La publication par l’Insee des derniers chiffres de la natalité en France, portant sur les onze premiers mois de l’année 2023, a été l’occasion d’une prise de conscience chez certains observateurs. En effet, ceux-ci attestent de manière incontestable de la poursuite et de l’approfondissement de l’« hiver démographique » dans lequel notre pays se trouve désormais plongé.
Le nombre de naissances a marqué un recul de 6,8% par rapport à la même période en 2022 : seuls 621.691 bébés sont nés sur le territoire, soit 45.000 de moins que l’année précédente. Cette comparaison prend d’autant plus de sens que 2022 avait déjà marqué un plus bas historique en la matière : le solde naturel (constitué de la différence entre les naissances vivantes et les décès survenus sur le sol national) s’y était établi à + 56.000 personnes à peine, soit un résultat quasiment nul.
À lire aussiBaisse historique des naissances : pourquoi les Français font-ils moins d’enfants ? Les données provisoires pour 2023 tendent à indiquer que ce solde basculera prochainement en négatif : comme plusieurs de ses voisins, la France aura bientôt besoin de « plus de cercueils que de berceaux » – selon la formule du démographe Gérard-François Dumont. Longtemps pourtant, la France a semblé représenter une relative exception parmi les nations européennes, avec un niveau de fécondité se rapprochant souvent du seuil de remplacement des populations. Or cette vision rassurante n’est hélas plus d’actualité. L’indicateur conjoncturel de fécondité dans notre pays est passé de 2,03 enfants par femme en 2010 à 1,8 enfant par femme en 2022. Le solde naturel a été divisé par 5 entre 2006 et 2022.
Singularité de la situation française
Si cette tendance structurante à la contraction des naissances correspond à un phénomène observable dans l’ensemble du continent européen et du monde occidental, la situation française se singularise néanmoins par une différence majeure : l’évolution de la natalité recouvre des réalités très différenciées, voire des tendances contraires suivant l’origine migratoire des populations.
Ce constat vaut particulièrement lorsque l’on s’intéresse à la ventilation des naissances selon le lieu de naissance des parents. Ainsi, depuis l’an 2000, le nombre annuel d’enfants nés sur le territoire et issus de deux parents eux-mêmes nés en France a diminué de 22% ; mais dans le même temps, les naissances issues d’au moins un parent né hors-UE ont augmenté de 40% et celles issues de deux parents nés hors-UE ont augmenté de 72%.
À lire aussi« Vieillissement de la population : la France face à l’urgence démographique » Cela signifie que la France se trouve aujourd’hui confrontée à des dynamiques de fécondité contradictoires sur son sol : la natalité « native » se contracte fortement, tandis que la natalité issue de l’immigration extra-européenne augmente de manière très significative. Un tel constat se retrouve dans la répartition globale des naissances : près d’un tiers (29%) des enfants nés en France en 2022 ont au moins un parent né hors de l’Union européenne.
Les femmes immigrées enfantent plus
Ce bouleversement démographique doit être compris par l’action conjointe de deux moteurs explicatifs : l’accélération des flux migratoires d’une part, la natalité différenciée de certaines populations immigrées d’autre part. La hausse rapide et forte de l’immigration vers la France depuis la fin des années 1990 est attestée par de multiples indicateurs, le plus central résidant dans l’évolution du nombre annuel de premiers titres de séjour accordés par notre pays : celui-ci a augmenté de 153% entre 1999 et 2022 – dans l’attente des premières données provisoires pour 2023 qui devraient confirmer cette tendance haussière.
À lire aussiLe vieillissement accéléré de la population menace l’économie mondiale Par définition, ces titres de séjour concernent des personnes originaires de pays extérieurs à l’Espace économique européen. D’autres instruments permettent d’approcher l’amplification des flux vers la France, parmi lesquels ceux liés à l’asile : entre 2009 et 2022, le nombre annuel de premières demandes d’asile déposées en France a augmenté de 227%.
Les immigrées algériennes en France avaient en moyenne 3,69 enfants par femme, soit nettement plus qu’en Algérie même (où l’indice conjoncturel de fécondité était seulement de 3 enfants par femme).
Nicolas Pouvreau-Monti
Par ailleurs, plusieurs études institutionnelles attestent de l’existence d’un différentiel de fécondité notable entre les femmes immigrées de certaines origines et les femmes non immigrées. L’un de ces travaux scientifiques, publié par l’Ined en 2019 et portant sur les données de l’année 2014, établissait ce fait de manière saisissante : les immigrées algériennes en France avaient en moyenne 3,69 enfants par femme, soit nettement plus qu’en Algérie même (où l’indice conjoncturel de fécondité était seulement de 3 enfants par femme).
Basculement à long terme
Le même constat différentiel vaut pour les femmes immigrées tunisiennes, marocaines et turques, dont le taux de fécondité en France était compris entre 3,12 et 3,5 enfants par femme, tandis que l’indice de fécondité dans leurs pays d’origine se situait entre 2,1 et 2,4 enfants.
Les études démographiques indiquent que les taux de fécondité des personnes immigrées ont tendance à diminuer à la génération suivante et à converger progressivement vers la moyenne des natifs. Toutefois, cette convergence est lente et ses effets se trouvent fortement mitigés par l’accélération des nouveaux flux entrants, d’autant plus que le pic de naissances chez les femmes immigrées se situe dès la première année suivant leur arrivée en France – comme l’Insee l’a établi dans une étude parue au printemps dernier. Il se maintient à un niveau particulièrement élevé durant les cinq années qui suivent leur installation, puis diminue ensuite progressivement. Les multiples réactions formulées face aux chiffres de la natalité pour 2023, qui traitent à juste titre de la question du « combien », gagneraient donc à ne pas occulter celle du « qui ». Les effets cumulés de l’immigration et des différentiels de fécondité ont déjà fortement modifié la structure de la natalité en France. Une fois posé ce diagnostic incontestable, il doit être permis à chacun de s’interroger sur les conséquences d’un tel basculement à long terme, en particulier pour la cohésion de notre société, et d’en tirer les conclusions qui s’imposent en matière de politiques publiques.
Source : Le Figaro
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