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Attaques d’Israël en Iran et au Liban. Un coup de poker qui peut mettre le feu aux poudres

, par  Elie Kossaifi , popularité : 2%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
Note aux lecteurs de NotreJournal : il est intéressant de noter que dans l’esprit de certains, c’est Israël et ce sera toujours Israël la fautive de tout !
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Après les deux frappes opérées par Israël à Beyrouth et Téhéran en l’espace de sept heures, les 30 et 31 juillet, on ne peut que s’interroger sur cette « audace » et les calculs de Tel-Aviv. Fort du succès de son voyage aux États-Unis quelques jours plus tôt, Benyamin Nétanyahou toujours décidé à bombarder les Palestiniens jusqu’à la « victoire absolue » contre le Hamas veut-il déplacer le théâtre principal du conflit de Gaza au Liban ? Quelle riposte prépare l’Iran ? Les risques de guerre régionale s’amplifient.

L’assassinat du haut responsable militaire du Hezbollah, Fouad Choukr, à Harat Hreik, quartier densément peuplé de la banlieue sud de Beyrouth, principal fief du parti dans la capitale libanaise, ainsi que celui d’Ismaïl Haniyeh, chef du bureau politique du mouvement Hamas, au cœur de Téhéran, où le leader palestinien s’était rendu pour la cérémonie d’investiture du nouveau président iranien, ne sont pas des opérations anodines. Elles ne peuvent être réalisées sans calculs ni estimations précises, dans le cadre de ce que les Israéliens appellent depuis le 7 octobre 2023 « les calculs de coût et de faisabilité ».

Ces deux opérations actent clairement l’entrée dans une nouvelle phase du conflit en cours depuis le 7 octobre, et plus particulièrement avec le Hezbollah . Cette dernière a été annoncée par le chef d’état-major de l’armée israélienne, Herzi Halevi, dimanche 29 juillet, après l’explosion d’un missile à Majdal Shams, dans le Golan syrien occupé, tuant 12 enfants. Israël a alors déclaré que l’engin était de fabrication iranienne, tandis que le Hezbollah a nié toute responsabilité. Halevi avait assuré que l’armée accélèrerait ses préparatifs en vue de « la prochaine étape des combats au nord [d’Israël] ». De son côté, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah a déclaré, dans son discours du jeudi 1er août en marge des funérailles de Fouad Choukr, que « la guerre est entrée dans une nouvelle étape ».

Un moment opportun

En réalité, ce qui s’est passé à Majdal Shams, abstraction faite de qui en porte la responsabilité, n’aurait pas provoqué ce niveau d’alerte chez les Israéliens s’il s’était produit à un autre moment. Il ne s’agit pas de donner du crédit à ceux qui prétendent qu’Israël aurait volontairement lancé un missile sur le plateau du Golan, afin d’utiliser l’incident comme prétexte pour intensifier son action contre le Hezbollah. Mais dans les faits, cet incident arrive à un moment opportun pour Tel-Aviv, qui avait décidé d’intensifier ses actions contre le Hezbollah, alors que, à l’instar de l’organisation libanaise, Israël avait jusque-là veillé à ce que les affrontements, qui ont lieu depuis le 8 octobre 2023, demeurent sous le seuil de la guerre totale.

Quand le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou est rentré de sa visite, plutôt réussie de son point de vue, à Washington, il affichait la volonté manifeste d’intensifier et d’accélérer le rythme de l’offensive militaire, que ce soit à Gaza, à la frontière libano-israélienne ou même au Yémen. L’assassinat de Haniyeh à Téhéran, mercredi 31 juillet avant l’aube, montre qu’Israël a le bras suffisamment long pour atteindre directement Téhéran, qu’il accuse de se tenir derrière « l’axe de la résistance », et d’être la « tête de la pieuvre ».

Bien que l’administration américaine ait souligné la nécessité de parvenir à un accord entre Israël et le Hamas, selon ce qu’on appelle désormais « le plan de Biden », et bien que les deux candidats américains à l’élection présidentielle de novembre 2024 parlent de la nécessité de mettre fin à la guerre, aucune ligne rouge n’a été tracée contre les élans belliqueux de Nétanyahou durant son séjour à Washington. Au contraire, ce dernier a présenté sa guerre contre Gaza et dans la région comme une défense des intérêts et des valeurs américaines contre « l’axe iranien ». Et aucun responsable américain ne s’y est opposé, si l’on en juge par l’accueil enthousiaste que le premier ministre israélien a reçu au Congrès, malgré l’absence de près d’une centaine de représentants démocrates. Cette réaction permet d’affirmer qu’Israël a le feu vert pour poursuivre, tant qu’il justifie ses attaques par « le droit de se défendre ». Tout cela a rendu plausible une escalade dans la région comme l’ont prouvé ses opérations à Beyrouth et à Téhéran.

Une guerre d’usure

Nous sommes donc face à une escalade israélienne méthodique, qui n’a pas réellement besoin de prétextes, même si l’existence de motifs constitue un plus. Car la décision d’intensifier la confrontation avec le Hezbollah, tout en la limitant avec le Hamas à Gaza, est certainement antérieure au bombardement de Majdal Shams. La raison en est que Tel-Aviv a le sentiment, après près de dix mois de guerre, d’être entraîné par l’Iran et ses alliés régionaux, dans une guerre d’usure. Celle-ci s’inscrit dans la stratégie de la « patience stratégique » que Téhéran arrive à maintenir, malgré sa réponse inévitable au bombardement de son consulat à Damas, en lançant des missiles et des drones sur Israël dans la nuit du 13 au 14 avril 2024. Quelques jours plus tard, Israël a réagi en orchestrant des explosions à Ispahan, dans le centre de l’Iran, dans des circonstances qui demeurent encore inconnues. Ces échanges de bombardements entre les deux pays ont finalement été contenus grâce aux efforts américains. Washington multiplie en effet médiations et communications avec Téhéran pour empêcher que le conflit ne se transforme en une guerre régionale.

Il est fort probable que dans son offensive Tel-Aviv fonde ses estimations et ses calculs sur le principe que l’Iran et le Hezbollah ne veulent pas s’engager dans une guerre globale. Cela signifie que leurs ripostes à toute frappe dirigée contre eux par Israël devraient rester dans une logique de dissuasion mutuelle, en dessous du seuil qui entraînerait une guerre de grande envergure, même si les combats s’étendent progressivement. Or, celle-ci peut devenir inévitable à la moindre « erreur » commise par l’une des parties, à savoir le Hezbollah ou Israël. On peut dire ainsi que la récente « audace » israélienne vient de la conviction profonde que Téhéran ne cherchera pas à étendre le conflit en raison des propositions de Washington concernant l’avenir de la relation entre les deux pays, en particulier en lien avec le dossier nucléaire iranien, la levée potentielle de sanctions qui pourrait s’en suivre, ainsi que la reconnaissance de l’influence régionale de l’Iran. On ne sait pas toutefois si cette certitude vient de la seule estimation israélienne, ou de garanties données par Washington. Il faut aussi tenir compte du fait que Tel-Aviv ne contrôle pas à lui seul les règles de la confrontation, et qu’une réponse intense de la part du Hezbollah, comme son secrétaire général l’a laissé entendre, pourrait l’embourber dans une autre guerre, et pendant une longue période.

Mettre les Américains devant le fait accompli

On ne peut toutefois pas exclure que Benyamin Nétanyahou, qui est animé par des calculs politiques et personnels liés à sa volonté de maintenir sa coalition gouvernementale au pouvoir, avec l’extrême droite rejetant tout cessez-le-feu pour poursuivre les combats jusqu’à la « victoire absolue », veuille mettre les Américains devant le fait accompli, notamment en ce qui concerne la confrontation avec le Hezbollah. Washington serait alors contrainte de soutenir politiquement Tel-Aviv et de lui fournir armes et munitions. C’est ce qu’on a pu constater le mardi 30 juillet au soir, après l’opération dans la banlieue sud de Beyrouth, quand le secrétaire américain à la défense Lloyd Austin s’est empressé de déclarer que son pays aiderait Israël à se défendre en cas de guerre avec le Hezbollah — ce qui constitue le message de dissuasion le plus fort contre le Hezbollah et contre l’Iran de la part des Américains, depuis que Washington a envoyé son porte-avions Eisenhower en Méditerranée orientale fin octobre 2023, avant de le retirer en début d’année 2024.

Dans le même ordre d’idées, le président américain Joe Biden a rassuré Nétanyahou, lors d’un appel téléphonique jeudi 1er août, sur « l’engagement des États-Unis en faveur de la sécurité d’Israël face à toute menace de la part l’Iran », selon un communiqué publié par la Maison Blanche. Le texte indique également que « les efforts pour soutenir la défense d’Israël pourraient impliquer de nouveaux déploiements d’armes défensives américaines » dans la région.

Par conséquent, la forme que prend l’escalade israélienne et son timing confirment que le gouvernement israélien est déterminé à rompre avec les règles en vigueur dans sa confrontation avec le Hezbollah, et à briser les modalités existantes pour mettre en place de nouvelles règles d’engagement plus favorables, et ainsi sortir du cycle de la guerre d’usure qui dure depuis dix mois, sans qu’Israël puisse encore parler de « victoire absolue », malgré les pertes considérables qu’elle a infligées à la structure militaire du Hamas.

Dans ce contexte, l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh à Téhéran est une victoire incomplète pour Israël, une sorte d’alternative à ce que serait une véritable victoire, c’est-à-dire l’assassinat du chef du Hamas à Gaza, Yahya Sinouar. L’opération qui a tué le chef du bureau politique du Hamas et son garde du corps vise plutôt le régime iranien que le Hamas. Elle rend inévitable une réponse de Téhéran, même s’il est fort probable que celle-ci demeure modérée, comme l’avait sans doute estimé Israël. Elle peut également être considérée comme un défi direct à l’Iran et une manière de tester sa volonté de recourir à la force et d’entrer dans une confrontation directe. Les propos de Nasrallah ont laissé entendre que la réponse iranienne serait, cette fois, plus conséquente.

Pour l’heure, la principale ligne de confrontation d’Israël se situe avec le Hezbollah, plus qu’avec l’Iran, ou même avec le Hamas dans la bande de Gaza. En d’autres termes, le théâtre principal du conflit se déplace de Gaza au Liban, car le Hezbollah ne peut pas faire l’économie d’une réponse proportionnée si ce n’est supérieure à la frappe israélienne, après que son bastion à Beyrouth a été ciblé et qu’un de ses commandants militaires les plus éminents — si ce n’est son plus haut dirigeant militaire — a été assassiné. Ne rien faire représenterait alors un dangereux pas en arrière de la part du parti de Dieu dans ses règles d’engagement avec Israël, avec le risque d’ouvrir la voie à une plus grande « audace » israélienne à l’avenir. Or, Hassan Nasrallah a souligné, jeudi 1er août, que « la réponse est inéluctable » et qu’elle sera « très étudiée », en laissant le calendrier ouvert. Une démarche lue également comme une réponse à Washington. Le parti chiite accuse en effet les États-Unis de les avoir induits en erreur, puisque des garanties américaines seraient parvenues aux responsables libanais selon lesquelles Israël ne ciblerait pas Beyrouth. Mais le plus frappant dans les propos de Nasrallah est son affirmation que la réponse viendra collectivement des factions de « l’axe de la résistance » sans préciser si elle sera ou non simultanée.

En réalité, la réponse la plus appropriée pour le parti chiite serait de bombarder Tel-Aviv, tâche qui a été confiée la semaine dernière au groupe Ansar Allah du Yémen. En riposte, les Israéliens ont bombardé le port de Hodeïda, sans qu’on sache si le drone qui a visé un immeuble de la capitale israélienne et tué une personne a été lancé ou non depuis le Yémen.

Le Hezbollah est cette fois contraint de réagir avec force et seul, entraînant inévitablement une réponse israélienne. D’autant plus qu’en ciblant la banlieue de Beyrouth, Israël a signifié qu’il est tout à fait préparé à l’escalade et qu’il ne craint pas la réaction de l’organisation, ou du moins qu’il estime que l’efficacité de cette opération est supérieure à son coût. Quoi qu’il en soit, nous sommes ici devant le scénario d’escalade le plus dangereux depuis le 8 octobre 2023.

Il n’est pas exclu que cela conduise à terme à une guerre globale entre les deux parties, d’autant que le retour des Israéliens évacués depuis près de dix mois dans le nord de la Galilée n’est toujours pas à l’ordre du jour, et que la solution diplomatique pour laquelle l’envoyé présidentiel des États-Unis Amos Hochstein joue les intermédiaires ne semble pas aboutir. C’est pourquoi Israël, tout en répétant préférer une solution diplomatique, tente de faire pression sur le Hezbollah pour qu’il cède. Or, cette fois, la guerre que mène Tel-Aviv ne peut souffrir ni une moitié de victoire ni une moitié de défaite.

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Traduit de l’arabe par Sarra Grira .

Voir en ligne : https://orientxxi.info/magazine/att...