Par Alain Mathieu.
« Un coup dans le dos », « brutal », un « mensonge », de la « duplicité », une « confiance trahie », sont les termes employés par Jean-Yves le Drian , ministre des Affaires étrangères, pour justifier sa « colère » à l’annonce le 15 septembre par le gouvernement australien de la résiliation d’un contrat d’achat à Naval Group , une entreprise publique française, de 12 sous-marins à propulsion diesel.
Selon les informations fournies au Parlement australien, le montant de cet achat était de 56 milliards d’euros, ce qui représente huit années d’exportations françaises de matériel militaire. Le contrat prévoyait que 60 % de la construction seraient réalisés dans des chantiers navals australiens.
Choc chez les dirigeants français et européens
Cet achat résultait d’un « accord de partenariat stratégique » signé en 2012 par le Premier ministre australien, Kevin Rudd, confirmé par des accords signés en 2016 et 2019, le dernier de 1500 pages. 900 millions d’euros auraient déjà été versés par le gouvernement australien « ou sont en cours de versement ».
La colère de Jean-Yves le Drian était d’autant plus justifiée que la veille du jour de résiliation du contrat, le gouvernement australien écrivait qu’il était « satisfait du déroulement du programme ». Cette colère s’est traduite par le rappel des ambassadeurs français à Canberra et à Washington puisque les États-Unis ont remplacé la France en vendant à l’Australie huit sous-marins à propulsion nucléaire.
Emmanuel Macron est resté silencieux pendant une semaine, avant de publier le 22 septembre un « communiqué conjoint » à la suite d’un entretien téléphonique avec Joe Biden.
D’après ce communiqué, les deux présidents « sont convenus que des conversations ouvertes entre alliés …auraient permis d’éviter cette situation… Ils ont décidé de lancer un processus de consultations approfondies… L’ambassadeur retournera à Washington la semaine prochaine ».
La colère du ministre ne semble donc pas partagée par le président, qui annule la sanction symbolique du ministre après avoir déploré que des conversations ouvertes n’aient pas eu lieu.
De son côté, Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a jugé la situation « inacceptable », tout en déclarant : « Nous voulons savoir ce qui s’est passé ». Ce qui est plutôt contradictoire : comment juger inacceptable une situation que l’on ne connait pas ?
Le président de Naval Group a déclaré qu’il ne poursuivrait pas en justice son client pour demander des indemnités de résiliation. Chacun sait pourtant que pour un gros achat un acheteur verse au fournisseur un acompte qui reste au fournisseur en cas de résiliation. Il est difficile d’imaginer que parmi les 1500 pages de l’accord de 2019, il n’y avait aucune mention d’un tel acompte ni d’une indemnité en cas de résiliation.
Dès le mois de juin, les médias australiens (ABC News et Sydney Morning Herald) ont signalé que le ministère australien de la Défense « cherche des alternatives ». Le Premier ministre australien a déclaré qu’il avait « dit très clairement » à Emmanuel Macron qu’il avait de « profondes et graves réserves » sur cet achat.
En effet un sous-marin à propulsion diesel est plus bruyant et donc plus facile à détecter qu’un sous-marin à propulsion nucléaire. Il doit fréquemment se recharger en fuel, ce qui limite son autonomie, alors que le rechargement en uranium est fait tous les dix ans. Les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la France comme ses sous-marins d’attaque, de mêmes formats que les sous-marins vendus à l’Australie, sont à propulsion nucléaire et ont été fabriqués par Naval Group, qui a en outre signé avec le Brésil un contrat pour la fourniture de sous-marins et la conception, pour 6,7 milliards d’euros, d’un sous-marin à propulsion nucléaire. L’Inde loue à la Russie des sous-marins à propulsion nucléaire.
Naval Group était donc capable de proposer à l’Australie des sous-marins à propulsion nucléaire, et l’a fait dès cet été. Sans obtenir de réponse.
Les raisons de l’Australie
Dans un article publié par le journal Le Monde , Kevin Rudd, l’ancien Premier ministre australien signataire de l’accord de partenariat stratégique de 2012, affirme que le gouvernement australien pouvait légitimement changer d’avis sur le mode de propulsion de ses sous-marins. Ce changement est justifié par l’agressivité nouvelle de la Chine qui a par exemple augmenté massivement ses droits de douane sur le vin, l’orge et le bœuf australiens et interdit ses ports à des bateaux provenant d’Australie.
Le gouvernement australien a donc des raisons de rechercher une meilleure protection par des sous-marins à propulsion nucléaire et un renforcement de ses liens avec les États-Unis. Cependant, Kevin Rudd estime que le gouvernement australien aurait dû alors procéder, notamment dans l’intérêt du contribuable australien, à un nouvel appel d’offres international pour la fourniture de ces sous-marins.
Des enquêtes pour répondre aux questions sur la crise des sous-marins
Des commissions d’enquête du Sénat et de l’Assemblée nationale sont en cours de constitution. Elles devront répondre aux questions suivantes : Quelles sont les clauses d’acomptes et d’indemnités de résiliation prévues dans l’accord de 2019 ? S’il n’y en a pas, qui est responsable de leur absence ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de « conversations ouvertes » avec nos alliés alors que le changement du mode de propulsion demandé par l’Australie était bien connu ? Pourquoi la diplomatie française n’a-t-elle pas insisté pour que l’Australie réponde à la proposition de Naval Group de sous-marins à propulsion nucléaire et lance un appel d’offres international ? Pourquoi le président de Naval Group ne poursuit-il pas son client en justice et pourquoi le gouvernement français ne lui demande-t-il pas de le faire ? Quelles sanctions le gouvernement français doit-il prendre à l’égard des responsables de ce fiasco ?
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