Depuis le début de la guerre contre Gaza, la France peine à se faire entendre sur la scène régionale. Le tournant pro-israélien de sa politique depuis quinze ans s’est confirmé durant ces derniers mois. Et ses ambiguïtés face aux décisions de la Cour pénale internationale d’inculper Beyamin Nétanyahou et Yoav Gallant n’arrangent pas les choses.
Fin aout 2023, Emmanuel Macron prononçait à l’ouverture de la traditionnelle conférence des ambassadeurs de France un long discours au cours duquel il exposait les grandes orientations de politique étrangère du moment. Cet exercice solennel, à l’élaboration duquel le Quai d’Orsay était étroitement associé, prenait la forme d’une feuille de route pour les diplomates français. De longs développements ont été consacrés à la guerre d’Ukraine, à la relation avec la Russie, au dialogue avec la Chine et partant à la région de l’Indopacifique, désignée comme la nouvelle priorité géopolitique. Le président s’est étendu sur les crises en Afrique, notamment au Sahel où la présence française était remise en cause par la succession de putschs militaires.
Marginalisation de la revendication palestinienne
De manière surprenante, le conflit israélo-palestinien, considéré comme une question structurante de la politique étrangère depuis des décennies, n’a fait l’objet d’aucune mention. Cette allocution a été prononcée deux mois avant la nouvelle guerre de Gaza, déclenchée après l’attaque du Hamas en territoire israélien, le 7 octobre 2023. L’un des conseillers du président que j’approchais justifiait cette omission par le « pragmatisme » qui animait le président sur une question qui aurait perdu sa centralité depuis la signature des accords d’Abraham , signés à la Maison-Blanche en septembre 2020, lesquels actaient la normalisation des relations entre Israël, les Émirats arabes unis et le Bahreïn. Tandis que le Maroc et le Soudan s’y associaient peu de temps après, de fortes pressions américaines s’exerçaient sur l’Arabie saoudite pour rejoindre un mouvement qui modifiait la donne géopolitique dans la région, en marginalisant la question de la création d’un État palestinien.
Le pragmatisme présidentiel, devenu une quasi-doctrine en politique étrangère, ne tenait pas compte de la réalité de la situation explosive dans le territoire de Gaza, soumis à un blocus total et en Cisjordanie où la colonisation se développait, accompagnée des exactions des colons. De nouvelles formes d’Intifada, des frondes à Gaza et des couteaux en Cisjordanie, à l’initiative de jeunes palestiniens, se répandaient provoquant une répression impitoyable des forces de sécurité israéliennes.
Depuis plusieurs années, les diplomates européens, notamment les consuls à Jérusalem, alertaient leurs capitales sur la situation explosive dans les Territoires palestiniens et rapportaient régulièrement le renforcement de la colonisation et la confiscation de milliers d’hectares au nom de la sécurité d’Israël. En vain. Je publiais, avec un collectif d’anciens diplomates, une tribune dans Le Monde (25 novembre 2023), dénonçant le silence de la diplomatie française. Il s’avérait clairement que le président ne s’appuyait pas sur une vision globale des conflits qui agitent le Proche et Moyen-Orient. Les déclarations et les initiatives parfois pertinentes, s’égrenaient au fil des évènements, sans qu’apparaisse une quelconque cohérence. Le « en même temps », élevé en doctrine en politique intérieure, n’a pas de pertinence en politique étrangère.
Une initiative inopérante
C’est flagrant depuis la guerre de Gaza et l’extension du conflit au Liban. La diplomatie française est devenue illisible, pour ne pas dire incohérente. Ainsi, Emmanuel Macron, qui se rend en Israël après le 7 octobre plusieurs jours après le président des États-Unis, le chancelier allemand, la présidente de la Commission européenne et plusieurs dirigeants européens, annonce à sa descente d’avion une initiative inattendue que je qualifierai aussitôt, d’ « inopérante ». La coalition internationale formée en 2014, avec l’aval du conseil de sécurité de l’ONU, pour éradiquer l’Organisation de l’État islamique (OEI) en Syrie et en Irak pourrait voir son mandat s’étendre à la lutte contre le Hamas selon le président. C’est ignorer que le mouvement islamiste palestinien n’est pas considéré comme une organisation terroriste par les pays arabes membres de la coalition contre l’OEI, ni d’ailleurs par une majorité de pays membres de l’ONU. L’initiative française a provoqué la sidération dans le monde arabe, plus particulièrement dans les opinions publiques de ces pays.
Plusieurs ambassadeurs de France dans la région ont relayé, dans une note diplomatique collective, les risques qu’il y aurait à être perçu, pour leur pays, comme pratiquant une politique de « deux poids, deux mesures » et d’exacerber les risques terroristes si le règlement politique n’était pas clairement énoncé comme une priorité. Ils ont été accusés par la ministre Catherine Colonna de déloyauté à l’égard du président. Même Israël a ignoré une initiative qui a été parfois interprétée à tort comme ouvrant la perspective d’une participation militaire de la France aux côtés d’Israël à Gaza. On s’est interrogé sur l’origine de cette improvisation jupitérienne dont le Quai d’Orsay n’avait pas été informé. Le nom de Bernard–Henri Levy a été cité. On se souvient de l’influence du philosophe auprès de Nicolas Sarkozy qu’il a convaincu d’intervenir militairement en Libye.
Une « diplomatie sans diplomates »
Cet épisode illustre la marginalisation du Quai d’Orsay dans les affaires du monde, qui s’est traduite par une hypertrophie de la cellule diplomatique de l’Élysée fonctionnant en vase clos. Bref, Emmanuel Macron mène une « diplomatie sans diplomates ».
Dans un premier temps après le 7 octobre, le président a repris le narratif du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou sur les objectifs et le déroulement de la guerre à Gaza, reprenant à l’envi la formule du droit d’Israël à la légitime défense. Il aura fallu la tragédie humanitaire à Gaza et le nombre considérable de victimes pour que le ton change vis-à-vis des bombardements massifs de l’armée israélienne sur des centres de réfugiés, des hôpitaux et des écoles. Les mises en garde françaises sont systématiquement ignorées, ou rejetées avec mépris par le gouvernement israélien.
L’impression domine d’une diplomatie à la traîne de Washington. Les rares sanctions américaines contre des colons, qui ont commis des exactions contre des Palestiniens en Cisjordanie, sont suivies par la France qui aurait pu mettre plus efficacement sous sanctions les deux ministres ultranationalistes du gouvernement Nétanyahou. Comment a-t-on pu envisager de laisser venir en France le 13 novembre le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich (avant qu’il ne se décommande), qui se qualifie de suprémaciste et de raciste, invité en novembre par l’organisation Israël for Ever, proche des colons extrémistes ? Au cours d’un précédent séjour en France, en mars 2023, cette personnalité qui pourrait être poursuivie par la Cour pénale internationale qui vient d’inculper Nétanyahou et Yoav Gallant, déclarait que « le peuple palestinien était une invention, sans histoire, ni culture ».
Le président balance entre le soutien aux interventions d’Israël contre le Hamas et le Hezbollah, au nom du droit à l’autodéfense, d’un côté et la dénonciation des bombardements des populations civiles et de l’entrave des aides humanitaire, de l’autre. Son appel tardif, après l’extension des combats au Liban, à l’arrêt de livraisons d’armes à l’armée israélienne, qui s’adressait à l’administration Biden n’a reçu aucune réponse de l’administration américaine et lui a valu une réaction injurieuse de Netanyahou : « honte à vous ». D’autres déclarations improvisées renforcent l’impression d’une diplomatie élyséenne sans colonne vertébrale. En déclarant que le massacre commis par le Hamas, le 7 octobre, est le « pire crime antisémite depuis la Shoah », le président commet un contresens, puisqu’à l’évidence les commandos du mouvement ont massacré des israéliens, considérés comme des occupants de la terre de Palestine. Des familles qui ont été victimes de la Shoah ont été choquées par cet amalgame. Pour eux, les crimes de guerre ou contre l’humanité ne doivent pas être comparés à la Shoah.
Sur le fond se pose la question du positionnement de la France sur l’avenir de la Palestine et plus précisément sur la reconnaissance d’un État palestinien. Depuis des décennies notre diplomatie était à l’avant-garde au sein de l’Union européenne. C’est sous son impulsion qu’était adoptée en 1999 la déclaration de Berlin qui prônait la création d’un État palestinien « viable et démocratique qui serait reconnu le moment venu ». Vingt-cinq ans après, nous n’avons toujours pas franchi le pas, alors que 146 pays sur 193 membres de l’ONU l’ont reconnu, dont 12 États européens. L’Espagne, la Slovénie et l’Irlande d’un côté et, hors Union européenne, la Norvège, se sont joints à cette reconnaissance depuis le déclenchement de la guerre de Gaza, ce qui leur a valu des sanctions israéliennes, notamment l’interruption des activités des consulats de ces pays dans les territoires occupés.
Un camouflet de Nétanyahou
Qu’en est-il d’Emmanuel Macron ? Il s’est contenté de déclarer que cette reconnaissance n’était plus un tabou pour la France, mais qu’elle devait intervenir « au bon moment pour être utile ». Cette remarque sibylline, mériterait d’être explicitée, car l’impression domine que la diplomatie se cale sur la position traditionnelle des États-Unis, selon laquelle une reconnaissance n’interviendrait qu’à l’issue de négociations bilatérales israélo-palestinienne, sous-entendu sous l’égide américaine. Craint-on des réactions, voire des sanctions de Tel-Aviv, qui ne manquera pas de qualifier une telle initiative d’acte de délégitimation d’Israël ? On se contente de l’antienne de la solution de deux États, sans développer les moyens d’y parvenir.
S’agissant du Liban, le président a reçu un camouflet de Nétanyahou, lorsqu’il a proposé en concertation avec les Américains, un cessez-le-feu de 21 jours entre le Hezbollah et Israël en septembre 2024. La mission confiée à l’ancien ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, pour favoriser une solution au blocage des institutions libanaises s’est soldée par un échec. La presse libanaise en a fait le constat sévère. On peut saluer l’initiative du président d’avoir réuni une conférence internationale de soutien à la population et à la souveraineté du Liban qui a permis de mobiliser plus d’un milliard de dollars essentiellement consacrés à l’aide humanitaire. Mais il s’agit du énième rassemblement de cette nature à Paris, sans que soit abordée au fond l’intervention de l’armée israélienne, usant des mêmes méthodes de destructions qu’à Gaza.
L’oubli du droit international
Dès le début de son premier mandat, Emmanuel Macron s’est fait l’apôtre du multilatéralisme, incarné principalement par les Nations unies, et du droit international, mais il a rarement fait référence au conflit israélo-palestinien, objet de dizaines de résolutions de l’Assemblée générale et du conseil de sécurité depuis 1948. Depuis le déclenchement de la guerre de Gaza, on ne l’a guère entendu sur le non-respect de ces résolutions par Israël, notamment sur la colonisation. Au cours de son discours à l’ONU, fin septembre 2024, Nétanyahou a tenu des propos d’une violence inouïe contre l’organisation qualifiée de « marécage antisémite ». Il a brandi des cartes sur lesquelles Gaza et les territoires palestiniens de Cisjordanie ont été engloutis par Israël. La Cour pénale internationale qui a lancé un mandat d’arrêt contre le premier ministre israélien est aussi qualifiée d’antisémite. Bien plus, les agences onusiennes, telles l’office des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) sont sous le coup d’une décision d’expulsion, tandis qu’au Liban, la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) subit des bombardements de l’armée israélienne. Il serait temps d’avoir un vrai discours (et surtout des pressions efficaces sur Israël) en faveur d’une solution de deux États et le rôle incontournable de l’Organisation des Nations unies (ONU).
La situation de cohabitation en France depuis la dissolution de l’Assemblée nationale risque de fragiliser encore plus sa diplomatie. Si Emmanuel Macron revendique un domaine réservé en matière de politique étrangère (qui n’est pas inscrit dans la constitution), le Premier ministre, Michel Barnier, évoque un domaine partagé. J’ai pu observer que l’ancien ministre des Affaires étrangères accordait un intérêt particulier à la question palestinienne, dans la veine du gaullo-mitterrandisme. Je note que le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, ancien député Modem, qui a été confronté à la réalité du terrain en novembre, lors de l’incident de l’intrusion de forces de police armées dans un domaine religieux français à Jérusalem, suivi par l’interpellation de gendarmes français, s’est exprimé avec une rare fermeté, allant jusqu’à dénoncer la colonisation dans les Territoires palestiniens. Peut-on espérer un début de changement ?