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Culture économique : des carences grosses de catastrophes

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Par Pierre Robert.

C’est devenu un lieu commun de dire que la culture économique des Français est défaillante et de remettre aussitôt la question sous le tapis. Elle mérite pourtant qu’on s’y arrête un peu plus longuement afin de mieux mesurer ce que cette ignorance coûte à notre pays et de mettre en place les moyens de la combler.

Que signifie avoir une culture économique ?

Au niveau des individus cela renvoie à un type de connaissances que l’on a ou non acquises.

Schématiquement ces connaissances sont de deux ordres avec un volet pratique et un volet plus théorique.

Le volet pratique a trait à l’éducation financière, savoir ce qu’est un bulletin de salaire , ce que sont les charges sociales , ce qu’est un budget familial, comment contracter un crédit et ce à quoi cela engage, comment gérer son épargne, ce qu’est la bourse , une action , une obligation .

Le volet théorique porte sur les concepts de base que manient les économistes : investissement, épargne, PIB , taux d’intérêt, masse monétaire, déficit public , dette etc. En gros cela demande la compréhension de quelques termes en définitive assez simples et la maitrise de quelques ordres de grandeur.

Sur le même registre se situe la compréhension de ce qu’est une entreprise et du contexte dans lequel elle évolue, soit une économie de marché dont les moteurs sont la concurrence et l’innovation, une économie dont nous avons aujourd’hui conscience qu’elle génère des effets qui ne sont pas pris en compte dans la formation des prix par les mécanismes de marché.

Les économistes parlent alors d’externalités qui peuvent être négatives (comme la pollution qui dégrade le bien-être de l’ensemble) ou positives (comme l’élévation du niveau général de connaissances qui profite à la collectivité).

Entre aussi dans ce volet la connaissance même peu approfondie des principaux courants de l’analyse économique telle qu’elle s’est constituée depuis Adam Smith . Il s’agit avant tout de saisir ce qui différencie les libéraux des marxistes et des keynésiens.

Entrent enfin dans ce bagage quelques notions d’histoire économique sur par exemple la Révolution industrielle, la crise de 1929, la dépression des années 1930, les Trente glorieuses et ce qui leur a succédé.

L’enjeu est d’être à même de suivre un raisonnement économique.

En résumé, il s’agit de : maîtriser quelques ordres de grandeur et comprendre ce qu’ils mesurent, savoir ce que sont les principaux points de vue sur le fonctionnement d’une économie, avoir quelques points de repère historique.

Au niveau d’un pays, cela renvoie à un ensemble constitué de convictions partagées par le plus grand nombre qui font système en s’articulant les unes aux autres. Ce système fournit à la majorité des clés de lecture de la réalité, il lui permet de l’interpréter. C’est une sorte de prisme à travers lequel, au sein d’un pays, on perçoit les questions de production, de consommation, de répartition ou encore le rôle de la finance.

La manière dont fonctionne ce prisme a évidemment un impact considérable en termes politiques car sans un minimum de culture économique partagée au sein d’un pays, on ne peut y faire émerger une compréhension commune de la situation et on se prive de la possibilité d’en relever les défis.

Selon Edmund Phelps , prix Nobel d’économie, un environnement socio-culturel marqué par l’ignorance économique et de ce fait peu favorable à l’entrepreneuriat et à l’innovation, ralentit fortement la croissance d’un pays et dégrade le niveau de vie de ses habitants.

En quoi le manque de culture économique est-il préoccupant ?

Qu’on le veuille ou non, la réflexion économique a à voir avec la rareté.

S’intéresser à l’économie c’est prendre conscience que tout n’est pas possible, qu’il y a des limites et qu’il faut faire des choix.

Au niveau individuel l’enjeu est de savoir quelles sont les règles du jeu et de disposer de quelques outils pour mener sa barque en tant que salarié, consommateur, épargnant, contribuable etc.

Au niveau global, il est de comprendre comment fonctionne l’économie de marché dans laquelle nous vivons, que nous le voulions ou non. Quel est le rôle de la sphère publique, quel est celui de la sphère privée, comment les articuler ? Quels sont les ressorts et les conséquences possibles de l’innovation ? Comment limiter les externalités négatives et quel est le prix à payer pour leur réduction ? Quelles sont les réformes à mettre en œuvre pour que le pays reste sur la voie de la prospérité ?

C’est à ce niveau que joue l’inculture économique des élites . Dans les grandes écoles l’économie est très peu enseignée. Les seuls qui reçoivent une formation économique sérieuse sont les étudiants qui choisissent cette discipline à l’université et les élèves de classes préparatoires aux grandes écoles de commerce.

En résultent dans les sphères de décision des mauvais choix et la perpétuation d’erreurs de politique économique : en France pas un seul budget de l’État n’a été en équilibre depuis 1975, soit 46 ans, et l’endettement public est en voie de devenir incontrôlable ce qui semble ne soucier personne.

Dans les médias cette inculture nourrit la stérilité de controverses qui n’éclairent pas l’opinion mais alimentent sa méfiance envers les institutions, une méfiance bien plus forte que celle observée dans les autres pays de niveau de développement comparable.

Quelles sont les origines de cette inculture ?

Les racines en sont profondes. Très anciens et solidement ancrés, les réflexes catholiques de méfiance envers l’argent et de détestation de la richesse perdurent en influençant toujours les comportements. En revanche les Français sont toujours de fervents adeptes du culte de l’État dont ils ont tendance à attendre qu’il résolve tous leurs problèmes.

Ils s’intéressent avant tout à la politique mais bien peu à l’économie assimilée à l’intendance qui bien sûr suivra selon la formule du Général de Gaulle. La formule de Clemenceau n’a de ce fait rien perdu de son actualité :

La France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts.

Notre imaginaire collectif n’est donc pas du tout favorable à la prise en compte des mécanismes économiques perçus avant tout comme des contraintes qui empêchent une société juste d’advenir. De cet imaginaire découlent collectivement des comportements contreproductifs vis-à-vis du travail qui serait avant tout une souffrance et des entreprises qui noieraient tout « dans les eaux glacées du calcul égoïste » pour reprendre l’expression d’Engels et Marx.

Quant à l’enseignement de l’économie au lycée il y aurait beaucoup à dire. La plupart des élèves ne reçoivent qu’une vague initiation en seconde. De surcroît, l’enseignement de l’économie est phagocyté par celui de la sociologie. Il est confié à un corps professoral qui se réfère toujours aux quatre mêmes mantras : Les rapports sociaux sont avant tout des rapports d’exploitation (Marx) Seule la demande compte et toute difficulté peut se résoudre par la relance du pouvoir d’achat sans tenir compte des conditions de l’offre (Keynes) Tout est de la faute du système qui conditionne les trajectoires individuelles (Durkheim) Toute institution est suspecte (Bourdieu et la sociologie du soupçon)

La conclusion que globalement beaucoup en tirent est que l’économie en tant que discipline est une affaire d’opinion mais n’a pas de caractère scientifique.

Que faire ?

Ce rapide survol suggère des voies d’amélioration qui sont en fait identifiées depuis longtemps : recentrage sur l’analyse économique de l’enseignement des sciences économiques et sociales au lycée, transmission des bases d’une culture économique solide dans toutes les grandes écoles comme dans les programmes de formation des journalistes et des magistrats.

Mais elles sont difficiles à mettre en œuvre dans un pays où l’économie a une si mauvaise image. C’est un travail de longue haleine. Mais montrer à l’opinion que les artistes, qu’ils soient écrivains, poètes, peintres, sculpteurs, cinéastes, photographes se sont intéressés aux activités économiques et plus encore à ceux qui les réalisent lui permettrait sans doute d’appréhender différemment le monde qui l’entoure et en particulier d’éviter d’idéaliser le passé, de déprécier le présent ou de s’effrayer de l’avenir. C’est un des aspects de l’action entreprise par le collectif Art faber .

S’intéresser aux représentations artistiques du travail, de l’entreprise et plus généralement des mondes économiques pourrait bien être une piste fructueuse à suivre pour aplanir les difficultés et faire reculer cette inculture qui handicape lourdement notre pays.

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