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Le turban et le pakol

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Jean-Baptiste Noé

Les raisons de la prise du pouvoir par les talibans se résument en deux couvre-chefs : le turban d’un côté, le pakol de l’autre. Ils expriment les différences culturelles, historiques et ethniques qui parcourent le pays et qui rendent impossible toute unification.

Deux couvre-chefs pour deux cultures

Le turban est le couvre tête utilisé par les pachtounes, présents dans le sud du pays, dont sont issus les talibans. On le retrouve chez les Arabes et chez les Perses, ce qui montre l’influence de ces peuples sur les pachtounes. Les talibans portent également une djellaba, là aussi vêtement du désert, et leur barbe est longue et drue. Dans leur tenue vestimentaire, tout indique qu’ils sont influencés par les mouvements de la péninsule arabique et de la Perse. À l’inverse des populations du nord, Turkmènes et Ouzbeks, de branche turque. Eux sont vêtus à l’européenne, chemise et veste, dénotant ainsi leur influence. Leur barbe est rase et courte et, surtout, ils portent le pakol, une sorte de béret de laine popularisé par le commandant Massoud. Le pakol est le couvre-chef des soldats du nord et son histoire révèle celle de l’Afghanistan. Il s’agit en effet de la causia grecque, le chapeau des soldats de la garde rapprochée d’Alexandre. On trouve encore sur certaines fresques de Grèce des Macédoniens couverts de la causia. L’épopée d’Alexandre ayant traversé la Bactriane, l’Afghanistan de l’époque, pour s’arrêter en Inde, des colons grecs se sont installés dans ces vallées hostiles, mais centrales dans le commerce entre l’Inde et le monde hellénistique. Ils ont apporté avec eux leur langue, dont des dérivés du grec sont encore parlés dans certains villages, leur culture et leurs vêtements, dont le pakol / causia est le signe le plus visible. Ces Grecs ont donné naissance aux royaumes gréco-bactriens et à l’art gréco-bouddhique, dont certains spécimens sont visibles à Paris, au musée Guimet. On y voit des bouddhas représentés sous les traits d’Apollon et des sculptures au profil d’Européens.

Depuis plus de 2 000 ans, et en dépit des nombreuses invasions et passages, la région du nord de l’Afghanistan, l’ancienne Bactriane dont les frontières ont évolué au cours de l’histoire, a été rattachée à la Grèce puis à l’Europe. Dès 1922, la France y mena des expéditions archéologiques grâce à des accords conclus avec le gouvernement de l’époque. Ces fouilles permirent de mieux connaitre la région de Bamiyan et de rapporter de nombreuses pièces en France. Il n’est pas certain que le centenaire de cette coopération puisse être fêté l’année prochaine. La francophilie afghane s’est notamment manifestée dans le lycée français de Kaboul, où une partie importante de l’élite a réalisé ses études, puis se fut le soutien apporté au commandant Massoud et à son fils désormais.

Les frontières invisibles

Il y a donc, entre le nord et le sud, une frontière invisible qui ne suit pas celle des montagnes et des vallées, mais qui se faufile dans l’histoire et les réseaux de relations entre l’Occident d’un côté et le monde arabe et musulman de l’autre. Bien que chassés du pouvoir en 2001, les talibans n’ont cessé d’être présents en Afghanistan, s’appuyant sur le peuple pachtoune à cheval entre le sud du pays et l’ouest du Pakistan. Des peuples qui n’ont pas l’habitude des frontières fixes et fermées, mais qui, de par leur nature de nomades, voyagent à travers les espaces. L’idée d’un Afghanistan clairement délimité par des frontières relève davantage d’une vue de l’esprit que d’une réalité politique et nationale.

Les talibans n’ont pas cessé de réaliser des attaques et des attentats durant les vingt années de présence américaine. Ces attaques ont très fortement augmenté à partir de 2009, démontrant que les Américains et le gouvernement soutenu par eux ne contrôlaient ni le territoire ni la population. Pour réaliser de telles attaques, il faut non seulement des moyens techniques (explosifs, finances, etc.), mais aussi des soutiens humains capables d’organiser et de porter les attentats. L’adhésion au mouvement taliban est donc quelque chose de profond et repose sur un soutien réel de la population. Le contrôle d’un pays suppose d’aller au-delà d’un simple gouvernement. Il faut être capable de disposer d’hommes sûrs pour l’ensemble des fonctions de l’État : préfet, commissaire de police, médias, finance, réseau d’enseignement, etc. Cela suppose d’avoir des milliers de personnes, compétentes certes, mais surtout dévouées, que l’on peut placer à tous les rouages de l’État. Une prise de pouvoir ne se décrète donc pas en quelques semaines ; elle doit être préparée en amont plusieurs mois en avance. À cet égard, ce que les talibans ont réalisé est un tour de force politique.

Le contrôle des talibans

Le turban règne donc désormais de nouveau à Kaboul et toute la question est de savoir si le pakol pourra résister aux nouveaux maitres. Les talibans ont repris rapidement les vallées tenues par l’Alliance du nord, repoussant les soldats de Massoud qui ont dû céder le terrain. Ce contrôle rapide n’est-il qu’un leurre stratégique destiné à se replier pour mieux repousser les talibans ensuite ? Ou bien le contrôle du pays, y compris au nord, est-il lui aussi effectif ? Les talibans ont réalisé ces dernières années de nombreux attentats en zone ouzbek, preuve là aussi d’une maitrise du territoire et de points de relais dans cette région. Les pays voisins n’ont pas d’intérêt à soutenir les peuples turcs, y compris Ankara. La Turquie a compris que ses rêves de califat turcophone en Asie centrale étaient vains tant les peuples ne voulaient pas se rattacher à ce grand ensemble, hormis quelques djihadistes minoritaires. Comme les autres voisins proches de l’Afghanistan, Ankara a donc intérêt à soutenir les talibans et à faire en sorte qu’un régime stable s’installe enfin à Kaboul afin de pacifier le pays. Les hommes du nord, ceux du pakol, ne parviendront jamais à contrôler l’Afghanistan, majoritairement pachtoune et sous l’influence du turban. La seule chose qu’ils peuvent viser est une autonomie au sein d’un pays fédéral avec un rattachement lâche à la capitale. C’est déjà le cas dans les faits, reste à le matérialiser dans le droit, sauf si les talibans refusent ce partage du pays.

L’automne va bientôt arriver et avec lui les pluies, la nuit et les températures en baisse. Puis ce sera l’hiver, une saison impropre à la guerre et difficile pour tenir des territoires hostiles. Les Turkmènes peuvent avoir intérêt à opérer un repli stratégique pour mieux chasser les talibans cet hiver, quand les conditions climatiques leur seront défavorables. Puis ensuite réaliser une union de fait avec les pays en « stan » et au-delà avec les Russes pour s’assurer le passage des caravanes et des flux de commerce. Un retour à Alexandre le Grand somme toute, qui n’a pas tenu très longtemps ces territoires, mais dont l’influence culturelle a duré bien au-delà de sa présence politique, en témoigne le port du pakol.

Voir en ligne : https://institutdeslibertes.org/le-...