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Juin Juillet 1962 réfugiés sur le porte-avions LAFAYETTE

, par  lesamisdegg , popularité : 5%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Nos entraînements à la mer sont terminés. Les premiers groupes de permissionnaires d’été commencent à partir.

Nous recevons l’ordre de nous préparer à effectuer d’urgence les missions de rapatriement de réfugiés d’Oranie.

Le commandant réunit ses officiers pour un briefing très complet concernant toutes les mesures à prendre pour accueillir à bord environ 2.000 réfugiés, hommes, femmes, enfants, vieillards, sur le trajet Oran-Toulon. Nous aurons jusqu’à plus de 2.500 personnes à bord. Mesures à prendre, allant de l’accueil, le contrôle, la sécurité, la restauration, la fabrication de WC (pour 2.500 personnes, ce n’est pas un détail, mais un vrai problème). S’y ajoutent l’hygiène, la surveillance en mer, le service de santé et le chargement de tonnes de bagages. Le tout dans les délais les plus courts possibles, selon le souhait du commandant, et sans doute au-delà. Nos avantages sont certains. Un PA de 15.000 t, vidé de ses appareils, dispose de beaucoup de place. Nous avons une machine de 100.000 ch sur quatre hélices, nous permettant 30 heures de route à 30 nœuds, et un rayon d’action de 9.000 milles à 15 nœuds. Le pont d’envol, nu et équipé rapidement des palettes verticales anti-vent, peut recevoir en pontée des centaines de m³ de bagages. Enfin, les « rideaux » métalliques des hangars peuvent s’ouvrir à la demande, assurant une ventilation agréable. Enfin, nous gardons l’hélicoptère Pedro en cas de besoin.

Nous effectuerons ainsi huit rotations en juin et juillet. Je parlerai ici de la première, la plus symbolique peut-être, la plus difficile aussi car nous allions vers l’inconnu et, autant tout l’équipage déborde de bonne volonté, autant nous sommes plutôt inquiets.Toutes les actions envisagées au briefing étant réalisées, espérant avoir pensé à tout, ou presque, nous appareillons de Toulon et, en virant la grande jetée, nous laissons les centaines de touristes se dorer au soleil, le long de la côte. Au cap, un temps splendide (pourvu que ça dure !), à bonne vitesse, cela ressemble à une croisière, étonnant sur un PA. Le pacha nous a dit que tout le monde qui le peut se repose, ce sera utile pour demain quand, en effet, nous apercevons les quais de Mers el-Kébir, noirs de monde, de véhicules, de tas de colis supportant des personnes qui sont là, qui attendent, certaines depuis des jours. Il fait chaud, bien sûr.

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PA LAFAYETTE Oran MEK 1962

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Oran MEK 1962 06 réfugiés dans le fort

Coupées à terre, officiers et officiers mariniers du PEH et STA ont constitué des équipes d’accueil. En haut des coupées et sur le pont, les autres équipes répartissent personnes et bagages au mieux. Et cela commence, un flot ininterrompu, sans ruée malgré tout. Premier ennui. Le commandant en second a ordonné « aucun animal à bord, vous interdirez l’accès à quoi que ce soit ». Nous constatons très vite que cet ordre, compréhensible, est inexécutable. Comment enlever à une petite fille la cage de son oiseau, à une personne déjà en larmes, son petit chien ? Les officiers se réunissent rapidement et, tous étant d’accord, le chef PEH va rendre compte au second que nous refusons cet ordre et que nous sommes prêts à effectuer d’autres tâches, mais pas celle-là. Pas content, il l’admet néanmoins. L’embarquement reprend. Heureusement que la taille des animaux reste raisonnable.

Pendant ce temps, la grue du bord charge les voitures (50 à 60 à chaque rotation) et les montagnes de valises, couffins, sacs, plus ou moins bien fermés, plus ou moins fragiles. Des gens très âgés, dirigés vers l’infirmerie, des musulmans, des enfants, certains sans leurs parents, des bébés. La chaleur augmente, il est en gros 13 heures.

Peu à peu les hangars se remplissent. Des chemins de circulation ont été réservés par sécurité et les tracés sont à peu près respectés. Nous avons prévu, en permanence et surtout pour la nuit, une équipe de sécurité-manœuvre PEH, avec son officier, initiative qui s’est révélée heureuse, on verra plus loin.

Nous sommes à bloc de passagers. Il reste beaucoup de charges à embarquer et à répartir. Je me retrouve conducteur d’élévateur sur le pont. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues, car nous sommes à effectif réduit.

Les personnes se calment dans les hangars. Nous nous préparons à appareiller. Encore un spectacle déchirant. Par les rideaux levés et la plage arrière, beaucoup se pressent pour un dernier regard vers la côte, Oran, au loin le Murdjadjo. Des gens pleurent, puis la côte disparaît.

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Oran MEK 1962 06

PA LAFAYETTE

Fatigués, après une courte collation, tout le monde s’assoupit plus ou moins, les hangars sont bondés. La nuit est tombée, les rideaux du hangar sont baissés, nous fonçons vers Toulon. Il fait beau, Dieu merci. Nous sommes en éclairage rouge de nuit.

Soudain, vers 1 h du matin, un problème qui montre combien l’équipe hangar était indispensable. Un turbo-alternateur décroche. Immédiatement, un diesel de secours démarre en automatique. Près de la paroi du hangar, ce démarrage est bruyant. Immédiatement, les gens se réveillent en peur, se mettent debout, quelqu’un crie « nous coulons ». L’équipe de hangar allume aussitôt l’éclairage blanc et, dans la diffusion disposée à cet effet, un haut-parleur à pleine puissance appelle au calme et rassure.

Le calme revient, ouf, nous avons eu très chaud. Le jour est levé, la matinée se déroule calmement. Toulon approche. Une jeune femme devait avoir un bébé, mais il ne naîtra pas à bord et, à quelques heures près, nous n’aurons pas de petit La Fayette.

Marine Toulon a bien prévu la logistique nécessaire. Tout le monde s’active au déchargement des bagages et voitures. Il faut que le bâtiment soit libéré très vite car il faut ravitailler très vite, en eau, mazout, vivres, etc., et nettoyer partout. Je vais faire grâce des détails, mais le seul moyen sera la mise en action des lances à incendie dans les hangars, sans parler du reste. Personne ne se plaint, bien sûr. Nous qui étions dehors à terre et sur les ponts, nous sommes marqués par ce que nous avons vu et entendu.

Sitôt le bâtiment disponible, nous rappareillons. Le commandant revient de la préfecture maritime. C’est confirmé, nous ferons huit rotations de ce genre. Certaines plus difficiles, à cause de la mer, dans ces conditions particulières. Fin juillet, nous aurons rapatrié plus de 10.000 personnes, âgées très précisément de trois jours à 99 ans, des montagnes de bagages, de très nombreux véhicules.

Nous avons essayé de faire ce travail pénible avec le plus de gentillesse et de patience possibles. Les remerciements que nous avons reçus de ces personnes, si émouvants, furent notre meilleure récompense. Ce fut une grande mission, dure pour le moral, l’équipage du La Fayette y mit beaucoup du sien. Qui s’en souvient ? Qui s’y est intéressé ? Et le temps a passé. Mais nous étions restés fidèles à la devise du général La Fayette : « Cur non » (Pourquoi pas !).

Pierre Mériot

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