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Boris Johnson ou le conservatisme incertain

, par  Henri Astier , popularité : 4%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
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Par Henri Astier, depuis Londres.

En remettant leur sort et celui du pays entre les mains de Boris Johnson , les conservateurs britanniques ont choisi le saut dans l’inconnu. Rien ne permet d’affirmer si le nouveau Premier ministre est populiste ou libéral , nationaliste ou globaliste.

Sa longue carrière de journaliste ne nous renseigne guère sur sa philosophie politique. Les articles du jeune correspondant du Daily Telegraph à Bruxelles, de 1989 à 1994, tenaient du ludisme iconoclaste et non de l’argumentation sérieuse : la Communauté européenne, à le croire , recrutait des chiens renifleurs pour s’assurer de l’uniformité olfactive de l’euro-fumier, et se préparait à interdire les chips aux crevettes.

Si nombre de ses articles fleuraient les fake news, leur retentissement dans son pays fut bien réel. Johnson confiera plus tard que pour lui, l’effet comptait plus que les faits : « Tout ce que j’ai écrit à Bruxelles revenait à lancer des pierres dans le jardin d’à côté, et à attendre le bruit de casse provenant dans la serre voisine, en Angleterre. »

Ayant contribué à l’essor du souverainisme conservateur, il adopte une position centriste après son élection au parlement en 2001. En tant que maire de Londres de 2008 à 2016, il prêche les vertus du cosmopolitisme et du marché unique. Ces positions le placent dans le camp libéral, europhile de son parti. Mais lors de la campagne du référendum de 2016, il se rallie au camp du Brexit. De figure de proue du conservatisme centriste, il devient la tête d’affiche d’une droite souverainiste dure.

Boris le caméléon

Son côté caméléon, sa promptitude à adapter son discours à l’auditoire, prêtent mal à une critique théorique. C’est pourquoi les détracteurs de Johnson au sein du camp conservateur concentrent davantage leurs tirs sur sa personnalité que ses idées. Son ancien patron au Daily Telegraph, Max Hastings, l’a déclaré « totalement inapte » au poste de Premier ministre : selon lui Johnson « méprise la vérité » et « n’a pour seuls soucis que sa gloire et son plaisir. » Le doyen des commentateurs tories, Matthew Parris, voit en lui « un flemmard », et un « menteur à répétition ».

Il est vrai que sur la question qui consume la Grande-Bretagne depuis trois ans et demi , Johnson a fait preuve d’une rare constance. Sans son appui, il est douteux que le camp du Leave ait remporté le référendum de 2016. Depuis, Johnson a soutenu une variante intransigeante du Brexit , au nom de laquelle il est allé jusqu’à démissionner du poste de ministre des Affaires étrangères.

Il faut également noter que Johnson a cherché à donner un socle doctrinal à cette position : en quittant l’UE coûte que coûte, avec ou sans accord, déclare-t-il sans relâche, le Royaume-Uni entend renouer avec sa tradition d’individualisme et de libre-échange. Dans une interview récente au journal India Today , il se proclamait « libertarien , tolérant, anti-réglementation, pro-immigration… et favorable à l’autonomie individuelle ». Son premier discours en tant que Premier ministre promettait de rétablir « le rôle historique d’une Grande-Bretagne entreprenante, ouverte sur le monde et véritablement globale ».

Ce langage d’homme de conviction ne convainc pas entièrement. Avant de se prononcer sur le Brexit en février 2016, Johnson avait écrit deux versions de son article, l’une favorable et l’autre hostile au maintien dans l’union. Il a expliqué par la suite que la première n’avait constitué qu’un outil de réflexion. À tout le moins, la question ne semblait pas tranchée dans son esprit.

Des soutiens parmi les brexiters… et les remainers

Il n’est pas certain qu’elle le soit à ce jour. Johnson doit son succès à bien des facteurs – ses talents de bateleur, les erreurs de ses rivaux, la percée du nouveau Brexit Party de Nigel Farage – mais la clarté n’en fait pas partie. Pour s’imposer à une forte majorité lors du vote à la Chambre des communes, il lui a fallu recueillir le soutien de nombreux modérés. Une dizaine d’anciens remainers siège aux côtés de brexiters de stricte observance dans le nouveau cabinet.

Dans la presse, Johnson a obtenu non seulement l’appui du Daily Telegraph, mais aussi celui, plus inattendu, de l’Evening Standard , journal londonien acquis à la cause européiste. Le calcul plus ou moins avoué des johnsonien du lendemain est le suivant : seul Boris a à la fois les instincts internationalistes et la crédibilité auprès des hard Brexiters pour imposer un accommodement avec Bruxelles. Ses palinodies passées, son côté fantasque, et le flou qu’il a entretenu en évitant débats et interviews durant la course au leadership permettent à chacun de projeter sur lui ses espoirs.

Au-delà du type de conservatisme que Johnson incarne, on peut même se demander s’il est conservateur tout court. Le philosophe Michael Oakeshott a défini cette famille politique ainsi : « Être conservateur, c’est préférer le familier à l’inconnu, ce qui est éprouvé à ce qu’on ne connaît pas, le fait au mystère, l’effectif au possible, les bornes à l’illimité. » Par ses appels au changement abrupt, son optimisme radical, et sa foi en sa capacité à plier le monde à sa volonté, Johnson bouscule allègrement tous ces préceptes.

De plus, le conservateur prône les bonnes mœurs et respecte les décideurs économiques. Johnson assume son usage de la cocaïne (dans sa jeunesse) ainsi que ses infidélités conjugales ; à ceux qui soulignent l’opposition des milieux d’affaires à un no-deal Brexit, il se serait exclamé « Fuck business ! »

Le conservatisme britannique a su par le passé se régénérer en important des éléments qui lui étaient extérieurs. Ce fut le cas dans les années 1970 avec l’introduction d’une pensée libérale inspirée de Friedrich Hayek . Margaret Thatcher , toutefois, avait pour elle une solide majorité, du temps, et un projet politique mûrement réfléchi. Boris Johnson ne dispose d’aucun de ces atouts.

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