Par Drieu Godefridi.
Après vingt années d’occupation de l’Afghanistan , au prix de milliers de milliards d’argent des contribuables américains, il était soutenable que les troupes américains devaient en effet se retirer et laisser le peuple afghan retrouver son autonomie — fût-ce en renouant avec l’islamisme le plus tribal, brutal, littéral et moyenâgeux, celui des talibans et de l’État islamique.
L’administration Biden aura toutefois réussi la performance unique dans l’histoire américaine de transformer un retrait qui aurait dû n’être qu’administratif et progressif en apocalypse militaire, diplomatique et symbolique.
Apocalypse militaire
Les troupes américaines tenaient tout le pays afghan avec 2500 militaires sur place, via la maîtrise de l’air et la base de Bagram (Begrâm). Rien n’obligeait à nullifier ce contrôle aérien, quitte à l’affiner en se ménageant la possibilité de revenir en arrière en cas de besoin.
In casu, non seulement M. Biden a supprimé du jour au lendemain le contrôle aérien, et a encore donné l’ordre d’abandonner — sans la détruire — la base militaire de Bagram. Cette base, l’une des plus sophistiquées et mieux retranchée du monde, aussi vaste qu’inexpugnable, non seulement permettait un retour en force ad nutum en Afghanistan, encore se situe-t-elle aux marches de l’Iran et de la Chine.
Son abandon est inexplicable, inexcusable et profondément insensé. Encore s’agit-il bien d’un abandon, l’administration de M. Biden ne s’étant pas souciée ni d’en transférer le contrôle à ce qui fut l’armée afghane ni, en dernière extrémité, de la détruire pour éviter que ces messieurs de la talibanerie n’en prennent le contrôle. Ce qui signifie qu’outre les tombereaux de matériel militaire de premier choix, l’US Army vient de doter le tout nouveau régime taliban de l’une des bases militaires les plus abouties de l’orbe extrême-oriental.
Apocalypse diplomatique
En décrétant un retrait américain dans des conditions logiques — les militaires avant les civils — et temporelles aberrantes, l’administration de M. Biden a pris de court la totalité de ses alliés sur place, du Canada au Royaume-Uni, en passant par la l’Allemagne, la Belgique et la totalité des membres des l’OTAN.
Aucun de ces alliés ne dispose d’une capacité militaire, de renseignement ni même logistique ne serait-ce que vaguement comparable aux capacités américaines. La deadline — qui n’a jamais été aussi bien nommée — fixée au 31 août pour le retrait total, si elle est impossible à tenir pour les Américains, l’est a fortiori pour ses « alliés ». Ainsi voit-on les remarquables forces spéciales britanniques sillonner le pays afghan pour en exfiltrer ses troupes, civils et alliés locaux ; dans des conditions dantesques qui les mettent à la merci d’un coup de main des talibans.
Il est probable qu’aucun des membres de l’OTAN ne parviendra à rapatrier l’intégralité de son personnel sur place avant la deadline. Or, tout Occidental ou allié local restant sur place au 1er septembre deviendra ipso facto un otage du régime taliban.
Cette séquence d’événements et ce timing débilitant sont vécus comme une trahison par les partenaires européens des États-Unis, à commencer par l’allié historique, le partenaire privilégié le Royaume-Uni. Nigel Farage soulignait que jamais plus le Parlement britannique n’accepterait de participer à une coalition militaire avec les États-Unis gouvernés par M. Biden.
Apocalypse symbolique
L’apocalypse est d’abord et avant tout symbolique.
Ces dernières semaines, les responsables militaires et civils au plus haut niveau de l’administration de M. Biden se sont succédé dans les médias pour assurer de la viabilité de l’armée afghane, le risque étant virtuellement nul de voir les talibans reprendre le contrôle du pays. Soit leurs renseignements étaient d’une nullité complète et ils sont aveuglés par l’idéologie, soit ils mentaient ; on craint malheureusement que la première hypothèse ne soit la plus vraisemblable.
Ce qui aurait dû n’être qu’un retrait administratif, progressif et maîtrisé, avec maintien d’un contrôle minimal sur place, et de la base stratégique de Bagram, s’est mué en quelques heures — il n’a pas fallu 24 heures pour que l’armée afghane dépose les armes, avant de les remettre poliment aux Talibans — en l’une des plus grandes déroutes de l’histoire militaire depuis l’armée française face à l’armée allemande en 1940.
Conclusion
Dans un contexte politique américain haineux au parfum de guerre civile, il est peu probable que l’administration de M. Biden se remettra politiquement de la pire déroute de l’histoire américaine, synthèse des crises de la Baie des Cochons (Cuba), du départ du Vietnam et de l’affaire des otages américains en Iran.
Ce qui est certain est que l’islamisme international dispose désormais de la plus fabuleuse base territoriale et militaire de son histoire moderne. Tel est le legs politique, diplomatique et militaire de l’administration de M. Biden au monde civilisé.
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