FORT D’IVRY A LA FRAICHE
 "Tu n’étais pas un baroudeur, mon Colonel 
 Tu n’étais pas une figure légendaire 
 Ni un brillant stratège de la guérilla 
 Ni un seigneur du djebel. 
 Tu n’étais pas un fasciste 
 Ni un chouan pétri de traditions 
 Ni un automate sorti des camps viets 
 Ni un officier perdu d’orgueil. 
 Tu n’étais pas un para 
 Tu n’avais pas l’amour des combats impossibles 
 Ni le culte du Désespoir 
 Ni la vanité des soldats d’élite. 
 Tu n’étais pas révolutionnaire 
 Tu ne voulais la place de personne 
 Tu n’étais pas amer 
 La haine ne couvait pas dans ton cœur 
 Ni le dégoût dans ton regard 
 Ni l’insulte dans ta bouche. 
 Non.
 Tu n’étais qu’un homme paisible 
 Calme, honnête, responsable 
 Un chrétien réfléchi et pur 
 Un officier consciencieux 
 Un jeune savant, technicien appliqué 
 Qui menait la vie de tout le monde 
 Entre sa femme et ses filles...
 Mais un jour... 
 Un jour a cessé la paix civile. 
 Car l’Orgueil est entré dans la cité 
 Pour étrangler la Patrie au nom de la Patrie 
 Pour lacérer les drapeaux au son des fanfares 
 Pour décapiter l’armée qui était la Force de la Nation 
 Pour épurer la Fonction qui était l’Élite de la Nation 
 Pour soudoyer l’Église qui était la conscience de la Nation 
 Pour tromper les masses qui étaient la Nation même 
 Pour appeler chaque défaite un triomphe 
 Chaque crime un miracle 
 Chaque lâcheté un fait d’armes 
 Pour appeler la comédie Droiture 
 L’impuissance, Fermeté 
 L’Abandon, Succès 
 La Haine Modération 
 L’indifférence, Lucidité 
 Et les Plébiscites Référendums
 Toi, on t’avait appris 
 Qu’une parole ne se reprend pas 
 Que la France est une et indivisible 
 Que la loi est la même pour tous 
 Que la télévision est à tout le monde 
 Et bien d’autres choses encore,
 Tu as vu tous les grands 
 Tu as vu tous les responsables 
 Tu as vu tous les dignitaires 
 Protester mollement, d’abord 
 Et puis se taire bien vite 
 Dès qu’ils ont senti le bâton.
 Et tu n’as pas compris qu’ils étaient lâches 
 Car tu ne t’étais jamais parjuré 
 Car tu n’avais jamais hésité et menti 
 Ta vie était droite comme l’horizon des mers 
 Et tu regardais le soleil en face. 
 Les généraux pouvaient empêcher la France de mourir 
 Et aussi les fonctionnaires 
 Et aussi les évêques 
 Et aussi les professeurs 
 Les députés 
 Les magistrats 
 Et aussi les grands bourgeois 
 Les financiers 
 Les journalistes 
 Mais ils ont préféré la servitude 
 Ils ont vendu leur liberté trente talents 
 Ils ont acheté trente talents le droit 
 De survivre à leur Patrie 
 Pour continuer à ramper comme des vers 
 À grouiller comme des cloportes dans les ruines d’un monde en flammes.
 Alors toi, mon Colonel 
 Un citoyen inconnu, un patriote inconnu 
 Tu as senti ton heure venue 
 Tu es devenu le glaive 
 Tu as frappé devant Dieu et les hommes.
 On t’a traîné devant les juges 
 Pour une parodie de procès 
 Où des robots vêtus d’hermine 
 Petits fonctionnaires des abattoirs 
 Choisis sur mesure par le Prince 
 Au nom du peuple français 
 Ont ri de tes paroles 
 Bouché les oreilles à tes explications 
 Et t’ont condamné de leur voix mécanique 
 A quitter la comédie humaine.
 Tu les gênais, toi qui ne jouais pas 
 Tu les salissais, toi qui étais pur 
 Et ta voix nette et claire 
 Témoignage de l’Histoire Eternelle 
 Il fallait l’étouffer pour qu’on cessât de voir 
 Les fronts rouges et les âmes sales 
 Des courtisans chamarrés 
 Affolés par ton audace d’homme libre.
 Adieu, Brutus. 
 Tu es mort, un chapelet tressé dans tes doigts 
 Sans haine et sans colère comme un héros paisible 
 Il s’est trouvé des soldats pour t’abattre 
 Ils t’ont couché dans l’herbe du fort 
 Et ils ont basculé ton corps dans une fosse 
 Sous la pluie fine de l’aurore 
 Ils ont joué aux dés ta tunique bleue d’aviateur 
 Déchiré ton ruban rouge 
 Et dispersé tes galons d’argent et d’or au vent de l’Histoire. 
 Et ils ont cru, les déments 
 Que ta mémoire piétinée 
 Ton souvenir effacé par décret 
 Se tairait à jamais la voix d’un homme.
 Alors que ta mort tranquille 
 Nous rendait un dernier service...
 Regarde-nous mon Colonel 
 Du haut du paradis des croyants 
 Situé à l’ombre des épées : 
 Regarde-nous
 Tu as maintenant dix mille fidèles 
 Que ton martyr d’officier 
 A rendu à la lumière ; 
 Qui jurent devant Dieu 
 De faire éclater nos chaînes, 
 Et de révéler ton image
 Un jour au soleil d’été 
 Dans l’avenue qui portera ton nom 
 Des milliers d’hommes aux yeux fiers 
 Défileront d’un même pas 
 Guidés par les clairons de la postérité 
 Et d’un seul geste, au commandement, 
 Croiseront le regard de ton effigie 
 À jamais sanctifiée par les hommes.
 Dors maintenant, mon Colonel, 
 Tu es entré dans la paix... 
 Mais qu’ici-bas sur la terre 
 La malédiction demeure... 
 Que ton sang retombe sur les têtes 
 Des Pilates et des Judas 
 Qui poursuivent leurs vies d’insectes 
 Au prix d’un forfait si grand... 
 Et que nos larmes brûlantes 
 De douleur et de colère 
 Fassent jaillir de la terre grasse d’Europe et d’Afrique 
 La race nouvelle d’Occident... 
 Merci pour tout, mon Colonel 
 D’avoir vécu en français 
 Et d’être mort en Officier. 
 Car le moment est venu 
 Où après un tel exemple 
 Tu vas nous obliger à vaincre..."
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