Le Maroc est un pays dynamique, son économie est diversifiée, son système politique présente une certaine stabilité dans une région en proie à des crises à répétition. Ce pays a fait montre d’une résilience étonnante face aux chocs exogènes. La gestion remarquée de la pandémie de covid et la bonne prise en main du séisme survenu dans les environs de Marrakech sont les exemples les plus éclatants.
Pays dynamique
Sa diplomatie n’est pas en reste. La question du Sahara occidental, « la mère des batailles », continue à engranger des succès. Le ralliement d’un certain nombre de pays qui comptent dans l’échiquier politique international à la position marocaine en est la preuve. L’organisation de la prochaine Coupe d’Afrique des Nations en 2025, comme en 2030, celle de la Coupe du monde de football , avec l’Espagne et le Portugal, constituent à n’en pas douter des victoires à mettre au profit de ce dynamisme. Sans oublier la prouesse de l’équipe nationale marocaine à la faveur de la dernière Coupe du monde de football organisée au Qatar.
La diversification de l’économie est un puissant facteur de résilience face aux crises à répétition. L’agriculture se modernise, l’industrie s’affirme avec un secteur automobile dont l’intégration locale dépasse les 60 %, et l’aéronautique prend son envol avec un taux d’intégration de près de 40 % . Le tourisme, moteur essentiel de la croissance, attire un flot continu de visiteurs malgré les secousses mondiales. Les atouts du pays, entre patrimoine culturel riche, paysages diversifiés du désert à la montagne, des plages aux plateaux, et une infrastructure de pointe (ports, aéroport, train à grande vitesse, autoroutes), demeurent indéniables.
Par ailleurs, le pays s’est toujours distingué par une ouverture très prononcée de son économie, particulièrement vers les pays occidentaux, comme en témoignent les nombreux accords d’association signés avec certains pays (Union européenne , États-Unis etc.). Les relations avec la France sont fortes et diversifiées. Le Maroc est le premier partenaire commercial de la France en Afrique, et le second dans la région MENA (Afrique du Nord et Moyen-Orient).
Depuis peu, cette ouverture s’est poursuivie vers d’autres contrées, surtout africaines. Les investissements marocains dans certains de ces pays (Sénégal, Côte d’Ivoire par exemple) connaissent une évolution ascendante. Pour accompagner ces orientations, les banques marocaines n’ont pas hésité à s’installer dans ces pays , et la compagnie aérienne marocaine (Royal Air Maroc) a tissé un réseau solide, connectant Casablanca, la capitale économique du royaume, à plusieurs villes africaines.
Les investissements directs étrangers connaissent certes un fléchissement ces dernières années, mais la dynamique d’ensemble demeure, somme toute, positive. Il est à signaler que la France reste l’un des principaux investisseurs étrangers (premier en termes de stock) au royaume du Maroc, dans l’industrie (avec la réussite éclatante du projet structurant de Renault ), mais aussi dans l’immobilier, les services et le commerce.
L’inflation a battu des records en 2022 comme dans la plupart des pays, suite au conflit russo-ukrainien, mais elle a commencé à se stabiliser en 2023. Le déficit budgétaire diminue d’année en année et commence à se consolider (4 % prévu en 2024), et ce malgré les différents chocs internes (sécheresse à répétition, séisme) et externes (covid, guerre). La dette publique demeure soutenable (70 % du PIB), avec une maturité confortable (six ans en moyenne). La diaspora marocaine continue de déverser un flux ininterrompu d’argent pour aider sa famille et participer au développement du pays. Les remises de fonds ont dépassé dix milliards de dollars en 2023, ce qui constitue un record ! La croissance se situe dans la tranche supérieure des pays MENA (pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord), même si le pays ne converge pas vers son sentier de croissance potentielle déterminé par la croissance de la population et celle de la productivité du travail.
Un trou dans la raquette
Tout baigne alors. Hé bien non ! Il y a un trou dans la raquette. La croissance marocaine ne crée pas assez d’emplois et même, fait étonnant, elle en détruit !
Malgré tous les atouts précédemment cités, le volume de l’emploi a baissé de 297 000 postes entre le troisième trimestre de 2022 et le troisième trimestre de 2023. Ces données sont aussi inquiétantes qu’inédites. Les conséquences sont immédiates sur le taux de chômage qui demeure préoccupant et le taux d’activité dramatiquement faible. Si le taux de chômage officiel est de 13,5 %, celui des jeunes (15 à 24 ans) enregistre un taux record de 38,2 %, et les diplômés de presque 20 %. Cela signifie que le Maroc ne parvient pas à intégrer sa jeunesse dans le marché du travail malgré une main-d’œuvre riche, entravant ainsi la croissance.
Le Maroc, ayant déjà achevé sa transition démographique, s’apprête à affronter les défis du vieillissement de sa population. L’allongement de l’espérance de vie et la diminution de la fécondité mettent en péril son système de retraite par répartition. Des problèmes de riches dans un pays pauvre. Par ailleurs, les chiffres du chômage contredisent la théorie économique selon laquelle le capital humain protège contre le chômage. Au Maroc, être diplômé accroît la probabilité de chômage, risquant d’encourager le décrochage scolaire, surtout chez les familles défavorisées.
Les inégalités liées au genre aggravent la situation. Celles-ci se reflètent dans les écarts dans le volume de travail annuel et les rémunérations. Une proportion significative de femmes est souvent moins en emploi ou à temps partiel, accentuant ainsi l’inégalité salariale. Cette dernière découle de la distribution inégale des professions entre les sexes, où les emplois féminins diffèrent généralement de ceux occupés par les hommes, tant au niveau des secteurs d’activité que des échelons de rémunération. Cette situation n’est évidemment pas l’apanage exclusif du Maroc.
Si l’on s’en tient au taux de chômage, il avoisine les 20 % pour les femmes contre 13,5 % au niveau national. De plus, le taux d’activité féminine est parmi les plus bas au monde (18,4 % contre 68,7 % pour les hommes), en dépit des preuves empiriques soulignant la productivité accrue des femmes. Quand ces dernières gèrent le foyer, les résultats, en termes de scolarité des enfants ou de la gestion des deniers du ménage, sont largement supérieurs à ceux obtenus par les hommes. De même, les entreprises gérées par les femmes s’en sortent mieux que celles gérées par les hommes.
Avec une croissance de 3 % en 2023, l’économie marocaine détruit près de 300 000 emplois. Alors qu’auparavant, 1 % de croissance générait 50 000 emplois, aujourd’hui, 1 % de croissance en détruit 100 000. Dès lors, ne faut-il pas se concentrer sur la création d’emplois au lieu de se focaliser sur ce mantra de la croissance économique ?
Mauvaise allocation des ressources
La création de richesse nécessite capital et travail. Le Maroc possède une main-d’œuvre jeune, bien formée, et pour ne rien gâcher, bon marché. Avec un taux d’investissement impressionnant, l’un des plus élevés au monde (34 % ), les ingrédients de la croissance sont a priori réunis. Seulement, on oublie le troisième élément qui a son importance, à savoir la façon de les combiner, une alchimie délicate de valorisation et d’ajustement des facteurs de production. C’est là où le bât blesse.
D’abord, bien qu’élevé, le taux d’investissement ne reflète pas pleinement l’effort du pays à transformer l’épargne en investissement productif, dépendant de la qualité de cet investissement.
Ensuite, les investisseurs privés ne prenant pas de risque, l’essentiel de l’investissement national est du ressort de l’État, créant ainsi une disjonction entre investissement public et privé. Enfin, quand les investissements directs étrangers augmentent, les investissements privés les suivent (par la création de joint-ventures par exemple). Ces derniers font supporter le risque aux investisseurs étrangers. Une complémentarité s’installe dès lors entre investissement étranger et investissement marocain.
La stratégie marocaine mise sur l’attraction des investissements directs étrangers, en créant un écosystème industriel concentré sur un nombre restreint d’entreprises, négligeant ainsi les PME-PMI, représentant pourtant 90 % des entreprises et la majorité des emplois. Malgré les incitations gouvernementales, telles que des baisses d’impôts sur les sociétés et sur les dividendes, les résultats escomptés tardent à se manifester, créant un paradoxe au cœur de cette stratégie pro-business.
En outre, l’omniprésence et l’omnipotence du secteur informel, absorbant 60 % des emplois, maintiennent les jeunes, en particulier ceux de 18 à 25 ans, issus de zones rurales ou de quartiers défavorisés des grandes villes, dans une fragilité grandissante et une précarité sans nom. Cette mauvaise allocation des ressources n’est en aucun cas le fruit du hasard, loin s’en faut.
Les racines du mal
Ce constat révèle le manque de confiance d’un acteur clé dans le processus de croissance, à savoir le secteur privé. Connaissant les rouages de la création de richesse, il opte pour des investissements dans des niches peu risquées et peu propices à la création d’emplois, reproduisant ainsi le comportement d’une économie rentière.
Attaquer les racines du mal implique de lever les multiples contraintes qui entravent le secteur privé, tel que préconisé par les instances internationales. Ces obstacles comprennent les barrières à l’entrée, les difficultés d’accès aux terrains industriels, les lourdeurs bureaucratiques, un système judiciaire trop complexe, des procédures de marchés publics trop lentes, et un capital social limité. Derrière cette terminologie, se cache le cœur même de toute forme de croissance, la substantifique moelle de tout processus de développement : le système de la prise de décision.
Pour réussir à croître de manière significative et à créer des emplois durables, il est essentiel d’avoir des institutions inclusives, partageant équitablement les opportunités entre les citoyens. Le pouvoir de décision ne devrait pas être l’apanage d’une élite politico-économique cherchant à améliorer son propre bien-être, mais plutôt partagé par le plus grand nombre. Cette distribution équilibrée du pouvoir facilite l’accès à une éducation de qualité pour tous, tout en réduisant les tensions au sein de la société.
L’histoire démontre que les groupes d’intérêt s’opposent généralement à un tel partage. La tâche de construire des institutions inclusives revient aux citoyens eux-mêmes. Un défi colossal, mais un programme nécessaire pour une véritable révolution économique.