, en 2016, les sondages donnaient Hillary Clinton gagnant e face à Donald Trump) –, la droite populiste, principal soutien de Donald Trump, ne se priverait pas de s’attribuer ce genre de réussite. Cette droite populiste serait ainsi en mesure d’imposer, pour les élections présidentielles de 2020, la même rhétorique divisoire, conflictuelle, qu’elle aura brandie, avec un certain succès, lors de la campagne électorale de cette année. Or, cela n’est pas le genre de stratégie, répétons-le, à même d’attirer les voix des modérés et des indécis.
Les frondeurs du Parti républicain
Si, par contre, comme les sondages permettent de prévoir, les républicains perdent le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat, il faut s’attendre à une jacquerie, au sein de leur parti, visant à pousser l’actuel président à changer de style et à modérer ses propos afin de s’attirer les voix du centre lors de l’échéance électorale de 2020. Et si le président s’avère incapable de changer de style (chasser le naturel, il revient au galop), les frondeurs du Parti républicain feront de leur mieux pour empêcher Trump (par le biais des primaires) de devenir candidat à sa propre succession en 2020.
Bien sûr, des facteurs autres que les résultats des élections de novembre prochain entreront en jeu dans l’orientation et le choix des candidats lors de la confrontation de 2020. Il n’empêche, pour les raisons soulevées dans cet article, les prochaines élections de mi-mandat pourraient créer une dynamique par laquelle le parti sorti perdant le mois prochain serait poussé à se défaire des propos clivants qui l’auront amené à la défaite et à adopter, en lieu et place, une stratégie plutôt conciliante capable d’attirer les voix des modérés – ce qui le mettrait en meilleure position pour remporter les présidentielles de 2020. Comme si on jouait à qui perd gagne.
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