Mardi 28 octobre, le journal Le Nouvel Economiste citait les propos rapportés de Jean François Bauer, auteur à la Fondation iFRAP. Quel serait le sort d’une entreprise dont le passif serait le double de son actif, les pertes d’exploitation égales à 25 % de ses recettes, et les frais financiers le premier poste de dépenses ? Il n’est pas besoin d’être un expert-comptable chevronné pour deviner qu’une telle entreprise n’aurait aucune chance de survie. Eh bien cette situation si catastrophique, c’est (...)
Rubrique : Articles
Si l’État était une entreprise…
À l’aune de la vie des affaires, n’importe qui d’autre aurait mis depuis bien longtemps la clef sous la porte !Par Philippe Plassart
Quel serait le sort d’une entreprise dont le passif serait le double de son actif, les pertes d’exploitation égales à 25 % de ses recettes, et les frais financiers le premier poste de dépenses ? Il n’est pas besoin d’être un expert-comptable chevronné pour deviner qu’une telle entreprise n’aurait aucune chance de survie. Eh bien cette situation si catastrophique, c’est exactement celle de l’État français, qui affiche une dette publique de 2000 milliards d’euros, un déficit budgétaire de 75 milliards et une charge d’intérêt de 41 milliards. “Dans le monde réel des entreprises, jamais une société ne serait arrivée à une telle extrémité car les banques lui auraient fermé les crédits bien avant”, analyse Jean-François Bauer, expert à l’Ifrap. À l’aune de la vie courante des affaires, le jugement concernant la sphère publique française et son fonctionnement serait en effet sans appel : à la fois économiquement non viable et sans espoir de redressement
Un État virtuellement “en faillite”Lorsqu’à la fin 2007, François Fillon, alors Premier ministre, déclare qu’il se trouve à la tête d’un État virtuellement en faillite, il n’a pas tort. Depuis, le constat n’a fait que se renforcer. Selon la dernière situation, certifiée par la Cour des comptes, au 31 décembre 2013, face à un passif de 1 906,8 milliards d’euros, l’État ne disposait que d’un actif de 969,1 milliards, soit des fonds propres négatifs à hauteur de 937,7 milliards d’euros ! Quant au budget, le projet de loi de finances 2015 table sur des dépenses de 367,5 milliards d’euros pour des recettes de 292,6 milliards, soit une impasse de 75 milliards d’euros. Autrement dit, quand l’État fait entrer 100 dans ses caisses, il en dépense 125. Voilà ce qui s’appelle vivre largement au-dessus de ses moyens. Mais il y a plus alarmant encore : l’Etat est si impécunieux qu’il emprunte (196 milliards d’euros l’an prochain) non seulement pour couvrir ses pertes courantes et amortir sa dette, mais aussi pour payer les intérêts. Le délit de cavalerie n’est plus très loin… “Devant une telle société, il est certain que les juges d’un tribunal de commerce jetteraient l’éponge en l’emmenant directement à la case ‘liquidation’ ” tranche Jean-François Bauer.
Une restructuration titanesque“Liquider” un État souverain étant par construction impossible, la carte du plan de redressement sous administration judiciaire ne mériterait-elle pas d’être tentée malgré tout ? Disons-le d’emblée : les chances de réussite d’un tel plan apparaissent des plus réduites. On sait que dans ce type de procédure, le débiteur peut obtenir un étalement de sa dette sans intérêt. À la condition de pouvoir démontrer qu’il est capable de commencer un tant soit peu à la rembourser en dégageant des excédents, aussi minimes soient-ils. Une cession des actifs fait partie des premières options envisagées. C’est la voie prise par Emmanuel Macron, qui a annoncé la vente de 5 milliards d’actifs, dont 4 milliards affectés au remboursement de la dette et 1 milliard à une réallocation stratégique. Les montants potentiellement mobilisables – 110 milliards de participations publiques, 50 à 60 milliards de patrimoine immobilier et foncier – ne sont, quoi qu’il en soit, pas à la hauteur des enjeux.
“l’État est si impécunieux qu’il emprunte (196 milliards d’euros l’an prochain) non seulement pour couvrir ses pertes courantes et amortir sa dette, mais aussi pour payer les intérêts. Le délit de cavalerie n’est plus très loin…”
Et il n’est d’ailleurs même pas sûr que ces cessions soient comptablement intéressantes si l’on met dans la balance, d’un côté la perte des revenus de ces participations (5 milliards de dividendes perçus en 2013), et de l’autre les économies de frais financiers réalisées (de l’ordre de quelques centaines de millions d’euros compte tenu du niveau très bas des taux d’intérêt). Pour cesser de creuser sa dette, l’État ne peut donc pas échapper à une restructuration titanesque puisqu’elle porterait sur au moins 25 % de ses dépenses. “Compte tenu du poids de la masse salariale dans le budget, il faudrait licencier un demi-million de fonctionnaires pour revenir ne serait-ce qu’à l’équilibre”, calcule Jean-François Bauer. Une telle opération, difficile socialement, nécessiterait à tout le moins une révision déchirante des missions de l’État.
Coupable insoucianceOn demeure bien loin d’une telle démarche. Ce n’est que sous la pression de la menace d’une crise financière que l’État a admis tout récemment la nécessité de… ralentir le rythme de progression tendancielle de ses dépenses. “Le début du commencement” de la rigueur, aurait dit Churchill. Mais pourquoi la France devrait-elle consentir des efforts supplémentaires alors qu’elle trouve sans aucune difficulté des créanciers partout dans le monde pour lui financer son déficit à des taux d’intérêt qui n’ont historiquement jamais été aussi bas (1,75 %) ? Ce qui met le pays à l’abri d’un défaut de paiement par manque de trésorerie. Mais pour combien de temps encore les marchés accorderont-ils leur confiance ? “Au bilan de l’État ne figure pas un actif dont la valeur est inestimable : la capacité à lever de l’impôt”, rappelle François Ecalle, expert en finances publiques.
Or cette capacité n’est pas extensible à l’infini comme on vient de s’en apercevoir récemment. Pour la première fois, alors que les taux d’imposition sur le revenu ont été augmentés, le rendement de cet impôt a fléchi du fait du manque de croissance économique et de la faiblesse de l’inflation. Mais la croissance ou l’inflation, qui sont les seuls moyens véritablement efficaces pour éponger la dette, ne se décrètent pas. En attendant, la France continue à vivre sous la menace du pire scénario qui soit, celui d’une remontée mondiale des taux d’intérêt partant des États-Unis. Le redoutable effet boule de neige des frais financiers qui se mettrait alors en place dans cette hypothèse, placerait très vite le débiteur étatique français dans une situation insoutenable. Une hausse de 100 points de base alourdit la charge d’intérêt de 15 milliards sur la durée moyenne de la dette (environ 7 ans). Coupable insouciance.
Par Philippe Plassart
Publié le 28/10/2014