Connaissez-vous la « dissolite » ? Maladie méconnue mais répandue, elle touche essentiellement les présidents de la République et est apparue pour la première fois en 1934, lorsque des parlementaires, effrayés par les événements du 6 février , ont souhaité bénéficier d’une arme juridique pour lutter contre les groupes paramilitaires pouvant potentiellement mettre en péril le régime républicain.
23 mois de réflexion plus tard, la loi du 10 janvier 1936 était votée, depuis intégrée à l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure . Un mois plus tard, trois groupes royalistes et proches de Charles Maurras sont dissous par décret.
Initialement destinée à viser les groupes de combat et milices privées, le champ d’application de cette loi s’est progressivement étendu au fil des circonstances politiques : mouvements collaborationnistes (1951), promouvant des troubles en Algérie (1960), groupuscules racistes (1971), ou encore terroristes (1986). Le texte est modifié à dix reprises en l’espace de 80 ans.
Si nous parlons de ce texte aujourd’hui, c’est que l’actualité nous en rappelle l’existence. Après l’annonce de la dissolution du mouvement catholique Civitas par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin le 8 août dernier, un tweet d’une députée Renaissance a ouvert le débat sur la possibilité d’envisager la même sanction pour ni plus ni moins que la France insoumise (LFI). Or, on le sait, lorsqu’on ose mettre la gauche face à ses contradictions, la polémique n’est pas loin.
Une habituée de la lutte contre l’antisémitisme
Suppléante de Stanislas Guerini aux élections législatives de l’année dernière, et devenue députée à la faveur de sa nomination comme ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, rien ne semblait prédestiner Caroline Yadan, avocate et responsable du pôle de lutte contre l’antisémitisme à la Licra, à être l’objet d’une polémique d’une telle ampleur.
Rien ? Peut-être pas, car cette spécialiste des coups médiatiques n’hésite pas à aller au charbon, tantôt maladroitement en accusant sans preuve l’activiste communautariste, ancien insoumis et proche du Comité Adama, Taha Bouhafs d’avoir été colistier d’Alain Soral lors des élections européennes de 2009 (Bouhafs n’avait que 12 ans…), tantôt en défendant avec vigueur le président du Crif, accusé par Jean-Luc Mélenchon d’être un représentant de l’extrême droite dans une dérive particulièrement nauséabonde de LFI.
Une dérive dont notre collègue Sacha Benhamou rappelait la nature dans nos colonnes ce samedi à travers une tristement impressionnante liste de propos et d’attitudes aux forts relents antisémites .
Les insoumis s’indignent
Toujours est-il qu’en marge de la dissolution de Civitas, Caroline Yadan a appelé purement et simplement à la dissolution de LFI sur ce même fondement d’antisémitisme.
La gauche, socialiste comme insoumise, a évidement crié au scandale. C’est un réflexe pavlovien chez elle, tout comme l’accusation d’instrumentalisation (vous savez, l’hôpital, la charité..?).
Un autre réflexe est la déformation de la réalité, l’eurodéputée Manon Aubry évoquant par exemple LFI comme « premier parti d’opposition en France ». Les Français seront donc heureux d’apprendre que Jean-Luc Mélenchon était au second tour de la dernière élection présidentielle et que le Rassemblement national n’a pas 13 députés de plus que LFI. Nous vivons donc dans le mensonge depuis plus d’un an. Merci Manon Aubry !
Quand LFI reprend le flambeau du FN
Blague à part, et quoi qu’il en soit, le parti créé en 2016 par Jean-Luc Mélenchon est un habitué des polémiques : apologie d’actes terroristes (toutefois condamnée par le chef du parti ), incitation à l’insurrection et invitation d’un rappeur qui serait proche des Indigènes de la République à ses universités d’été ne sont que quelques exemples parmi d’autres.
Il serait aisé de répondre que ces actes n’engagent pas le parti dans sa globalité, comme nous pouvons arguer la même chose vis-à-vis du Rassemblement national lorsque, périodiquement, les sympathies de certains des militants du parti pour une certaine période historique refont périodiquement surface.
Et de rétorquer, comme beaucoup le faisaient du temps de Jean-Marie Le Pen, qu’il est étrange que ce parti, spécifiquement, attire ce type de profils. L’attirance de sombres personnages pour LFI interroge tout autant que pour le Front national.
Si cela ne suffit pas à envisager la dissolution du deuxième parti d’opposition de France – sinon le Front national aurait disparu depuis 35 ans – cette manie de dissoudre en dit long sur l’état de notre démocratie.
Une dissolution politiquement orientée
Vendredi, nous apprenions que la dissolution du Soulèvement de la Terre, groupuscule d’ultragauche connu pour ses actions de sabotage et suivi par la DGSI , était suspendue par le Conseil d’État , alors que celle de Génération identitaire, décidée au printemps 2021 , était toujours effective. Le recours formé par le groupuscule a en effet été rejeté le 2 juillet suivant.
Comme le note le professeur en droit public Guillaume Drago, la dissolution d’un groupe ou d’une association n’est jamais politiquement neutre .
En ce sens, pour l’historien Nicolas Lebourg, 53 % des dissolutions concernent des mouvements d’extrême droite .
Une impressionnante augmentation des dissolutions sous Macron
Depuis l’entrée en vigueur de la loi de 1936, ce sont près de 156 associations qui ont été dissoutes sur sept critères différents, alors que seuls 87 ministres se sont succédé à Beauvau (un par an), soit un ratio de 1,8 dissolution par ministre et par an.
Sur ces 156 dissolutions, Gérald Darmanin en a fait exécuter vingt, à lui seul, depuis sa nomination il y a maintenant trois années.
De façon générale, depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, ce dernier a validé 35 dissolutions en un peu plus de 6 ans, soit un ratio de 5,6 dissolutions par année, et une hausse de 211 % en 9 décennies, le tout dans un cadre politiquement orienté.
Une arme antidémocratique
Né d’une loi de 1936, le droit de dissolution a toujours été orienté.
De l’Action française à Civitas, la question de la dissolution du troisième parti de France pose question mais a le mérite de mettre le doigt sur les nombreuses hypocrisies de la gauche en matière de lutte contre les discriminations, et sur l’orientation politique d’une pratique antidémocratique qui a augmenté de façon exponentielle sous Emmanuel Macron.
Plutôt que l’interdiction, la solution ne devrait-elle pas passer par une responsabilisation des organisations, et notamment sur le plan sécuritaire et financier ?
Rappelons en ce sens que depuis les dernières élections présidentielles, LFI perçoit huit millions d’euros d’aides publiques annuelles (5,3 au titre de son score à l’élection présidentielle et 2,7 à celui des élections législatives).