Comme l’an passé le calendrier scolaire prévoit une prérentrée des enseignants fin août et une rentrée des élèves dans les premiers jours de septembre. Comme l’an dernier, cette « rentrée anticipée » déclenche l’ire des organisations syndicales les plus conservatrices, constituées en véritable front du refus notamment le SNALC et le SNES-FSU.
De quoi s’agit-il ?
Il est traditionnel que les personnels enseignants rejoignent leur établissement quelques jours avant le rentrée des élèves. Ce temps entre adultes est consacré à l’accueil des nouveaux professeurs, à des réunions générales présentant les résultats de l’an passé et les projets et objectifs de l’année à venir, à des réunions techniques comme les « conseils d’enseignement », à d’ultimes révisions des emplois du temps des professeurs. Or, les organisations syndicales déclarent urbi et orbi que le mois d’août ne saurait être amputé, que les congés des enseignants constituent une sorte de sanctuaire intouchable et brandissent donc la menace de grèves dès la rentrée.
Cette belle indignation est totalement dépourvue de fondements statutaires puisque les services des enseignants sont (dans le second degré) établis sur la base d’un service hebdomadaire devant élèves (18h pour les professeurs certifiés, par exemple). Le nombre de semaines d’enseignement est quant à lui arrêté par décret. Formellement, les corps enseignants appartiennent à la fonction publique d’État et leur régime de congé est donc théoriquement celui des autres fonctionnaires : 45 jours par an… sauf que les congés des enseignants dérogent à cette règle, il en résulte donc un alignement traditionnel avec les vacances scolaires des élèves.
Du reste, nombre de personnels du ministère de l’éducation nationale ne bénéficient pas de ce privilège : les personnels administratifs des rectorats et des inspections académiques, ceux des établissements, relèvent du régime général de la fonction publique. Les personnels de direction et les cadres pédagogiques et administratifs retrouvent leurs bureaux qu’ils ont quittés fin juillet, à la mi-août. Les personnels non enseignants sont – à l’exception de l’encadrement – nettement moins bien rémunérés que les professeurs. Toute rhétorique excipant des faibles rémunérations du corps enseignant pour justifier de congés de l’ordre de 16 semaines par an, est donc largement spécieuse.
Cela fait longtemps que les autorités de l’Éducation nationale s’interrogent sur ce qui pourrait être entrepris d’utile avec les enseignants durant ces « congés » estivaux : il existe déjà des opérations comme « l’école ouverte » qui reçoit des élèves sur la base du volontariat durant les vacances pour des sessions de remise à niveau, mais on y trouve encore peu d’enseignants… Des rapports d’inspection générale ont évoqué la possibilité de masser des actions de formation continue durant les dernières semaines d’août, sans écho bien entendu. Mais rien ne dit que des projets de cette nature ne seront pas repris après l’alternance politique, surtout si les services des enseignants devaient être un jour globalisés et annualisés…
Mais revenons à notre polémique de février 2015 : quel est l’enjeu réel de ce bras de fer aux airs de déjà vu ? Pour le dire simplement, l’enjeu consiste à montrer qui exerce le pouvoir réel au sein du ministère de l’Éducation nationale.
Depuis 2012, les organisations syndicales ont reconquis le terrain perdu pendant les dix années de pouvoir de la droite. Aujourd’hui, à tous les échelons du système éducatif, rien ne se décide sans l’aval des syndicats : pédagogie, programmes, horaires, cursus, rémunérations, indemnités, recrutement, format des concours. Le système est totalement noyauté avec la collaboration empressée des ministres successifs. Les syndicats font la pluie et le beau temps dans toutes les commissions - pourtant simplement consultatives - qui régulent la vie administrative du ministère, des académies, des établissements. Malheur au cadre dirigeant ou au chef d’établissement ou au responsable administratif qui essaierait de faire prévaloir l’intérêt général sur les lignes syndicales ! Son « cas » est « remonté au national » et rapidement réglé par le cabinet du ministre en lien avec les directeurs d’administration centrale.
Avec 60.000 créations d’emploi de professeurs sur le quinquennat, le ministère de l’Éducation nationale doit absolument demeurer dépourvu de tensions et apparaître comme la « priorité » du Président et du gouvernement. Qu’il soit impossible de trouver 60.000 bons professeurs dans les flux d’étudiants qui quittent l’université – au point que les notes des derniers admis aux concours avoisinent les 6 ou 7/20 –, que la Cour de comptes ait dans son dernier rapport démontré qu’il était inutile, voire contreproductif, d’embaucher des professeurs tant que les conditions de l’enseignement n’auront pas été modernisées, que l’effet de ces recrutements soit nul sur les résultats des élèves et les performances du système éducatif, peu importe au Gouvernement ! Ce qui importe c’est de donner l’impression que l’éducation est une priorité. La paix sociale absolue est le prix à payer pour ce tour de passe-passe politique.
Alors que va-t-il se passer concernant la rentrée 2015 ? Sur la forme, comme son prédécesseur, la ministre va probablement réunir les « instances de concertation », en rencontrant les syndicats… pour ensuite (parions-le) revenir sur le calendrier et repousser la rentrée à septembre. Sur le fond, il restera à se demander si les dirigeants syndicaux ont seulement mesuré l’effet que produit leur attitude dans un corps social rongé par le chômage et sur des élèves que les enseignants doivent amener à partager les valeurs d‘altruisme, d’engagement social et civique, de sens de l’effort et de respect du travail…
Rubrique : Articles
- Mots-clés : Éducation, Recherche et Culture