Mon cousin, le docteur Jean-Claude Pérez, vient de nous quitter et c’est une partie de ma jeunesse qui est partie avec lui. Pas un seul homme ne fut un aussi grand défenseur de l’Algérie Française que Jean-Claude. Est-il nécessaire de rappeler qu’il fut le "patron" des commandos "Delta" et eu sous ses ordres le lieutenant Degueldre et, bien avant, l’organisateur des "Barricades" en janvier 1960 avec Pierre Lagaillarde. J’étais alors à ses côtés.
Jean Claude était le "docteur" de Bab-el-Oued, de tout ce petit peuple qui un jour du mois de Mars 1962 s’éleva contre l’abandon de la France et fut bombardé et assiégé par l’armée française, sous les ordres de De Gaulle et du général Ailleret.
Je me souviens d’une anecdote qui m’a beaucoup marqué : Une bombe avait éclaté boulevard de Provence, à l’arrêt du tram. Il était dix-neuf heures. Je me précipite et tombe sur mon cousin, le docteur Jean-Claude Pérez, dont le cabinet se situait juste sur la place, au premier étage. Il est occupé à secourir un homme allongé sur le sol, le ventre ouvert, d’où s’échappe une bouillie sanglante faite de boyaux et de graisse, c’était horrible.
Passe-moi ce journal, là, par terre, allez dépêche-toi.
Je le ramasse et le lui tends. Il enfonce, avec ses mains, tous les boyaux à l’intérieur de l’abdomen, place le journal plié sur la plaie béante et, à l’aide du pantalon et de la ceinture, referme le tout.
Reste à côté de lui jusqu’à l’arrivée de l’ambulance.
Jean-Claude est déjà reparti vers un autre blessé. Deux personnes s’éloignent en bavardant, l’une boite, le docteur se précipite.
Monsieur, monsieur, asseyez-vous par terre, vite.
L’homme le regarde, surpris.
Vite, allongez-vous, vous êtes blessé au pied.
L’homme baisse les yeux et s’aperçoit qu’il marche sur un moignon, il n’a plus de pied droit. Il tombe comme une masse.
Les ambulances arrivent, avec la police. Les blessés sont emportés, les morts restent là ; toujours bronzés, sous les réverbères, ils n’ont pas encore ce teint blanc de pâte à modeler sale, qu’ils auront demain matin, allongés sur le carrelage de la morgue de l’hôpital de Mustapha.
Quelques semaines plus tard, lors d’une visite à l’hôpital Maillot, j’apprends avec joie que notre blessé, avec son journal en guise de pansement, est bien vivant. Il vient me saluer, plié en deux et compressant de la main une cicatrice de quarante centimètres.
J’admire Jean-Claude Pérez. Peu d’hommes ont le courage de passer des paroles aux actes, surtout quand ces actes peuvent vous coûter la vie. Il était fait de cette matière, de ce courage physique, dont sont construits les "braves".
C’est lui qui, en mai 1958, m’a ouvert les yeux sur le "machiavélisme" de De Gaulle. Alors que j’étais journaliste à "La Dépêche d’Algérie" il me dit, au cours d’une discussion : "Vous vous trompez tous sur de Gaulle, ce n’est pas l’homme que vous croyez, vous verrez c’est lui qui nous coulera, à cause de lui nous perdrons l’Algérie ".
J’étais de nouveau à ses côtés lors du "Procés des Barricades", cette manifestation qui fit trembler le pouvoir parisien. Si les Français d’Algérie ne réagissaient pas l’Algérie française était morte.
Mon journal, "L’Aurore", m’avait demandé de couvrir ce procès des barricades où, parmi les accusés, se trouvait, outre mon cousin, un ami de longue date de ma famille, Marcel Ronda, fils de commerçants de la rue Bab-el-oued.
Jean-Claude Pérez fut ensuite emprisonné à la prison de la Santé. Il bénéficiait d’un régime réservé aux "politiques", ce qui me permit de lui rendre souvent visite.
Le soir même de sa remise en liberté, et avant son retour à Alger, j’organisai une soirée, en compagnie de Jean-Claude et de son épouse. Tout d’abord un monstrueux plateau de fruits de mer, à « l’Auberge alsacienne » du faubourg Montmartre, que Jean-Claude dévora presque à lui tout seul, puis, ensuite, des crêpes arrosées de cidre à la Brasserie Maxeville, sur les grands boulevards.
Il m’informa qu’il rentrait à Alger pour reprendre la lutte, jusqu’à la mort s’il le fallait, et ce n’était pas une parole en l’air.
A ma question : "Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?"
Il me répondit : "Reste à Paris, rends-toi utile ici, grâce à ton métier, chaque fois que tu en auras l’occasion, et attends".
En Algérie l’O.A.S. s’organisait sous le commandement du Colonel Godard et Jean-Claude Pérez se voyait confier l’O.R.O., branche dure, avec comme adjoint le Lieutenant Degueldre, ancien officier du 1er REP, responsable de la formation et de la direction opérationnelle des futurs commandos deltas.
Il m’avait fait part de sa fierté de savoir que j’avais représenté Georges Bideault lors de la création officielle de l’OAS à Madrid, auprès du général Salan et de Pierre Lagaillarde.
Fin mars 62 tous les responsables militaires de l’OAS avaient quitté le pays et il ne restait, pour le dernier baroud d’honneur, que le Dr Jean-Claude Pérez, le lieutenant Degueldre, et les commandos "Delta" de Bab-el-oued.
Après avoir échappé à deux attentats, mitraillage par une voiture et bombe placée dans sa Mercedes, Jean-Claude Pérez dû quitter Alger à son tour le 15 juin. Il était accompagné par plusieurs membres de ses commandos et ils ont embarqué à bord d’un bateau espagnol.
Le Dr Jean-Claude Pérez s’installera provisoirement à Salou, en Espagne et je garde en souvenir cette magnifique matinée passée sur le port de Cambril’s, face à la Méditerranée.
Nous avons eu quelques trop rares occasions de nous embrasser par la suite, notamment lors de quelques conférences organisées à Nice.
Adieu, Jean-Claude, tu resteras à jamais l’un des plus ardents et des plus brillants défenseurs de Algérie Française. Repose en paix.