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Suisse : la démocratie plus forte que le virus. Et en France ?

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
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Par Jean-Baptiste Vigouroux.

Ce 27 septembre, les Suisses reprennent le chemin de l’isoloir. La pandémie Covid-19 aura réussi à interrompre provisoirement l’exercice de la démocratie participative à la Suisse, mais pas pour longtemps ! Et la démocratie revient en force : pas moins de cinq sujets au niveau fédéral, auxquels s’ajoutent les sujets proposés aux niveaux cantonal et communal.

Cet épisode aura été l’occasion pour les Suisses de nous administrer trois leçons de démocratie.

Première leçon de démocratie : le processus ne s’arrête pas

Que s’est-il passé pendant ces deux mois où les Suisses, ce peuple si peu enclin à la panique, ont été forcés par la pandémie à suspendre les votations du 17 mai ?

Le 13 mars, la confédération annonçait des mesures de restriction des libertés – fermeture des écoles, interdiction des rassemblements supérieurs à cent personnes, introduction de contrôles aux frontières – avant de fermer, le 16 mars, les commerces non essentiels. Deux mois après, le 27 mai, le conseil fédéral introduisait des aménagements progressifs et annonçait la fin du lockdown pour le 19 juin.

Pour rappel, les Suisses sont appelés à voter 3 ou 4 fois par an, selon un calendrier réglé en temps ordinaire comme du papier à musique (ou comme une horloge suisse). Les objets sont mis à l’agenda en fonction de leur avancement dans le processus, qui peut aller jusqu’à quatre ans. Le 17 mai, trois objets fédéraux étaient initialement au programme, ainsi que toute une série d’objets cantonaux et communaux.

Dans cet intervalle de mi mars à fin mai, les collectes de signatures pour les référendums et les initiatives populaires ont été suspendues. Dès l’annonce de cette suspension, le 21 mars, la date prévue pour la reprise des collectes de signatures était annoncée pour le 31 mai. Sans surprise, elles ont pu effectivement reprendre dès le 1er juin et ne se sont pas interrompues depuis.

Cette machine bien huilée s’était trouvée grippée pendant deux mois, mais aucun des rouages n’étaient atteint. Elle fonctionne à nouveau à plein régime, comme si rien ne s’était passé. Seules des mesures sanitaires sont venues s’ajouter aux procédures à suivre. Et donc, tout naturellement, les objets arrivés au terme de leur parcours législatif se sont retrouvés à l’agenda de la votation du 27 septembre.

Ce sont donc cinq objets fédéraux sur lesquels les Suisses vont devoir porter un jugement. Dans le canton de Zürich s’y ajoutent deux objets cantonaux, un objet communal dans ma commune de résidence, deux objets de district (subdivision d’un canton), ainsi qu’un objet concernant un groupement de communes. Rien que ca !

Les Suisses sont habitués à ces marathons démocratiques. Le 18 mai 2003 ce ne sont pas moins de neuf objets fédéraux qui ont été soumis à référendum (le précédent record date de 1866). Chacun se forgeant une opinion au fil des ans, faire son choix à chaque échéance devient presque facile. Quand on n’a pas d’opinion, on lit la presse, on se renseigne sur les recommandations des partis, on consulte la recommandation du conseil fédéral ou du parlement, et si on ne trouve vraiment pas l’inspiration, on s’abstient. Environ la moitié des suffrages sont exprimés en moyenne sur chaque objet, mais cela ne signifie pas que 50 % des Suisses s’abstiennent. Vous votez sur les sujets qui vous tiennent à cœur, sans vous sentir obligés de vous prononcer sur tous les sujets.

Cantonnons-nous à l’examen des cinq objets fédéraux du 27 septembre. Leur parcours d’approbation constitue la deuxième leçon de démocratie.

Deuxième leçon de démocratie : la loi est faite par le peuple

Les cinq objets couvrent une variété de sujets tels que immigration, impôts, dépenses, droits sociaux, et protection des animaux : contrôle de l’immigration modification de la loi sur la chasse relèvement des déductions pour enfants et pour garde d’enfants congé paternité acquisition d’avions militaires

Les trois derniers objets touchent à la levée de l’impôt et/ou à l’utilisation qui en est faite. On touche là à l’essence même de la démocratie : le contrôle de l’impôt et de la dépense par le peuple. Dans quel autre pays au monde trouve-t-on un tel mécanisme ?

Trois objets touchent à des enjeux de société : l’équilibre entre droit des éleveurs et protection des animaux ; l’octroi d’un congé paternité ; enfin, la question de savoir si l’État doit aider à supporter la charge des familles avec enfants.

Deux objets touchent au domaine régalien de l’État : la défense nationale et le contrôle de l’immigration, auxquels sont liés des enjeux de diplomatie internationale, en particulier avec l’Union européenne.

Mais plus riche d’enseignement encore, pour nous autres Européens qui ne connaissons pas la démocratie participative, est la manière dont les citoyens sont à l’initiative directe de ces votations.

Prenons l’exemple de l’initiative sur la chasse.

Le parlement, selon son rôle, a pris l’initiative de modifier la loi existante réglementant la chasse. Ces modifications sont monnaie courante : elles participent du toilettage nécessaire de l’arsenal législatif. Mais dans certains cas, comme dans celui-ci, ces modifications sont suffisamment importantes pour ouvrir la voie à un recours. Plusieurs associations de protection des animaux ont saisi l’opportunité, arguant que ces modifications affaiblissent la protection des espèces menacées. Elles ont récolté 50 000 signatures en moins de cent jours et déposé un recours, ce qui a entraîné une procédure nommée référendum facultatif.

Voilà comment la démocratie représentative se trouve contrôlée par la démocratie participative : un groupe de citoyens conteste une loi établie par le parlement, et le sujet est tranché par un vote de l’ensemble de la population.

Prenons un deuxième exemple : le congé paternité.

Un groupe de citoyens récolte 100 000 signatures et dépose une initiative populaire de référendum obligatoire pour octroyer quatre semaines de congé paternité aux heureux nouveaux papas. Le parlement propose un contre-projet de deux semaines. Le comité d’initiative a pris la décision de retirer son projet initial, mais avec une condition, que la loi autorise : si le peuple vote Non au contre-projet, le comité d’initiative pourra proposer à nouveau son projet de quatre semaines de congé à une date ultérieure.

La première de ces deux initiatives a débuté son parcours il y a un an, ce qui est le chemin court. La voie longue, pour aboutir au référendum d’initiative populaire, prend typiquement trois ans, et peut durer plus de quatre ans. Un comité se constitue, écrit un projet d’initiative, collecte les 100 000 signatures requises, les dépose ; le gouvernement fédéral étudie le projet, donne son avis, le transmet au parlement ; celui-ci à son tour étudie le projet, donne son avis, et le renvoie au conseil fédéral, qui le met à l’agenda des votations.

Un troisième exemple pourra nous éclairer sur certains des enjeux de ces votations, dont les sujets peuvent parfois revenir à l’agenda sous des formes diverses.

Troisième exemple de démocratie : il n’y a pas de sujet tabou

Après avoir rejeté en 1991 l’adhésion à l’Espace économique européen, considérée alors comme une première étape vers l’Union européenne, les Suisses plébiscitent à 67 % une première série d’accords bilatéraux avec l’Union européenne en 2000, dit Bilatéraux I, qui incluent un accord sur la libre circulation des personnes. Quatre ans plus tard, en 2004, l’Union européenne s’agrandit de dix nouveaux membres. Les Suisses votent alors également Oui en 2005 à l’extension de cet accord aux dix nouveaux pays membres. En 2009, en pleine crise économique, les Suisses votent à nouveau pour la reconduction de l’accord, ainsi que son extension à la Bulgarie et à la Roumanie, qui entretemps avaient rejoint l’Union européenne.

La Suisse signe ensuite une deuxième série d’accords bilatéraux avec l’Union européenne en 2005, les Bilatéraux II, dont un seulement sera remis en cause dans les urnes, pour être confirmé à 55 %. Après avoir résolument tourné le dos à l’Europe, la Suisse s’est donc lancée dans la voie bilatérale avec le soutien de sa population, et avec beaucoup de succès.

Un parti, l’UDC, tente régulièrement de torpiller ces accords bilatéraux, notamment l’accord sur la libre circulation. En février 2014 il parvient à faire accepter une initiative imposant des quotas d’immigration, mais échoue en novembre de la même année à imposer une limitation de la croissance de la population à 0,2 % par an. Il échoue à nouveau en 2018 à imposer la prévalence du droit suisse sur le droit international.

Cette fois-ci, l’initiative de l’UDC attaque directement l’accord de libre circulation, considérant que l’initiative de 2014 n’a pas été correctement mise en œuvre par le gouvernement et le parlement. Si elle était acceptée, elle forcerait le conseil fédéral à renégocier l’accord dans un délai d’un an au maximum. En cas d’échec des négociations, la Suisse devrait dénoncer l’accord dans un délai de 30 jours.

C’est ainsi que les citoyens ont régulièrement la possibilité de se prononcer sur le maintien ou non d’une politique qui touche tout autant à l’immigration qu’aux relations complexes mais essentielles avec l’Union européenne. Faut-il rappeler que la Suisse est complètement encerclée par l’Union ? La nature des relations entre la Suisse et l’Union européenne est un sujet éminemment important qui ne saurait être laissé à la discrétion de l’administration ou même de la représentation nationale. Seul le peuple souverain peut décider !

Conclusion

Un tel processus démocratique pourrait-il fonctionner dans un autre pays ? Il est difficile de répondre à cette question. La réponse est peut-être à aller chercher dans la foule des sujets soumis au vote aux niveaux cantonal et communal. C’est en commençant par prendre part aux décisions les plus locales, parfois encore de nos jours à main levée sur la place du village, que les Suisses ont développé en 800 ans d’exercice de la démocratie directe cette capacité à prendre leur destin en main.

Et si on commençait en France par associer les Français aux décisions locales ? Peut-être serions-nous prêts dans 800 ans pour la démocratie participative ?

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