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Le coup d’état du 13 mai 1958

, popularité : 2%
Cet article provient d'une édition antérieure de NJ.

Extraits du déroulement de cette journée mémorable, racontée par un manifestant, André Rossfelder , dans son livre « le Onzième Commandement » publié aux éditions Gallimard.

« …. La ville paraissait désertée. Pas de circulation. Magasins fermés. Les européens étaient au monument aux morts attendant les chefs militaires …. »

« … Le rendez-vous était pour cinq heures de l’après-midi au Forum, la vaste esplanade du GG [1] qui dominait les Jardins Laferrière où se dressait le monument aux morts.

Cinq heures. Parce qu’à six heures généraux et amiraux, Salan en tête, seraient en bas devant le monument déposant leur gerbes et se recueillant en hommage aux trois français fusillés par l’ALN et à la mémoire des sacrifiés de Diên Biên Phu.
Une foule immense et bouillonnante les accueillerait.

Au pied des escaliers inférieurs du Forum, vers la mer, entre le GG et le monument aux morts, un cordon de CRS serait en place pour interdire à cette multitude coléreuse de monter vers le forum après la cérémonie. De l’autre coté vers les hauteurs de Telemly et des Quatre-Canons l’accès du forum et du GG serait protégé par un cordon de bérets rouges du 3ème régiment de parachutistes coloniaux du colonel Trinquier qui n’auraient probablement pas la volonté de repousser l’arme au poing leurs anciens et une poignée d’étudiants.

C’est de ce côté qu’il fallait aller.

Nous étions une cinquantaine vers le haut du forum devant le mince cordon de bérets rouges qui interdisaient de ce côté-là l’accès de l’esplanade et du GG. Pourquoi étions-nous là ? Parce qu’il était temps d’aller à la découverte d’une autre voie et de reprendre au FLN l’initiative du changement. Le temps aussi de choisir entre deux Algérie françaises, l’ancienne et la future. Chaque camp serait là. L’un groupant les plus rigides des mouvements dits nationaux, l’autre fort de la connivence de l’armée. Et entre eux, la foule.

Nous avons attendu. Nos rangs commençaient à grossir. Plus bas, au-delà du forum, la grande coulée des jardins Laferrière autour du monument était couverte d’une multitude de têtes. Cinquante mille, cent mille personnes. Nous pouvions entendre des éclats de haut parleurs et les grondements de la foule. Finalement, un grand silence de recueillement. Puis les clameurs ont repris.

C’est à ce moment-là que sous notre poussée, mais comme par un signal, les bérets rouges ont rompu les rangs et se sont lentement retirés vers le fond de l’esplanade, laissant à découvert le cordon de CRS qui gardait la grille du GG. Les cailloux sont sortis des poches. Les CRS se sont peu à peu repliés derrière la grille dans la cour d’honneur qu’entourait une haute colonnade en hémicycle. Ils répondaient aux pierres par des lacrymogènes que le vent du soir dissipait aussitôt. Nous étions alors trois ou quatre cents sur l’esplanade et une centaine devant la grille encaissant les lacrymogènes. Le gros de la foule était encore dans les jardins.

Un camion militaire s’est avancé à travers nous en accélérant vers la grille et l’a cognée et pliée sans parvenir à la casser. Un para en est descendu ; il est parti au pas de gymnastique rejoindre ses camarades. Il nous avait invités à aller plus avant et à enfoncer les portes. Un civil a pris sa place au volant et a buté plusieurs fois le véhicule contre la grille qui s’est inclinée un peu plus toujours sans céder. Quelques autres se sont servis à leur tour d’une Peugeot pour ouvrir l’un des portails d’un grand coup de boutoir. Les CRS ont reculé sous le péristyle devant la porte de l’immeuble. Nous les avons suivis.

Des renforts de manifestants ont commencé alors à arriver du monument aux morts. De ce côté là aussi les CRS rompaient les rangs et refluaient. Un bon nombre d’entre eux étaient natifs du pays et n’étaient pas prêts à se battre contre d’autres pieds-noirs.

Nous avons envahi l’immeuble. Le colonel Godard était dans le vestibule. Il a brièvement tenté de nous barrer l’entrée, solide et impassible, le visage léonin sous la chevelure bouclée, les bras en croix, l’ordre décisif, mais, débordé, plutôt que bousculé, et probablement consentant sans vouloir le paraître, il a baissé les bras en secouant la tête. Personne ne l’aurait molesté ; il restait pour les Algérois, le vrai vainqueur de la bataille d’Alger, de pair avec Massu et avant même le flamboyant Bigeard.

Je connaissais les lieux et je suis allé dans le bureau du ministre-gouverneur. Un cinq-galons, le colonel Ducournau, baroudeur réputé, chef du cabinet militaire, ramassait des papiers dans un gros cartable de cuir. Il s’est retourné avec un sourire vaguement narquois : « Alors, on ne frappe plus aux portes ? » Cette mésaventure semblait l’amuser.

D’autres manifestants se sont fait entendre dans l’anti-chambre et tout à coup ce fut l’irruption et la pagaille. Le petit colonel s’est esquivé avec son cartable gonflé qu’il portait sur ses avant-bras, serré contre sa poitrine comme un nouveau-né.
Je ne sais où il est allé le cacher, on l’a revu sans son fardeau un moment plus tard.

Il est sorti sur le balcon.

Il a crié à la foule qu’il venait de téléphoner à Paris et qu’il avait demandé, au nom de l’armée et de tous, un gouvernement de salut public.

Comme personne ne pouvait l’entendre, il a pris un grand tableau noir et il a écrit ce message à la craie d’un côté et sur l’autre :

« l’Armée est la garante de l’Algérie française ».

La foule a applaudi.

Massu était arrivé. Dans les bureaux du GG un comité de salut public dit du « 13 mai » était déjà en train de se former. Massu a pris d’autorité la présidence. C’était un peu à qui se poussait et réclamait un siège.

Parvenu à une quarantaine de membres avec une cinquantaine d’autres volontaires tout autour donnant leur nom ou leur avis, le comité a ouvert sa première séance et les portes se sont fermées. Je suis resté avec eux, debout contre le mur.

Dans l’immeuble, la confusion tournait à un vandalisme euphorique – classeurs bousculés, tiroirs vidés, dossiers volant dans les couloirs et par les fenêtres – qui a duré jusqu’à trois heures du matin.

C’est à ce moment là que nous avons appris que l’Assemblée nationale venait d’investir Pierre Pflimlin comme chef du gouvernement. C’était la gifle, le défi, l’épreuve de force. Que faire d’autre ?

La révolution.

C’était le mardi 13 mai 1958, un jour qui, le matin, a été comme un autre et dont on se dit, le soir avec un certain émerveillement que la date restera unique dans la mémoire. »

….

[1(gouvernement général )