Par Jonathan Frickert.
« Nous sommes en guerre ». Cette phrase, répétée sept fois lors du discours du président de la République ce lundi, témoigne de la gravité de la situation. La crise est considérée par certains comme étant la plus grave qu’ait connue la France depuis 1945, mais contrairement à ce qu’évoque Emmanuel Macron , sans doute – pour l’instant – pas la plus grave depuis la grippe espagnole qui avait fait entre 150 et 250 000 victimes dans l’Hexagone.
Alors qu’un confinement qui ne dit pas son nom a été mis en place depuis mardi midi, la crise sanitaire actuelle s’apparente de plus en plus à une dystopie tantôt communiste, tantôt nationaliste. Pénuries et récession d’un côté, retour des frontières et soumission à l’intérêt national de l’autre, le tout associé à une politique de contrôle aigu de la circulation des individus allant jusqu’à l’usage de drones dignes d’un roman de science-fiction.
Ce sont près de 100 000 policiers et gendarmes qui ont été déployés depuis mardi, soit un agent pour 680 personnes. Une situation à la hauteur d’une maladie inégalitaire, bénigne dans 90 % des cas, mais violente, voire dramatique, pour les 10 % restants.
Ces mesures font suite à une première batterie de décisions incluant l’encadrement des prix du gel hydroalcoolique qui a déjà entraîné une pénurie attendue dans les officines pharmaceutiques.
Si ces mesures ne sont pas l’apanage de la France, la séquence témoigne d’une dynamique particulière du pouvoir en France, entre mesures exceptionnelles et absence de base sur laquelle s’appuyer. Le macronisme de crise s’apparente à un géant à une patte.
Une impréparation criminelle
« C’est comme un long dimanche dont on ne connaît pas la fin », me disait ce lundi une passante dans les rues de Mulhouse, principal foyer de l’épidémie et dont les services sanitaires sont débordés depuis plusieurs jours au point qu’un hôpital militaire y a été déployé.
Le même jour, nombreux étaient les Français qui avaient la sensation de vivre une période que l’Histoire marquera d’une pierre blanche. Certains tentaient tant bien que mal de vivre un moment convivial avant que l’annonce fatidique du confinement ne soit faite le soir même par le président de la République. Une période où le télétravail rejoint le chômage partiel jusque dans l’audiovisuel, où le recours à Facetime et aux liaisons téléphoniques devient monnaie courante.
Si certains anticipent déjà une recrudescence des demandes en divorce et des dépressions voire des violences conjugales dans les semaines qui arrivent, l’annonce du confinement national a provoqué d’ores et déjà un exode urbain sans précédent.
Une crise se définit par une rupture d’équilibre. Comme dans toute crise, celle qu’a provoquée le Covid-19 a créé deux France. La première vit comme si de rien n’était, estimant qu’on « ne doit pas céder à la peur », comme si l’épidémie était comparable à une vague terroriste.
La seconde, plus frileuse, a rapidement cédé à la panique et s’est ruée dans les magasins, créant une pénurie qu’elle prétendait combattre. Une France inconsciente faisait alors face à une France craintive. C’est bien cette dernière qui l’a remporté ce lundi lors de l’annonce des mesures prises par le chef de l’État, alors que ce dernier n’a pas hésité à prioriser les stocks de gels hydroalcooliques vers les bureaux de vote au grand dam des officines pharmaceutiques qui réclament désormais leur dû maintenant que le report du second tour des élections est acté.
Un choix étonnant qui interroge sur l’objectif réel du confinement décrété en début de semaine. Plutôt que de faire payer l’inconséquence de population, l’exécutif ne fait-il pas payer aux Français l’impréparation d’une politique de santé pourtant louée au début de l’épidémie ? Pour rappel, Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, estimait fin janvier que « notre système de santé [était] bien préparé » à une épidémie dont le risque d’importation depuis Wuhan était « pratiquement nul » en raison de l’isolement de la ville.
La France a la chance d’avoir des professionnels extrêmement compétents dans de nombreux domaines. La santé n’y fait pas exception. Nous avons indéniablement un des meilleurs personnels de santé au monde. Le problème réside dans la gestion politique.
Ainsi, la même Agnès Buzyn a brisé l’omerta ce mardi , révélant avoir alerté un chef de l’État sourd à son alarmisme. Il n’est pas déraisonnable de mettre cette affaire sous le coup du respect de la hiérarchie exécutive confrontée à une gestion de crise. Se pose alors la question de qui, des Français ou de l’État, a le plus peur de l’épidémie.
L’impréparation comme politique de santé
Le chef de l’État aura donc parlé deux fois en cinq jours. Une fréquence témoignant de la gravité de la situation, mais inversement proportionnelle à la légitimité de l’exécutif dans les territoires.
Le contexte sanitaire a vidé par avance ce premier tour des élections municipales de toute légitimité, même si les Français ont montré qu’ils ont été plus prudents que les autorités pourtant garantes de leur sécurité. L’absence d’appuis locaux au président y est donc totalement indépendante.
Le confinement a d’ores et déjà porté ses fruits sécuritaires, avec une augmentation des tensions dans le pays. Les vidéos de violences dans les magasins se multiplient sur les réseaux sociaux alors que l’Occitanie connaît une tension pénitentiaire suite à la suppression des parloirs.
Autant de révélateurs d’une gestion compliquée de la pandémie par l’exécutif, alors que la ministre en charge du dossier a été remplacée au pied levé à la veille de la crise. Une ministre issue elle-même du secteur médical et qui a brisé le silence sur la gestion présidentielle alors qu’à la vassalité macronienne s’ajoute une ambiance d’union nationale.
« On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade ». C’est par ces mots que la polémique a débuté, alors qu’Agnès Buzyn livrait des confessions d ramatiques à l’encontre de la gestion de la crise sanitaire par l’exécutif ce mardi. Des confessions sous forme de mea culpa de celle qui a arrêté sa campagne municipale dès lundi matin.
L’ex-ministre révèle avoir alerté la direction générale de la santé mi-décembre après avoir eu vent de cas d’étranges pneumopathies. Elle aurait ensuite informé le président de la République dès le 11 janvier avant d’avertir Édouard Philippe de l’impossibilité de maintenir les élections deux semaines seulement avant d’avoir accepté de remplacer Benjamin Griveaux dans la bataille de Paris.
Malgré une dernière semaine de campagne compliquée sur le plan épidémique, l’équipe de la candidate aurait envoyé pas moins de 500 000 textos afin de mo tiv er les Parisiens à aller voter en faveur de la candidate du parti présidentiel. Des révélations qui ont eu un effet boule de neige, déliant les langues dans le secteur médical et provoquant une levée de boucliers de l’opposition. Certains députés demandent déjà une saisine de la mission d’information parlementaire sur le coronavirus alors que l’ex-ministre évoque un bilan potentiel de plusieurs milliers de morts.
Face à ces révélations, il est difficile de ne pas penser à l’ancien ministre socialiste Jean-Pierre Chevènement, démissionnaire tonitruant dans plusieurs gouvernements entre 1983 et 2000. Devant le danger imminent évoqué par Agnès Buzyn, le silence criminel dans lequel elle s’est plongée est particulièrement incompréhensible.
Si elle regrette aujourd’hui l’interprétation de ses propos, ces derniers ne font que confirmer le sentiment de plusieurs dirigeants européens, qu’il s’agisse de l’ancien chef du gouvernement italien Matteo Renzi ou de la présidente de la Commission européenne .
Plusieurs sources évoquent une impréparation au sommet de l’État, alors qu’il a été annoncé mercredi que l’attestation de sortie sur smartphone n’était finalement plus valable, seulement 24 heures après le début du dispositif. Comme l’évoque un conseiller ministériel , dès le mercredi précédant la première allocution du chef de l’État, « les voyants étaient au rouge ».
Alors que la situation française suit celle que connaît l’Italie, nombreux sont les politiques à plaider pour le report des élections municipales. Le texte semblait même prêt. L’article 16 aurait même été évoqué en haut lieu. Le refus de plusieurs ténors de l’opposition et notamment du président du Sénat aurait provoqué les atermoiements que nous connaissions.
La crise sanitaire montre ainsi un nouvel épisode de l’élyséeologie macronienne.
Une élyséeologie de crise
Emprunté aux archives nationales du Premier ministre, cela fait plusieurs fois que j’évoque ici le concept d’élyséeologie, désignant initialement la pratique gaullienne du pouvoir. Le cas macronien, de par sa spécificité, est l’occasion de remettre cette idée au goût du jour.
La république macronienne s’apparente à un géant à une patte. S’appuyant sur un tissu local inexistant, son équilibre est fragile et d’autant plus en période de troubles.
La crise du Covid-19 montre aujourd’hui une incohérence crasse de la Macronie. Alors que la pratique du président de la République tend à snober les corps intermédiaires, la pratique de crise montre une trop forte perméabilité aux élus locaux, par définition premiers touchés par un potentiel report du scrutin municipal. Emmanuel Macron est donc faible avec les forts et fort avec les faibles.
Un Munich sanitaire
Vue de l’étranger, la gestion française de la crise sanitaire est trop légère par rapport à la situation. Une critique apparemment facile compte tenu des nombreuses inconnues entourant le virus. En réalité, elle n’est pas légère, mais bâtarde. D’une légèreté teintée d’arrogance toute française au début de l’épidémie, elle est désormais contrainte à l’arbitraire.
Cette réaction est tristement logique. La défaillance gouvernementale à répondre à une crise débouche toujours sur des pratiques autoritaires.
Internet nous a rappelé la facilité avec laquelle on arrive à comparer tout et n’importe quoi avec les événements de la Seconde Guerre mondiale, lui faisant perdre toute sa profondeur historique et philosophique. Le point Godwin, forme extrême de cette banalisation, est un instrument dangereux de par son pouvoir de relativisation d’événements d’une gravité qu’il n’est pas inutile de rappeler. Pourtant, la comparaison avec la dernière guerre a naturellement été faite avec la pandémie de Covid-19 du fait de déplacements de calendriers électoraux et sportifs jamais vus depuis 1945.
Lundi soir sur LCI, les propos de l’ancien directeur général de la Santé William Dab perpétuaient cette comparaison en évoquant l’impérieuse nécessité de concilier l’intérêt sanitaire au respect des libertés fondamentales afin de prouver la supériorité des régimes démocratiques sur les régimes autoritaires.
Mercredi, France Culture se demandait si les régimes autoritaires étaient plus efficaces face à l’épidémie. De quoi rappeler les enjeux des années 1930. Frappée par la Grande Dépression, l’Europe voyait deux modèles s’opposer. La France et l’Angleterre s’interrogeaient alors sur la résistance des démocraties en plein boom des régimes fascistes ou fascisants. L’esprit de Munich, nom donné à la frilosité des dirigeants démocrates face à la menace nazie, a largement contribué à l’arrivée au pouvoir du Maréchal Pétain à la suite de la défaite de 1940.
Si l’esprit de Munich est régulièrement cité pour comparer la situation des démocraties occidentales face à la menace islamiste, elle a malheureusement sa pertinence aujourd’hui, alors qu’une bonne partie de l’Europe adopte des pratiques autoritaires.
Le pouvoir de l’expérience
Face au Covid-19, il existe donc deux types de gestion qui s’affrontent. La première, libérale, fait confiance au bon sens des individus. La seconde, dictatoriale, fait confiance à un contrôle social étatique.
La restriction de la liberté de circuler devient alors la norme et, si on évoque souvent le risque qu’un gouvernement autoritaire ne rende jamais le pouvoir une fois élu, il serait dangereux de moquer ceux qui s’interrogent sur la possibilité d’un retour à la normale – le fameux stade 4 de l’épidémie.
Pourtant, il existe des exemples de gestion respectueuse des libertés publiques.
L’idée de confiner les personnes à risque est ainsi séduisante et pourtant nettement insuffisante sans une politique massive de tests de la population. En témoigne le cas britannique dont le pouvoir, plus légitime que jamais après les élections de décembre à l’inverse de ce qu’on connaît de ce côté de la Manche, est largement critiqué pour sa politique consistant à attendre que 60 % de la population soit infectée pour créer une immunité collective. Une gestion qui pourrait entraîner près de 300 000 morts dans le pays et sur laquelle les autorités font aujourd’hui machine arrière.
Cependant, deux gestions respectueuses des libertés sont aujourd’hui saluées dans deux pays asiatiques forts des expériences de la grippe H1N1 et du SRAS. Ainsi, Taïwan plafonne à 49 cas et un décès grâce à une coordination unifiée et à une politique de contrôle des frontières dans un pays où l’hygiène a une place déterminante, lorsque la Corée du Sud connaît une baisse significative du nombre de contaminés grâce à une politique alliant des tests massifs et une forte pression sociale. Le pays, limitrophe d’une des dernières dictatures communistes du monde, connaît l’importance d’une gestion respectueuse des libertés.
La clef d’une bonne gestion de crise réside donc dans la vitesse de réaction, généralement fruit d’expériences précédentes. Espérons que la pandémie de Covid-19 nous serve de leçon pour les tourments à venir. La situation d’une démocratie aussi expérimentée que la France n’est cependant guère pour nous rassurer.
Jeudi dernier, le Washington Post rappela que c’est durant la Grande Peste londonienne de 1665 que Sir Isaac Newton, confiné dans la demeure familiale, a découvert la loi de l’attraction universelle.
Si le système français n’évolue pas, voire régresse, il reste donc à espérer que de ce confinement naissent quelques génies.
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