Ainsi s’achève une saison 2021-2022 particulièrement confuse, pour ne pas dire pénible, sur le plan des idées politiques et économiques.
À une campagne présidentielle au cours de laquelle le candidat sortant n’a été challengé que par des concurrents pressés de mettre fin à son ultra-libéralisme , aussi fantasmé ce dernier soit-il, s’est ajouté un round législatif certes original puisque le président réélu a été privé de la majorité absolue, mais dont le résultat concret nous offre surtout le spectacle affligeant de partis politiques s’invectivant les uns les autres pour décrocher le pompon au célèbre jeu bien français « Qui veut dépenser des millions ».
Il faut dire que nos députés sont très joueurs. Certains excellent aussi au « Mon Dieu, quelle horreur, vous avez voté comme le Rassemblement national » et au « Vite, bloquons tous les prix pour répondre à la souffrance sociale ». À cet égard, les débats sur la loi pouvoir d’achat adoptée tout récemment en première lecture dans des termes assez conformes aux souhaits du gouvernement sont très éloquents. Voici par exemple un tweet typique de l’hystérie ambiante, signé par la désormais fameuse Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale :
La lune de miel LREM-RN continue !
Après :
le refus de la hausse du SMIC à 1500€
c’est au tour du gel des loyers d’être refusée !
Démonstration d’indifférence à la souffrance sociale dans ce pays.#LoiPouvoirdAchat #DirectAN pic.twitter.com/S9AEmOCf0B
— Mathilde Panot (@MathildePanot) July 21, 2022
Il est de notoriété publique depuis un bon moment que les classes populaires ont déserté la gauche parallèlement au fait que cette dernière a eu tendance à minimiser les problématiques sociales pour donner la priorité au sociétal, à la lutte antiraciste, à la lutte climatique et à la défense des minorités.
Où sont-elles allées ? Au Rassemblement national. Avec sa retraite à 60 ou 62 ans suivant les cas, son augmentation des salaires de 10 % jusqu’à 3 fois le SMIC avec exonération des charges sur l’augmentation, sa nationalisation des autoroutes , son patriotisme économique, sa préférence nationale pour le logement et l’emploi, son obligation d’utiliser 80 % de produits agricoles français dans les cantines, son nouveau ministère dédié à la lutte contre la fraude fiscale et sociale et son impôt sur la fortune financière « pour taxer la spéculation », il a su leur promettre les protections (et les illusions) sociales qu’elles trouvaient autrefois au PS et au PCF.
Si le RN n’a pas voté le gel des loyers proposé par la Nupes (coalition formée autour de la France insoumise avec le PS, le PCF et les Verts), ne vient-il pas de voter avec elle , contre l’avis du gouvernement, un amendement limitant à 1,5 % (au lieu de 3,5 % ailleurs) la possible hausse des loyers en zone de revitalisation rurale, lequel amendement a été adopté en première lecture et a suscité chez les deux formations des applaudissements nourris ?
Bref, il y a clairement péril en la demeure de gauche.
Le RN nous pique toutes nos plus belles idées ! se lamentait en substance un jeune député socialiste très admiratif de M. Mélenchon dans un récent entretien accordé au journal Le Point. Mais, s’empressait-il d’ajouter, tout ceci n’est qu’apparence. En réalité, le RN n’est nullement socialiste, il ne fait que « singer le programme de la gauche ». La preuve absolue et incontournable ? Il n’a pas voté la hausse du SMIC à 1500 euros que proposait la Nupes ! Après un coup pareil, difficile de jouer au défenseur des classes populaires – et ce n’est pas le Secrétaire national du Parti communiste Fabien Roussel qui dira le contraire :
Honte au RN qui se présente comme défenseur des classes populaires et vote contre la hausse du SMIC à l’Assemblée nationale.
Les petits toutous du macronisme, la roue de secours du grand capital. pic.twitter.com/Yi9e9LllQe
— Fabien Roussel (@Fabien_Roussel) July 20, 2022
Par la voix de son député Jean-Philippe Tanguy sur France Inter , le RN explique maintenant qu’il aurait largement préféré une « grosse augmentation de salaire » à la « petite prime » Macron mais que par esprit de responsabilité (dont, sous-entendu, la Nupes est totalement dépourvue), il a en quelque sorte préféré tenir plutôt que courir.
À noter d’ailleurs que confronté à une question sur le manque à gagner de cotisations sociales induit par ladite prime ou la mesure de hausse des salaires préconisée par son parti, le même Tanguy évoque l’idée « qu’à partir de deux, trois, quatre ans d’un emploi fixe et pérenne, on peut s’interroger sur le fait qu’on contribue plus au financement de la sécurité sociale ». Je vous laisse deviner où se situe le RN sur l’échelle de la préservation envers et contre tout de notre très collectiviste système social… Remarquez qu’avec ses positions sur la retraite, on avait déjà la réponse.
Mais pour en revenir à la hausse du SMIC, le plus cocasse reste encore que les accusations de « petit toutou du macronisme » et de « roue de secours du grand capital » si finement balancées sur Twitter par Fabien Roussel s’entendent aussi à l’extrême droite, dans les rangs de ceux qui se définissent comme la « vraie » droite par opposition à la droite bourgeoise, cette droite « la plus bête du monde » incarnée dorénavant par Marine Le Pen :
En votant contre cet amendement, symbolique, les députés RN se sont tiré une balle dans le pied. Et donnent, pour des années, du grain à moudre à la gauche et à l’extrême gauche qui a toujours clamé que la droite et l’extrême droite étaient l’ennemi des ouvriers, des classes populaires, que le RN était le serviteur du grand capital. Avec ce vote, qui pourra leur donner tort ?
« Trahison ! » s’exclament-ils alors, préconisant pour leur part un SMIC à 2000 euros, l’indexation subséquente des autres salaires et le plafonnement des hauts salaires. Ascenseur assuré pour la faillite et la pauvreté, ainsi que le montrent toutes les expériences du même style sans exception ? Pas du tout, vous répondra-t-on. Il « suffit » de « décider » de fermer hermétiquement les frontières douanières et migratoires pour se mettre à l’abri de la concurrence des pays à bas salaires aussi bien en matière d’emploi qu’en matière de produits, et le tour est joué. Je vous laisse juge.
Quoi qu’il en soit, pas facile-facile, l’équation, pour le RN. En n’ayant pas voté la hausse du SMIC, il n’est pas de gauche aux yeux de la gauche. Mais en n’ayant pas voté la hausse du SMIC, il n’est pas non plus de la « vraie » droite aux yeux de la « vraie » droite. Ni vraiment de gauche, ni vraiment de droite. Tiens, tiens, un air connu. Le RN serait-il en voie de macronisation accélérée à son insu ? « D’institutionnalisation », comme disent les journalistes ?
Il va sans dire que l’ironie que je déploie ici tient au fait que je prends toutes les tentatives de fixer autoritairement des niveaux « acceptables » de prix, loyers ou salaires pour des politiques publiques typiques de l’effet Cobra dont j’ai déjà eu l’occasion de vous parler. Autrement dit, bonnes intentions suivies de conséquences désastreuses par abus de constructivisme.
Dans les cas qui nous occupent, la hausse du salaire minimum revient à évincer les personnes les moins qualifiées du marché du travail tandis que l’encadrement des loyers tend à décourager les bailleurs, à provoquer la dégradation du parc immobilier locatif concerné et à faire monter les prix dans les zones non soumises à l’encadrement. L’exact contraire de ce qu’on voulait.
Aujourd’hui, on tente de compenser les effets destructeurs de l’inflation, laquelle résulte largement des politiques publiques antérieures d’argent facile et de subventions abondantes déversées sur tout et n’importe quoi pourvu que ce soit vert, social et solidaire, par de nouveaux bricolages de court terme. Cherchez l’erreur.
Alors, finalement, de gauche ou de droite, le RN ? C’est ma petite devinette de l’été. Une devinette ni facile ni difficile puisque, d’un point de vue libéral, n’y a pas de bonne réponse.
Mais ne cogitez pas trop quand même.
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