Un article de l’IREF Europe
Ce n’est pas nouveau en France : le marché de l’immobilier souffre des nombreuses restrictions qui pèsent sur lui. Entre le contrôle des loyers , la limitation des constructions, la subvention de la demande via les aides pour le logement (APL) ou encore les contraintes qui pèsent sur les propriétaires, l’offre privée est sciemment limitée par le législateur . Il existe un autre facteur dont on parle un peu moins, mais tout aussi néfaste pour le marché locatif : le taux d’usure.
Quelques affaires ont récemment été évoquées dans l’actualité : par exemple, celle de ce retraité qui ne parvient pas à emprunter 300 000 euros pour acheter un appartement, ou de ce couple auquel on refuse un prêt immobilier malgré 80 000 euros d’apport . Le taux d’usure est un véritable obstacle pour l’accès à la propriété.
Une mesure censée protéger les emprunteurs
Fixé par la Banque de France, c’est le taux maximal auquel un prêt peut être accordé. Censé protéger les emprunteurs d’éventuels abus , il est révisé chaque trimestre en fonction des taux moyens pratiqués par les banques. Problème : dans le contexte économique actuel, les taux bancaires augmentent beaucoup plus rapidement que le taux d’usure.
En effet, la Banque centrale européenne (BCE) remonte les taux d’emprunt d’État pour freiner la course à l’endettement. Rappelons qu’en octobre, ils ont atteint plus de 2,7 % – contre 0 % en début d’année. Cela se répercute nécessairement sur les taux des crédits immobiliers : les banquiers veulent bien prêter, mais à des taux plus élevés – dès lors qu’eux-mêmes se refinancent à des taux plus élevés.
Le 1er octobre, pour débloquer la situation, la Banque de France a augmenté le taux d’usure de 2,6 % à 3,03 % pour les prêts d’une durée inférieure à 20 ans. Suite à cet ajustement, les banques commerciales ont rapidement procédé à des hausses de taux significatives, ce qui a eu le mérite de débloquer certains dossiers de prêt. Mais cette hausse du taux d’usure risque fort de se révéler rapidement insuffisante si les banques estiment que leurs taux doivent être de nouveau rehaussés.
Ainsi, le décalage entre le taux d’usure (réglementaire) et les taux du marché empêche les particuliers d’accéder à la propriété. Quand bien même ils sont en mesure de rembourser à des taux plus élevés, leur dossier est obligatoirement refusé. Aujourd’hui, on estime que le taux d’usure constitue entre20 % et 30 % des causes de refus .
Intérêt et usure : une distinction moyenâgeuse
Historiquement, la régulation du prêt à intérêt est plurimillénaire. En 1750 avant J.-C., le Code d’Hammurabi prévoit déjà un montant maximal des taux pratiqués dans la société babylonienne (de 20% ou 33 % selon la nature du produit). De nombreux débats avaient lieu chez les scolastiques, de Duns Scot à Saint Thomas d’Aquin.
Ce dernier était hostile à tout intérêt sur les prêts de survie, mais admettait que soit rémunéré l’argent de celui qui s’en privait pour le prêter à un tiers qui le faisait fructifier en l’investissant. C’est à la fin du Moyen Âge qu’une distinction émerge entre l’intérêt – pratique considérée comme acceptable, et l’usure – jugée moralement condamnable.
Aujourd’hui, cette distinction moyenâgeuse est reprise dans la législation française – et repose sur l’idée selon laquelle l’État doit protéger les plus faibles. Mais la conséquence est que cette protection leur nuit, en leur interdisant d’emprunter.
L’ignorance de l’histoire économique
Les conséquences des lois sur l’usure ont été analysées dès 1766 par l’économiste Turgot. En partant du constat que l’emprunt a un impact considérable sur l’activité économique, il a identifié les contraintes institutionnelles comme principale cause des rationnements.
Le mécanisme de l’intérêt est simple : il est basé sur la demande et l’offre de fonds qui peuvent être prêtés, ainsi que sur le risque attaché à chaque prêt particulier (du fait de la situation de l’emprunteur, du montant du prêt ou encore de sa durée). Plus le risque est élevé, plus le taux d’intérêt l’est aussi. Fixer un taux d’usure maximal et uniforme par la force légale vient fausser cette information : les prêteurs ne sont plus rémunérés à hauteur du risque réel, et par conséquent, la demande ne trouve plus d’offre.
C’est exactement ce à quoi on assiste aujourd’hui : il y a beaucoup plus de demandes de prêts immobiliers que de financements accordés, au risque de mettre en difficulté de nombreux Français.
La Banque de France aurait donc tout intérêt à réduire ces contraintes et introduire plus de concurrence dans le secteur bancaire. Mais une telle ignorance est-elle étonnante de la part d’une institution dans la main de l’État , et si éloignée de la réalité du marché ?
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