Par Frédéric Mas.
« Nous sommes en guerre. » Quand Emmanuel Macron prend la parole devant les Français le 16 mars dernier, il ne mâche pas ses mots. L’heure est grave, le langage est martial. L’ennemi invisible qu’est le coronavirus nécessite la mobilisation de la population, le renfort de l’armée, mais aussi l’organisation de la production pour répondre à l’exceptionnalité de la situation.
Trois jours avant l’intervention, un décret a ainsi autorisé la réquisition des stocks de masques « dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19 ». Le 23 mars 2020, c’est une loi sur l’état d’urgence sanitaire qui vient confirmer l’extension -à titre provisoire- des pouvoirs du Premier ministre, y compris celui de prendre des « mesures de réquisition de tous biens et services nécessaires pour mettre fin à la catastrophe sanitaire ».
Atteinte au droit de propriété par l’administration
Avant de poursuivre, rappelons en quelques mots ce que signifie « réquisition ». Selon le Larousse, c’est un procédé « qui permet à l’administration de contraindre des particuliers à lui céder un bien mobilier, immobilier (en jouissance) ou encore des prestations », le tout en général en échange d’une indemnité fixée par l’administration elle-même. Il s’agit donc d’une atteinte au droit de propriété et à la liberté des échanges, prise légalement, justifiée aux yeux de l’État par la situation d’extrême nécessité, ici sanitaire.
Aujourd’hui, à quelques jours du possible déconfinement aux effets économiques néfastes des réquisitions se sont ajoutés des effets culturels.
Les réquisitions des stocks de masques ont aggravé la pénurie, la question a déjà été abordée dans Contrepoints . La perspective de ne tirer aucun profit de la fabrication d’un produit en décourage la fabrication comme la diffusion, la centralisation administrative ne permet pas d’allouer les biens et les services aussi efficacement que le fonctionnement ordinaire du marché. Les différents couacs entre administration et collectivités locales lors de l’achat de stocks de masques furent autant de rappels tragiques de ces enseignements économiques basiques.
Il y a plus grave cependant. La réquisition pour certains est devenue légitime afin de réparer les injustices sociales ou politiques que le gouvernement a en général lui-même participé à créer.
Depuis quelques jours, des couturières bénévoles ont exprimé leur ras-le-bol . Fabriquer des masques pour fournir les hôpitaux et le personnel soignant a un coût, actuellement supporté par des milliers de couturières qui confectionnent des masques « grand public » sur leurs propres deniers, avec leurs propres aiguilles et leur propre tissu. Demander un dédommagement, c’est-à-dire tirer un profit de ce travail, n’est pas choquant. Chacun devrait d’ailleurs être en droit de proposer ses masques et de les vendre. Seulement, certaines couturières bénévoles réclament de « réquisitionner les ateliers et les fonctionnaires d’État qui sont au chômage technique ; opéras, théâtres nationaux » pour pérenniser leur activité. En d’autres termes, l’administration, par la coercition, doit mettre à disposition les outils de production nécessaires à la poursuite de leur activité.
« Profiteurs de guerre »
Plus récemment, sept ordres nationaux de professionnels de santé se sont insurgés contre la grande distribution, accusée d’avoir profité de la situation de crise pour stocker des masques en vue de les vendre : « La consternation s’allie au dégoût. Toute guerre a ses profiteurs ». Là encore, pour punir le comportement jugé immoral de la grande distribution, certains professionnels réclament des réquisitions pour les mettre à disposition du personnel soignant. L’État devrait ainsi utiliser le monopole qu’il détient sur l’usage de la violence pour assurer à certains la gratuité de certains biens, au détriment d’autres secteurs de la population, désignés comme traîtres dans la guerre contre la pandémie.
Seulement voilà. Malgré la gravité de la situation, nous ne sommes pas vraiment en guerre, et demander des réquisitions en temps de paix, au lieu de laisser faire le marché, c’est ajouter une injustice à une autre, en s’appuyant sur des justifications moralement douteuses. Demander à l’État d’employer la force pour obtenir des biens « gratuitement » au nom de l’extrême nécessité normalise des pratiques politiques autoritaires qu’il devient de plus en plus difficile de contenir. Cela se fait au détriment de ceux qui participent à produire ces biens, parce que comme tout le monde, ils en vivent. Les couturières bénévoles le savent bien. Comme le blocage des prix, les réquisitions sont des mesures inutiles et nuisibles en temps de paix.
Au nom de la nécessité de « faire la guerre » au terrorisme, aux fake news, à l’insécurité, les libertés fondamentales du citoyen ordinaire ont reculé. Aujourd’hui, la « guerre » contre la pandémie est en train de mettre le pays à genoux et normalise les atteintes à la propriété. Il est grand temps de sortir de l’idéologie de l’économie de guerre pour nous remettre sur le chemin de la liberté.
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