Le 2 août dernier la SNCF envoyait à ses abonnés le message suivant :
« C’est une petite semaine plus tard qu’en 2022, mais déjà un grand pas pour la planète ! Aujourd’hui marque le Jour du Dépassement Mondial pour l’année 2023, ce jour où nous avons consommé tout ce qu’elle avait de ressources renouvelables à nous offrir en un an. »
Une nouvelle que certains trouveront déprimante et d’autres plutôt encourageante. Pour la SNCF ce qui compte c’est évidemment de fidéliser ses clients qui, en favorisant le train au détriment de moyens de transport concurrents, contribueront « à préserver la planète ». Sans contester les vertus du train par rapport à la voiture ou l’avion – qui ont d’autres avantages – que penser de ce « coup de pub » ? La SNCF ne surfe-t-elle pas ici dangereusement sur la peur des gens ? Une peur qu’elle contribue à nourrir par de tels messages.
Le déficit (151,4Mds) a donc été de près de la moitié du budget. Dans un langage courant on appelle cela une gestion désastreuse
Les chiffres, et plus généralement les données factuelles, sont importants pour la qualité des débats mais il faut savoir les communiquer de façon effective. Tout un art ! Nous en avons une bonne illustration avec le calcul du Jour de la libéralisation fiscale ; un moyen intéressant d’informer le public sur l’état des finances publiques. En effet, si l’on se contente de communiquer le montant des prélèvements obligatoires en France — 1198,15 Mds d’euros pour l’année 2022–, l’information est précise mais elle ne dit pas grand-chose au commun des mortels si ce n’est que cela fait beaucoup d’argent ! Et le plus souvent, le commun des mortels ne sait pas exactement ce qui entre dans les prélèvements obligatoires. Aussi, pour améliorer la communication, ce chiffre est-il souvent exprimé en pourcentage du PIB : les prélèvements obligatoires ont ainsi représenté en 2022, d’après les calculs de l’INSEE, 45,4% du PIB. C’est sans doute une meilleure façon de communiquer : 45,4% de la richesse créée au cours de l’année 2022 ont donc été prélevés (utilisant le pouvoir coercitif de l’État) puis affectés à différents usages, non pas selon la volonté directe de celui qui a créé cette richesse, mais selon un processus de décision collective dans lequel le créateur de richesse n’est le plus souvent que très indirectement représenté (organismes de gestion de la Sécurité sociale, conseils municipaux, Parlement, conseils départementaux et régionaux, intercommunalités …). Mais cela reste encore compliqué à expliquer. D’où l’idée du « jour de libération sociale et fiscale » qui est une autre façon, plus parlante, d’exprimer ce ratio. D’après les calculs de l’Institut Molinari, en 2023 ce jour pour un Français touchant le salaire moyen a été le 17 juillet 2023. Comprendre : jusqu’au 17 juillet, tout l’argent gagné par ce salarié a servi à payer ses impôts et ses cotisations sociales. A présent nous comprenons mieux ce que représente ces quelque 1198,15 Mds d’euros. La discussion peut continuer sur de bonnes bases.
Si savoir présenter les données d’une façon pédagogique est donc un art qui peut rendre les débats plus constructifs, cet art peut parfois tourner à la tromperie et fausser les débats. Il en est ainsi de la façon dont les chiffres sur le déficit public sont communiqués. Le déficit public est le plus souvent donné en pourcentage du PIB : en 2022, c’était 4,7%. Il est imputable en grande partie au seul déficit de l’État central qui a atteint pour cette année 151,4 Mds d’euros. Mais cette façon de présenter le chiffre du déficit public – soit en pourcentage du PIB, soit en donnant son montant – ne permet pas d’apprécier la gestion du budget de l’État. Plus précisément, elle la fait passer pour bien meilleure qu’elle ne l’est. La logique et l’honnêteté voudraient que ce déficit soit mis en regard des recettes de l’État. Qui, en 2022, se sont élevées à 323,3 Mds d’euros. Le déficit (151,4Mds) a donc été de près de la moitié du budget. Dans un langage courant on appelle cela une gestion désastreuse, mais cela ne saute pas aux yeux lorsqu’on présente le déficit en pourcentage du PIB…
Qu’en est-il du « jour du dépassement » ? Là encore l’intention est louable : il s’agit d’éveiller les consciences sur un sujet complexe, l’utilisation des ressources naturelles par les quelque huit milliards d’individus qui peuplent notre planète et par ceux qui viennent après nous. Mais la façon de présenter les faits et plus encore de les interpréter qui est implicite dans le calcul du « jour du dépassement » est douteuse, voire relève de l’escroquerie. Le calcul de cette date passe en effet par l’évaluation de deux grandeurs qui sont problématiques. Il y a tout d’abord le calcul de la biocapacité de la planète. L’idée est la suivante : une partie des ressources naturelles (les arbres par exemple) se renouvelle. Il est donc possible d’en « consommer » sans abaisser la quantité disponible dans le futur. La biocapacité de la planète est donc censée nous informer sur la quantité de ressources naturelles que nous pouvons utiliser au cours d’une année sans grever notre avenir. Elle est mesurée en « hectares globaux » afin de pouvoir agréger les capacités des forêts, des pâturages, des zones de pêche, des terrains agricoles et urbains. Inutile d’insister sur le fait que ce calcul est bien plus délicat que celui des dépenses publiques d’un État.
Une fois cette biocapacité évaluée il faudra, seconde étape, évaluer l’empreinte écologique. Il s’agit ici de mesurer « les surfaces alimentaires productives de terres et d’eau qui ont été nécessaires pour produire les ressources qu’une population consomme et pour absorber les déchets générés par ces activités, compte tenu des techniques et de la gestion des ressources en vigueur ». Bon courage !
Le chiffre du « jour du dépassement » et la crainte qu’il cherche à générer sont infondés
Cette empreinte écologique étant elle aussi évaluée en « hectares globaux », le « jour du dépassement » est alors calculé en établissant le rapport entre biocapacité et empreinte écologique. Si l’empreinte écologique est du même montant que la biocapacité alors le rapport est de 1 et le jour du dépassement sera le 31 décembre ; il n’y a aucun « déficit écologique ». Si le jour du dépassement est le 2 août cela signifie qu’à cette date l’empreinte écologique est d’ores et déjà du même montant que la biocapacité pour cette année-là. A compter du 3 août nous vivons à crédit, puisant dans des ressources renouvelables qui auraient permis de maintenir dans le futur les mêmes niveaux de consommation avec des populations semblables.
Quel crédit accorder à cette information ? On aura déjà compris que les « données » utilisées pour parvenir à ce chiffre relèvent de nombreuses approximations. La précision de la date (« le 2 août ») a donc de quoi étonner. Mais, plus important encore, ces calculs ignorent totalement la capacité des individus qui peuplent cette planète à innover, à trouver de nouvelles façons de satisfaire leurs besoins. Ils reproduisent l’erreur de Malthus qui, dès 1799, prévoyait l’avenir le plus sombre pour l’humanité si on ne limitait pas rapidement les naissances. Malthus s’est trompé. L’histoire nous enseigne que les techniques et la gestion des ressources de demain différeront de celles qui sont en vigueur aujourd’hui, mais on continue de taxer d’irresponsables ceux qui osent affirmer cela. Ainsi que l’explique Marian Tupy, éditeur du remarquable site HumanProgress,
« [Les] gens doivent cesser de penser en termes d’atomes et commencer à penser en termes de connaissances. Le nombre d’atomes sur la planète est fini, mais la valeur que nous pouvons tirer de ces atomes est potentiellement infinie. Lorsque les gens ont commencé à transformer le sable en verre, ils ont transformé ce verre en perles et en bocaux. Aujourd’hui, nous utilisons du verre dans les micropuces et les câbles à fibres optiques. Au lieu de radios, de téléviseurs, d’appareils photo, de cartes et de téléphones à cadran encombrants, nous avons des iPhones. Au lieu d’abattre des forêts pour imprimer l’Encyclopedia Britannica, nous avons Wikipédia. On dématérialise, et on miniaturise. Ainsi, de nouvelles connaissances peuvent nous permettre de devenir incroyablement riches sur une seule planète. »
Pour cette raison, le chiffre du « jour du dépassement » et la crainte qu’il cherche à générer sont infondés. Un nouvel exemple de communication trompeuse. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas nous soucier de l’utilisation des ressources engendrée par l’activité humaine. Mais pour cela ce dont nous avons besoin c’est de plus de liberté, pas de contraintes inspirées et entretenues par des analyses des plus discutables.
PS : L’année du Covid, le jour du dépassement – si l’on se réfère aux calculs du même institut — a été le 22 août 2020. Si nous poussons la logique de la SNCF nous sommes vraiment foutus car même en abandonnant nos voitures, nos avions et nos trains le déficit écologique serait très largement insoutenable. Heureusement que nous ne sommes pas tenus de prendre cette information au sérieux. Bonnes vacances !