Par Raphaël Roger.
2022 arrive et chaque candidat rivalise en matière de populisme pénal, promettant monts et merveilles à ses électeurs. L’idée commune, à la fois chez Marine Le Pen, Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse, est celle de l’aggravation des peines, de manière générale ou plus spécifique, pour les banlieues par exemple. Le problème qui se pose ici est de savoir si, du point de vue de la criminologie, l’aggravation des peines est réellement la solution et si plus globalement, en matière pénale, on ne ferait pas fausse route.
Le populisme pénal comme élément caractéristique d’une démocratie délégitimée
Le populisme pénal1 fait partie des maux de notre société démocratique à bout de souffle.
Il résulte de la pathologie de la représentation et de la pathologie de l’accusation. Dans un monde où nous somme tous potentiellement coupables et où chaque individu qui vous croise est potentiellement une menace, un contrat implicite a été passé entre l’État et les individus pour sacrifier une part importante de leur liberté au prix d’une sécurité parfois étouffante. Pensons à l’absurdité des caméras de surveillance qui font de chacun de nous une potentielle victime ou un potentiel délinquant.
Le populisme pénal se révèle évidemment par le sentiment victimaire qui nous a depuis contaminés, notamment au travers des médias, qui comme la loupe dans Astérix, mettent en valeur un épiphénomène que l’on fait passer pour global. Ce mécanisme a été analysé par Stanley Cohen et sa théorie de la panique morale .
Cette panique morale se déroule en trois phases. Une phase d’attention : les médias mettront leurs loupes sur un fait divers. Une phase d’impact : avec l’aide d’experts, de policiers (présents sur les lieux), d’éditorialistes, les faits seront articulés avec un phénomène plus général de délinquance. La phase de réaction : les politiques s’emparent du sujet et agissent par la loi pénale qui sera plus grave et plus répressive.
Trois éléments composent donc le populisme pénal. Promettre des lois pénales plus graves et plus répressives. S’appuyer sur des faits divers en les articulant entre eux. Mettre toute l’institution judiciaire sur cet objectif répressif.
Il existe donc un déséquilibre important entre d’un côté un État surarmé législativement et de l’autre des individus isolés, abandonnés par des institutions disqualifiées. Les effets néfastes de la politique de tolérance zéro sont connus : augmentation de la délinquance, méfiance vis-à-vis des policiers, violences policières illégitimes, surpopulation carcérale et inflation législative.
La criminologie comme outil permettant de repenser la politique pénale
Si la criminologie2 était observée attentivement par les pouvoirs publics, il est évident que le phénomène pénal serait mieux compris et les solutions mieux adaptées.
Il faut se demander pourquoi les individus peuvent devenir des délinquants.
À cette question, la théorie de la Procedural Justice de Tom.R Tyler semble donner une bonne explication.
Selon lui, les normes paraissant comme injustes ou inintelligibles incitent à désobéir à la loi et à ne pas collaborer avec la justice, voire se rebeller contre elle. L’enjeu principal est ici la légitimité des institutions. Si le Parlement paraît discrédité, son caractère légitime sera faible, incitant alors à la désobéissance. Face à cette loi illégitime, les réactions s’apparenteront à du legal cynism comme : « la loi est faite pour être violée ».
À côté de cette théorie, on retrouve celle de la defiance de Lawrence W. Sherman qu’il définit comme « une réaction de fierté rebelle de défi, une attitude indignée d’insoumission à la loi pénale qui peut prendre deux formes : le défi individuel ou le défi collectif.
Sherman établit une relation de causalité cumulative entre loi illégitime et délinquance à partir de quatre éléments : la légitimité de l’autorité sanctionnatrice, les liens sociaux, la honte, la fierté.
Ainsi, face à une sanction illégitime, son destinataire rompt les liens sociaux qui l’unissent à la société et se dit fier de cette sanction. La peine perd alors tout son intérêt dissuasif, et le conduit à la récidive.
L’aggravation des peines comme effet dissuasif
Ici, la criminologie scientifique, que les décideurs politiques savent mettre à l’écart en période électorale, est catégorique : la sévérité des peines ne produit que très rarement un effet d’intimidation individuelle ou collective. Ce qui est certain en revanche, c’est que cette politique pénale gonfle la population carcérale, grève les finances publiques et accentue la pression policière sur les individus.
Un des objectifs de la peine est l’intimidation collective, elle doit détourner du crime. Sauf que cette intimidation ne passe pas par une aggravation des peines. D’un point vue criminologique, la peine capitale ne se justifie aucunement. Elle n’a pas d’effet dissuasif sur la population. En 1996, les États américains ayant recours à la peine de mort avaient un taux d’homicide pour 100 000 habitants deux fois plus élevé que les autres États3. De même que l’aggravation des peines n’a aucun effet sur l’intimidation collective.
Alors, que faire ?
Quelques pistes de réflexion pour repenser notre modèle de justice pénale
Cesare Beccaria préférait la certitude et la célérité de la peine à sa cruauté.
Pour que la peine soit certaine il faut qu’elle soit effective. Pour qu’elle le soit il faut des places en prison disponibles, sous peine d’avoir des crédits de réduction de peines systématiques, alimentant au passage le sentiment d’insécurité . La politique du tout pénal, amenant à une importance quantitative de la criminalité, a généré une inflation législative débridée créant de nouvelles infractions, sans cesse plus nombreuses.
L’effet pervers est que l’inflation législative est en elle-même criminogène du fait de l’anomie , dûe paradoxalement à la nomophilie. Ajoutons à cela les différentes réformes de la procédure pénale qui n’ont fait qu’aggraver l’inefficacité du système. C’est d’abord par les moyens financiers, humains et matériels que l’on répondra à la délinquance. Au lieu de penser à la peine, il faut se demander pourquoi certains tombent dans la délinquance. Pourquoi un mineur en vient-il à cela ? Trop penser au travers du prisme du pénal et du répressif empêche de voir les maux de la société. C’est parce que nous n’arrivons plus à nous parler que nous nous retrouvons si souvent devant la justice.
Les médias ont aussi un rôle à jouer. Au lieu d’être criminogènes du fait des images de masse de délinquance, ils devraient au contraire nous amener à réfléchir sur ces phénomènes. Il faudrait, en quelque sorte, dépolitiser la question pénale, pour éviter qu’elle ne soit le jeu de politiciens, faisant, comme le craignait Bruno Leoni , des lois arbitraires et artificielles, reflétant l’envie de la majorité au pouvoir. Denis Salas, La Volonté de punir, essai sur le populisme pénal, Pluriel ↩ Les éléments sont ici tirés du remarquable manuel de Patrick Morvan Criminologie, Édition Lexis Nexis ↩ Manuel de criminologie de Patrick Morvan, édition Lexis Nexis, p 352 ↩
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