« Du grand débat... à la petite entourloupe »
Emmanuel Macron est-il prêt à jouer le jeu du "grand débat national" qu’il a initié ? Le doute est permis. L’urgence avec laquelle la consultation a été annoncée par le président, le 10 décembre, a dévoilé une stratégie improvisée et potentiellement dilatoire. Elle vise à éteindre un incendie, en permettant à l’Etat de reprendre la main sur des événements qui lui échappent. Néanmoins, rien ne dit que les Gilets jaunes accepteront de rejoindre docilement leur place subalterne, alors qu’ils sont actuellement dans une dynamique de conquête politique. "Je veux", "je veux", "je veux" n’a cessé de répéter Macron dans sa courte allocution de l’autre lundi. Or cette posture volontariste est, en elle-même, en contradiction avec la philosophie d’une mobilisation populaire spontanée qui rejette justement l’autoritarisme présidentiel et le centralisme d’Etat. Les Gilets jaunes ont ceci en commun avec les pionniers d’En marche qu’ils s’organisent, comme eux, de manière horizontale et collective, en rejetant les constructions verticales et les appropriations personnelles du pouvoir. Quand Macron rappelle : "Je me suis battu pour bousculer le système politique en place", il parle avec les mots des actuels contestataires, sans se rendre compte qu’il est devenu ce qu’il dénonçait durant sa campagne présidentielle. Les Français ne seront pas dupes s’il y a entourloupe.
L’éviction du sujet sur l’immigration, initialement arrêté par le président, illustre le poids qu’a déjà pris la pensée officielle sur ce grand débat dont l’organisation a été confiée à Chantal Jouanno, ancien ministre de Nicolas Sarkozy. Dans Le Point du 23 avril 2012, elle déclarait, critiquant la droitisation de son mentor : "Les questions d’immigration, de laïcité, de sécurité (…) ne sont pas les préoccupations majeures de nos concitoyens". En fait, la France Oubliée ne parle pas le même langage que la France des "élites". Certes, les maires vont être appelés également à recueillir les cahiers de doléances. Mais rien ne dit qu’ils cautionneront longtemps le processus, si ce girondisme d’apparence devait se révéler être un leurre. Comme Macron l’a annoncé, il assurera lui-même la coordination des avis. Or, le président sait déjà que les Gilets jaunes ne partagent pas son politiquement correct, ni sa vision post-nationale de l’"Hexagone" (c’est ainsi qu’il appelle souvent la France), ni son ode à la souveraineté européenne. Est-il prêt à abandonner sa politique ? Le rejet qu’il suscite tient à son mépris autant qu’à ses idées. Il serait paradoxal de voir les Gilets jaunes tomber dans le piège de l’Elysée, d’une liste Jaune aux européennes, venant affaiblir les partis au profit de Macron…