Par Thierry Benne.
Un article de l’Iref-Europe
Dans son dernier rapport annuel sur les comptes de la Sécurité sociale publié ce 20 septembre, la Cour des comptes souligne que les efforts consentis depuis 1993 (année de la réforme Balladur) par les salariés du privé ont permis un redressement financier significatif de leurs régimes de retraite. Toutefois, elle invite les partenaires sociaux à ne pas relâcher leurs efforts et à poursuivre les réformes, notamment en vue de résorber progressivement la dette inquiétante (70 milliards d’euros fin 2015 !) accumulée à la fois par le régime de base et le Fonds de Solidarité Vieillesse.
Certes la dette précitée est importante, certes les déséquilibres de certains régimes privés qui pointent souvent plusieurs milliards par an sont également préoccupants, mais que représentent-ils exactement au regard du déficit de quelque 40 milliards et plus que nécessite chaque année le comblement par l’impôt du trou annuel que représente le déficit des retraites publiques .
Déficit des retraites abyssal
Alors bien sûr on nous explique que cette présentation est fallacieuse, que notamment les retraites de la fonction publique sont par nature équilibrées, puisque leurs déficits abyssaux se trouvent spontanément comblés par l’État. Oui, mais elles le sont au prix de taux de cotisations patronales faramineux, qui approchent les 75 % pour les retraites civiles et qui dépassent les 120 % pour les retraites militaires.
La réalité est donc que la fonction publique bénéficie d’une sorte d’avantage en nature substantiel et échappant à l’impôt qui lui vaut, grâce à des cotisations patronales proprement exorbitantes ( 4 à 5 fois supérieures à celles du privé !) de bénéficier des meilleures retraites du pays avec tout au long de la carrière des cotisations salariales quasiment insignifiantes au regard des pensions versées.
Bien qu’elles prétendent relever du système de la répartition, les retraites publiques sont les seules à pouvoir s’affranchir des exigences et des contraintes de la démographie. Naturellement, toute la fonction publique, tous les bénéficiaires des autres régimes spéciaux tiennent à cet avantage comme à la prunelle de leurs yeux et aucun n’est prêt à le voir réévaluer et encore moins disparaître.
Retraites : les régimes privés supportent tous les efforts budgétaires
Et ce rapport annuel de la Cour des comptes en est comme l’illustration même. Car enfin voilà des hauts magistrats, tous fonctionnaires, fins connaisseurs de la finance publique comme privée, qui se soucient par le menu des déséquilibres qui affectent ceux d’en face, les régimes du secteur privé, en prônant sans cesse davantage d’efforts pour parvenir à restaurer les équilibres fondamentaux et qui sont muets comme des pierres vis-à-vis du coût des avantages dont eux-mêmes et tout leur propre camp, le secteur public, profitent pour leurs régimes spéciaux ultra-déficitaires et qu’ils ne songent nullement à renflouer.
Bien sûr, on sait bien que du fait de leur financement essentiellement budgétaire et de la fiction commode de l’auto-assurance, les retraites de la fonction publique ne se retrouvent pas dans les comptes de la Sécurité sociale, mais dans ceux de l’État. On ne saurait pourtant rappeler avec davantage d’insistance que la Cour, composée d’agents publics chargés de juger des comptes publics, se trouve en plein conflit d’intérêts, ce qui explique à la fois son peu d’entrain à partir en guerre contre ce hold-up perpétré chaque année au cœur du budget de l’État et sa discrétion innée à l’égard de tout ce qui concerne le poids du financement des retraites publiques.
Mais du moins aurait-on pu attendre de la part de la Cour un peu moins d’arrogance sur les potions de choc qu’elle souhaite voir administrer au secteur privé, alors qu’elle entend soigneusement en préserver le secteur public. Ceci montre bien que notre ère moderne n’a en rien renoncé à ces privilèges qu’elle dénonce lorsqu’ils relèvent de l’Ancien Régime, mais qu’elle s’efforce de perpétuer aujourd’hui au profit du nombre croissant de ceux qui servent et qui se servent de l’État.
En effet constamment nourri par l’ENA, l’effectif considérable des fonctionnaires/parlementaires ou des ministres/fonctionnaires qui décident implicitement de leurs propres statuts, de leurs traitements et de leurs retraites n’a pratiquement jamais cessé de se renforcer ces dernières décennies jusqu’à fausser gravement la représentation nationale.
Si la Cour des comptes proposait enfin de réformer le système de retraite ?
Allons, imaginons quand même l’espace d’un instant une sorte de nuit du 4 août du XXIe siècle, où les magistrats de la rue Cambon traiteraient désormais des problèmes de retraites non pas selon leur inclination et leur ressenti personnels, mais en s’attachant à la manière plus ou moins préoccupante dont leur financement obère les finances de la Nation.
On aurait pour la première fois un grand rapport de référence spécialement consacré aux retraites publiques, à leurs nombreuses anomalies et au coût de leur financement non contributif, un plan juste et détaillé pour résorber progressivement ce déficit qui absorbe quelque deux points de PIB. On obtiendrait aussi la proposition d’un calendrier précis pour parvenir à l’alignement des différents régimes publics sur le régime privé, ne serait-ce que pour rejoindre enfin cette unification originellement souhaitée par le Conseil National de la Résistance.
Là, cette fois, on se dirait que la Cour a vraiment changé puisqu’elle serait désormais capable de mesurer à l’étalon de l’intérêt national non seulement ce qui concerne les autres acteurs de la vie publique, mais aussi et enfin ce qui la concerne elle-même, ainsi que – excusez du peu – l’ensemble des autres fonctionnaires et agents publics.
Sinon, en écho avec la pusillanimité du Conseil d’Orientation des Retraites pour tout ce qui concerne les retraites publiques, il est à craindre que longtemps encore on barbote pitoyablement dans ces médiocres conflits d’intérêts qui constellent la vie publique française et qui, au grand dam des contribuables, président à cette sorte de collusion insupportable entre ceux qui inspirent la loi, ceux qui la font, ceux qui la contrôlent et ceux qui en profitent.
Article initialement publié en septembre 2016.
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