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Cameroun : le modèle de développement rural entretient la pauvreté

, par  Louis-Marie Kakdeu , popularité : 7%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Par Louis-Marie Kakdeu.
Un article de Libre Afrique

En 2013, le Cameroun comptait environ 22 millions d’habitants et 48,5% vivaient en milieu rural. Selon l’Institut National de la Statistique (INS), le taux de pauvreté est passé de 40,2% en 2001 à 37,5% en 2014 mais le pays n’a pas atteint les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et n’est pas en voie d’atteindre dans 3 ans les objectifs modestes de réduction à 28,7% du taux de la pauvreté, comme indiqué dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE). Où réside le problème ?

L’appauvrissement des ruraux

Au Cameroun, 60% de pauvres qui ne disposent pas suffisamment de ressources pour satisfaire leurs besoins fondamentaux se trouvent en milieu rural, or, ils sont le parent pauvre de la politique de développement. Selon la Banque Mondiale, le seuil de pauvreté est fixé à 2 dollars par personne et par jour. En chiffre, cela représentait 8,1 millions de personnes en 2014 au Cameroun.

Selon l’INS dans son rapport de la 4ème enquête auprès des ménages (ECAM 4), « la croissance entre 2007 et 2014 a été non-inclusive, en ce sens qu’elle bénéficie aux ménages les plus aisés et très peu aux populations pauvres ». Le premier problème est donc celui de l’inégalité : le modèle de développement camerounais n’est pas inclusif et « pro-pauvre ».

Par exemple dans sa nouvelle politique foncière en milieu rural, le gouvernement n’est pas en train de faire une réglementation pour faciliter l’accès des paysans propriétaires terriens au marché financier en vue de résoudre leur problème de pauvreté monétaire.

Au contraire, il est en train de les exproprier pour introduire leurs terres dans le domaine privé de l’État en vue de centraliser la gestion de la propriété foncière et de constituer une réserve agro-alimentaire pour les investisseurs et autres multinationales.

Par conséquent, les pauvres demeureront pauvres, dépendants et à l’étroit dans leur propre environnement. Il fallait plutôt transformer les paysans en entrepreneurs ruraux crédibles sur le marché financier.

Cela serait passer par une simple reconnaissance de leurs droits de propriété sur leurs terres et l’attribution d’un statut formel à leurs différents métiers ruraux dont l’agriculture qui demeure informelle. L’assouplissement des procédures d’immatriculation et la réduction de leur coût s’avèrent incontournables pour à la fois sauvegarder et valoriser le capital foncier des paysans.

Des stratégies déconnectées du contexte

Une autre aberration dans la stratégie étatique est sa velléité à vouloir importer le développement en milieu rural. Au mépris des approches participative et inclusive, l’État s’exerce à développer l’agriculture sans s’appuyer sur la population agricole déjà active (environ 9,4 millions de personnes).

Il travaille à importer artificiellement de nouveaux investisseurs, attirés uniquement par l’effet d’aubaine, qui manquent de maîtrise de l’environnement agricole en milieu rural et qui finissent presque toujours par déserter au bout de quelques années. À chacun son métier !

Au final, l’État se retrouve dans un cercle vicieux de recherche perpétuelle de nouveaux investisseurs pour le monde rural. Par exemple en 2017, il est très difficile de retrouver les traces des bénéficiaires du Projet d’Amélioration de la Compétitivité Agricole (PACA) clôturé en 2015.

Dans la filière riz concernée, 97,06% demeurent importés selon un rapport de l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (ACDIC). Ainsi, 60 millions de dollars sont partis en fumée ! Au seul ministère en charge de l’agriculture (MINADER), l’on dénombrait 45 projets du même genre en 2012 sans que l’on ne puisse parler de succès dans la lutte contre la pauvreté. Il convient désormais de soigner la pauvreté en ciblant directement les pauvres.

Il faut tourner la page des organisations opportunistes : 70% des 123 000 groupements d’initiatives communs (GIC) bénéficiaires au Cameroun sont fictifs (non-fonctionnels) de même que 82% des 3000 sociétés coopératives enregistrées. Ces organisations n’ont existé pour la plupart que le temps de bénéficier des financements publics.

L’État doit s’appuyer sur l’existant et avoir pour objectif d’autonomiser les paysans afin qu’ils deviennent riches au lieu de continuer à vouloir planter les urbains en milieu rural. On ne peut pas promouvoir le monde rural en marge des paysans.

Pour ce faire, l’État doit se débarrasser, entre autres, des conditions bureaucratiques de financement non-accessibles aux paysans illettrés comme l’obligation de présenter des rapports d’activité et surtout, les protéger contre le dumping et la spéculation sur le marché.

La main mise de l’État

Enfin, le gouvernement commet une grossière erreur stratégique en choisissant d’être à la fois maître d’ouvrage et maître d’œuvre. Il rechigne à laisser l’investissement entre les mains du privé et encore moins du paysan dont il doute de la capacité à livrer une chaîne de production industrielle.

L’État a toujours sa propension à créer lui-même des industries mais elles tombent rapidement en faillite (éléphants blancs) en raison de la gestion (néo)patrimoniale des fonctionnaires. Face à ces faillites, l’État semble s’être installé confortablement dans l’économie de la consommation.

Par des mesures conjoncturelles, il veille scrupuleusement à stimuler la consommation plutôt que la production locale. Il existe plus de facilités à importer qu’à produire localement, ce qui justifie la quasi-cessation de production locale de plusieurs denrées.

En 2017, 100% du blé permettant de faire le pain et autres pâtes alimentaires au Cameroun sont importés. Aussi, selon le rapport de l’ACDIC, 89,06% de laits sont importés au Cameroun dans un pays qui dispose de toutes les potentialités agro-écologiques de production.

Le déficit de la balance commerciale est passé de 557 milliards en 2013 à 737 milliards en 2016. Il convient de déplacer le curseur du peu de mesures incitatives qui existent du secteur de la distribution vers les secteurs de la production et de la transformation locales plus créateurs de richesses nécessaires à la croissance.

Somme toute, les choix économiques de l’État camerounais sont pour le moins discutables. Les responsables doivent se remettre en cause pour changer de modèle de développement du monde rural et mettre en œuvre des réformes structurelles allant vers la facilitation de l’entrepreneuriat rural. La lutte contre la pauvreté ne passe pas par l’aumône mais via l’autonomisation.

Sur le web

Cet article Cameroun : le modèle de développement rural entretient la pauvreté est paru initialement sur Contrepoints - Journal libéral d'actualités en ligne

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2017/0...