L’armée serbe vient d’être placée en alerte à la frontière du Kosovo, conséquence d’une longue dégradation des relations entre Belgrade et Pristina. Selon le gouvernement serbe, il s’agit de « protéger les Serbes au Kosovo ». Ce discours n’est pas sans rappeler celui de laRussie avant l’assaut de l’Ukraine .
Toutefois la situation dans les Balkans présente des particularismes qu’il ne faut pas ignorer, tout comme il ne faut pas ignorer le poids de l’OTAN et de la Russie derrière les acteurs locaux, qui laisse craindre un nouveau front indirect entre les deux adversaires ; même si l’intensité sera moins forte.
Une situation locale différente de l’Ukraine
Si la déclaration du gouvernement serbe peut faire penser à la rhétorique russe de protéger les populations russophones, la situation dans les Balkans révèle des tensions ethniques et religieuses bien plus présentes qu’en Ukraine. La Serbie de religion chrétienne orthodoxe (85 % de la population) fait face à un Kosovo de confession musulmane sunnite (95 % de la population en 2011). Ces religions continuent à avoir un impact majeur dans la vie des habitants locaux : un sondage de 2018 montrait que 83 % de la population kosovare et 70 % des Serbes se considèrent religieux (en comparaison, 39 % des Hongrois et des Autrichiens se considèrent comme religieux). De plus si les Serbes sont des Slaves, les Kosovars sont ethniquement des Albanais .
Si l’Ukraine est elle aussi traversée par les questions de langue (russe et ukrainienne), voire religieuse (église orthodoxe de Russie contre celle d’Ukraine), la source des tensions est avant tout liée à des questions de nation. L’Ukraine est une frontière entre la Russie et l’Occident. Dans les Balkans ce sont les guerres religieuses et d’empire qui sont sources de tensions.
Une attitude peu coopérative des deux côtés
Le gouvernement du Kosovo cherche à blâmer Moscou pour cette hausse des tensions.
La Russie chercherait selon eux à créer un nouveau front pour distraire de l’Ukraine. Néanmoins comme le fait remarquer le Dr James Carafano vice-directeur de l’Heritage Foundation (peu susceptible de russophile) : « Le Premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, s’est montré agressif même avec les alliés les plus fidèles du Kosovo. Il a même menacé les troupes de la KFOR (mission de l’OTAN au Kosovo). »
Demokracia , un média kosovar, fait en effet part de tensions entre le commandant de la KFOR et le gouvernement du Kosovo.
Le risque de l’activation du grand jeu politique entre l’OTAN et la Russie
Même dans le cas où Moscou n’est pas à l’origine des tensions, il semble peu probable qu’elle reste en dehors du conflit. La Serbie est le pays d’Europe ayant l’opinion la plus positive de la Russie. Le think tank slovaque GLOBSEC avait avant 2022 sondé les opinions publiques des pays d’Europe centrale. La Serbie se démarquait avec 74 % de la population qui considéraient la Russie comme une victime de l’Occident et 71 % qui considéraient que l’OTAN provoquait la Russie. Une position méfiante pouvant s’expliquer par l’intervention de l’OTAN en Serbie en 1999.
En cas de nouveau conflit entre le Kosovo et la Serbie, nul doute que la Russie sautera sur l’occasion pour soutenir la Serbie. Inversement, si la KFOR cherche actuellement à éviter le conflit et l’escalade, en cas d’attaque de la Serbie contre le Kosovo, elle risque d’entrer en conflit contre l’OTAN. D’autant plus que l’indépendance du Kosovo en 2008 a été surtout soutenue par les pays de l’OTAN et leurs alliés non occidentaux (même si certains pays européens ne la reconnaissent pas comme l’Espagne potentiellement à cause de la question de l’indépendance catalane). Et au contraire non reconnue par un certain nombre de pays à commencer par les BRICS (Brésil, Chine, Russie, Inde et Afrique du Sud).
Et les Européens ?
Comme le fait remarquer Dr James Carafano :
« Ni l’UE, ni l’Allemagne, ni l’Autriche, interlocuteurs traditionnels, n’ont exercé un leadership suffisant. La Croatie n’a pas été très active ces derniers temps. L’Albanie est distraite par des problèmes internes. La Hongrie et la Turquie ont été plus constructives (à mon avis). L’influence des États-Unis dans la région est toutefois significative. »
La Hongrie comme la Turquie ont en effet tout intérêt à suivre de très près les évènements. Les Balkans furent des territoires des empires ottomans et hongrois et des minorités persistent. Ainsi, dans la province autonome de Voïvodine en Serbie, 20 % de la population est hongroise sous la période yougoslave et 300 000 personnes en 2008 . Compte tenu de l’importance donnée par Budapest aux minorités hongroises, la Hongrie risque d’être au cœur de l’actualité.