Par Jean-Laurent Casanova.
Un article de The Conversation.
On sait aujourd’hui que l’âge est le facteur de risque principal de développer une forme grave de Covid-19, nécessitant une admission en réanimation. Mais pourquoi ? Le Pr Jean-Laurent Casanova a codirigé des travaux visant à répondre à cette question, dans le cadre d’une collaboration internationale impliquant le Laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses (Université de Paris/Inserm). Il nous présente ses résultats.
The Conversation : Pouvez-vous nous rappeler en quoi consistent les formes graves de Covid-19, et combien de personnes sont concernées ?
Jean-Laurent Casanova : Dans 70 % des cas, l’infection par le coronavirus SARS – CoV–2 est soit asymptomatique, soit elle se traduit par une infection des voies aériennes supérieures (nez, gorge, pharynx, larynx). Chez 30 % des personnes contaminées, cette infection donne lieu à une pneumonie, autrement dit une atteinte des poumons. Si les deux tiers des patients concernés se remettent sans aller à l’hôpital , un tiers d’entre eux doit être hospitalisé pour recevoir un apport d’oxygène. Et un tiers environ de ces patients hospitalisés finiront intubés, voire devront être mis sous oxygénation extracorporelle.
On sait depuis le printemps 2020 que le principal facteur influant sur la survenue de ces formes sévères est l’âge : le risque de faire une pneumonie oxygénodépendante lorsqu’on est infecté par le SARS-CoV-2 double approximativement tous les cinq ans. Chez les enfants de cinq ans, il est de 0,001 %, tandis qu’il atteint les 10 % à 85 ans. C’est un écart gigantesque, d’un facteur 10 000.
En comparaison, tous les autres facteurs de risque sont minimes au plan épidémiologique. Ce point est important à comprendre : certes, il existe d’autres facteurs de risque, tels que l’obésité par exemple. Mais ils augmentent le risque d’être victime d’une forme sévère bien moins que le vieillissement.
TC : Avec vos collaborateurs, vous cherchez à identifier les mécanismes moléculaires et cellulaires responsables de cette situation. Qu’avez-vous appris jusqu’à présent ?
J.-L. C. : En octobre de l’année dernière, nous avions découvert les mécanismes expliquant un peu plus de 10 % des formes graves de Covid-19.
Nous avons identifié, chez environ 3 % des malades concernés, l’implication de maladies génétiques. Celles-ci affectent les chromosomes non sexuels (aussi appelés autosomes), ce qui signifie qu’elles sont également réparties entre les hommes et les femmes.
(le génome humain est composé de 23 paires de chromosomes : 22 paires formées chacune de deux exemplaires d’un même chromosome (notés de 1 à 22), de même taille, et une paire de chromosomes sexuels (notés X et Y, dont la taille diffère), qui déterminent le sexe. Les femmes possèdent une paire de chromosomes X, tandis que les hommes ont un chromosome X et un chromosome Y, ndlr)
Ces maladies génétiques ont un impact sur la production ou la réponse aux interférons de type I, des protéines impliquées dans l’immunité innée antivirale .
Par ailleurs, nous avons également mis en évidence dans une autre étude que plus de 10 % des malades atteints de formes sévères possédaient des autoanticorps qui neutralisaient les interférons de type I . Ces autoanticorps n’étaient retrouvés chez aucune des personnes asymptomatiques ou peu symptomatiques.
Des analyses menées sur des échantillons provenant d’individus âgés de 20 à 69 ans prélevés avant la pandémie de Covid-19 ont aussi révélé que ces anticorps étaient présents chez 0,3 % d’entre eux. Il semblerait donc qu’ils ne soient pas produits en réponse à la maladie.
Nous avions en outre remarqué à l’époque que les maladies génétiques touchaient plutôt les sujets âgés de moins de 60 ans, tandis que les autoanticorps se trouvaient plutôt chez des malades de plus de 60 ans.
TC : En septembre dernier, vous avez publié de nouveaux travaux sur le sujet. Que nous apprennent-ils de plus ?
J.-L. C. : Nous avons publié deux nouveaux articles qui complètent les résultats des études de 2020.
Le premier article concerne l’identification d’une maladie génétique liée au chromosome X, impliquée dans 1 à 2 % des formes graves de pneumonies chez les hommes de moins de 60 ans.
Dans le second article , nous avons à nouveau testé les propriétés neutralisantes d’échantillons de plasma ou de sérum de patients victimes de formes sévères vis-à-vis de l’interféron de type I, mais à des concentrations 100 fois plus faibles que dans nos travaux précédents (donc plus proches des concentrations que l’on retrouve dans l’organisme). Les résultats obtenus indiquent que ces autoanticorps ne sont pas présents chez 10 % des malades, comme on le pensait initialement, mais plutôt chez 15 % d’entre eux.
L’autre enseignement important de cet article est que la prévalence des autoanticorps dans la population augmente avec le temps. Elle est à peu près stable jusqu’à l’âge de 60 à 65 ans (ils sont alors présents dans 0,3 à 0,7 % de la population), puis elle bondit à partir de 65 ans, pour passer à plus de 4 % au-delà de 70 ans, et à plus de 7 % au-delà de 80 ans.
Grâce à l’ensemble de ces résultats, on explique donc aujourd’hui environ 20 % des formes pulmonaires graves de Covid-19.
TC : L’augmentation des autoanticorps avec l’âge explique en partie l’augmentation des formes graves avec l’âge, mais pas en totalité…
J.-L. C. : Les autoanticorps expliquent environ 15 % des formes graves de Covid-19, mais ils expliquent au moins 20 % des formes graves chez les plus de 80 ans. Et ils expliquent également 20 % des décès dus à la Covid-19, à tous les âges.
Il est clair qu’en l’état actuel des connaissances, les autoanticorps n’expliquent pas toutes les formes sévères du grand âge. Une raison pourrait en être la façon dont on les détecte aujourd’hui, qui n’est peut-être pas optimale. Mais ce n’est qu’une hypothèse, la seule chose certaine, ce sont les données que nous avons publiées.
Quoi qu’il en soit, la Covid-19 est une maladie relativement simple à comprendre, au final : si une personne infectée par le SARS-CoV-2 possède de l’interféron de type I en quantité suffisante, elle va parvenir à se débarrasser du coronavirus lorsque celui-ci va tenter d’envahir ses voies respiratoires supérieures. En revanche, si elle n’en a pas assez, pendant les premiers jours le virus va se disséminer dans les poumons, dans le sang et dans d’autres organes. Après huit ou dix jours, il se sera répandu de façon relativement silencieuse dans tous l’organisme. À ce moment-là, l’organisme subira une inflammation importante, notamment dans les poumons : c’est la « tempête cytokinique ». Cette inflammation systémique est la conséquence du fait que les interférons de type I n’ont pas agi pendant la première semaine.
TC : Les patients qui possèdent ces autoanticorps anti-interféron de type I sont-ils plus sensibles aux autres infections virales ? Cette découverte a-t-elle des implications en matière de vaccination ?
J.-L. C. : Les patients concernés n’avaient pas d’antécédents particuliers de maladie virale. Ils n’avaient par exemple pas développé de formes sévères lors d’infections par le virus de la grippe. Cela suggère que l’immunité conférée par l’interféron de type I est essentielle dans la lutte contre l’infection par le SARS-CoV-2 au niveau de l’appareil respiratoire.
Nous sommes actuellement en train de tester d’autres cohortes de patients (victimes d’infections virales par le virus de la grippe, le virus Zika, le virus varicelle-zona…) afin de déterminer si ces autoanticorps peuvent être impliqués dans d’autres maladies virales.
En ce qui concerne la vaccination, l’année dernière nous avions publié des résultats montrant que, dans environ un tiers des cas, les réactions adverses survenant après la vaccination par le vaccin vivant contre la fièvre jaune étaient dues à de tels autoanticorps.
Notre équipe étudie actuellement les cas de personnes vaccinées contre la Covid-19 qui développent malgré tout des formes sévères.
TC : D’où viennent les autoanticorps ? Comment s’explique leur augmentation avec l’âge ?
J.-L. C. : On sait que chez une partie des sujets relativement jeunes concernés par le problème, la sécrétion de ces autoanticorps est déclenchée par certaines maladies génétiques.
Ce que l’on ne sait pas encore, c’est pourquoi tout à coup, à partir de 65 ans, ce qui était relativement rare dans la population devient commun. Nous sommes en train d’explorer plusieurs hypothèses pour tenter de l’expliquer, mais c’est assez compliqué. Il a en outre été montré qu’à mesure qu’on vieillit, le niveau d’interféron dans notre organisme diminue, que ce soit dans le sang ou dans les tissus. Cela participe certainement de l’augmentation du risque de survenue de formes de Covid-19 sévères avec l’âge.
TC : On sait que les hommes sont davantage sujets aux formes sévères. Retrouve-t-on une différence homme-femme en ce qui concerne les autoanticorps anti-interféron de type I ?
J.-L. C. : Il existe effectivement davantage d’anticorps contre les interférons chez les hommes que chez les femmes, mais pour l’instant on ne sait pas pourquoi.
TC : Quelles sont les implications de ces découvertes en matière de diagnostic ? De prise en charge ?
J.-L. C. : La recherche d’autoanticorps est déjà utilisée dans un certain nombre d’hôpitaux pour établir un pronostic et intervenir en conséquence. On sait en effet que si un patient possède des autoanticorps, il a un risque énorme de développer une forme grave.
En ce qui concerne la prise en charge, en dehors de traitements génériques comme les corticoïdes, on peut envisager une plasmaphérèse. Cette technique extracorporelle consiste à relier la circulation sanguine du malade à une machine qui va séparer le plasma sanguin (et les anticorps qu’il contient) et le remplacer par une solution artificielle.
On peut aussi envisager de traiter les malades qui possèdent des autoanticorps anti-interféron de type I avec de l’interféron bêta, pour tenter de les neutraliser. Le problème est que ces autoanticorps ne reconnaissent que rarement l’interféron bêta. Par ailleurs, ce traitement n’est potentiellement efficace que dans les premiers jours de la maladie ; ensuite il est trop tard. On peut enfin utiliser des anticorps monoclonaux qui neutralisent le virus.
Jean-Laurent Casanova , Professeur, Université de Paris
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original .
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