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BASTIEN-THIRY : Témoignage du commissaire chargé de l’escorte.

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
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**Source Pierre Sidos : témoignage d’un commissaire divisionnaire de l’état-major de la police Nationale (extraits).

Samedi 9 mars 1963 – 17 h.

À la préfecture on me confirme que Prévost et Bougrenet de la Tocnaye, condamnés à mort, sont graciés et que l’exécution de Bastien-Thiry est ordonnée pour le lundi 11 mars au matin.

Nous devons mettre sur pied le service d’ordre.

Détail pénible : on me charge de commander le cercueil et l’on me donne les mensurations du malheureux.

Ces préparatifs hideux, concernant un homme bien vivant, toujours relié par la pensée avec sa femme et ses trois filles, me mettent dans un trouble profond et me font abhorrer la peine de mort.

Je me demande comment je vais vivre ces 48 heures d’attente !

Le dimanche est une véritable veillée funèbre.

Sans avoir dormi, je me lève à une heure du matin. Il pleut à torrents. Par les rues désertes je vais à la préfecture prendre contact avec mes équipes : des gens courageux, toujours prêts à traquer les criminels, qui sont ébranlés eux aussi.

Ils ont, à tour de rôle, déjà escorté le prisonnier tout au long des nombreux trajets prisons/Fort de l’Est, où siégeait le Tribunal.

Les rares contacts qu’ils ont eus avec Bastien-Thiry leur ont laissé une profonde impression : même sans lui parler « il semblait enveloppé d’une auréole » !

Nous partons pour Fresnes.

Dès notre arrivée, je vois une dizaine de reporters de presse et de télé qui allument leurs projecteurs.

C’est sans ménagement que je les fais reculer vers le bistrot voisin, où ces importuns ont établi leur PC.

Le condamné est dans le bâtiment voisin, le CNO (Centre National d’Orientation).

Les CRS de garde aux abords courbent le dos sous l’averse.

La police prend place sur l’itinéraire, la pluie fait rage, j’écoute le vide et je prie.

Tout à coup les abords de la prison s’animent.

Arrive Gerthoffer, le procureur général. Silhouette falote, moulée dans un pardessus gris aux formes démodées.

Il descend de voiture et saute pour éviter les flaques d’eau.

Ce vieillard allant faire tuer un être jeune, plein de vie, me semble une énormité inhumaine.

Pendant ce temps De Gaulle doit reposer dans sa sinistre morgue.

La gendarmerie chargée de livrer le condamné au peloton d’exécution a fait grandement les choses : une escorte de chef d’état. Trente motos et trois petits cars bourrés d’effectifs armés prennent place sur l’avenue dite « de la Liberté ».

Le car transportant le condamné, avec une garde de 8 gendarmes.

Nul n’ignore que la gendarmerie est le pilier du régime.

Toutes les personnalités étant arrivés on va réveiller le condamné.

C’est Gerthoffer qui entre le premier et Bastien-Thiry lui demande aussitôt quel a été le sort de ses compagnons ?

Apprenant qu’ils sont graciés, il semble délivré de tout souci et entre dans une sorte d’état second, abandonnant toute contingence terrestre.

Il revêt son uniforme et sa capote bleu marine de l’Armée de l’air sans prêter la moindre attention aux paroles de ses avocats.

Il entend la messe et même aux yeux des moins perspicaces il est déjà en dialogue avec le Ciel.

Au moment de communier, il brise en deux l’hostie, que lui tend l’aumônier, et lui demande d’en remettre la moitié à son épouse.

Puis, après l’Ite Missa Est, il dit « Allons… » et se dirige vers le couloir de sortie.

Les phares des voitures s’allument, les motos pétaradent et j’annonce par radio la phrase que j’ai si souvent prononcée lorsque j’escortais De Gaulle « Départ imminent ».

Mais rien ne vient.

Cette attente imprévue me semble atroce.

Pendant 20 minutes les avocats tentent une dernière démarche désespérée : ils demandent au procureur général d’ordonner de surseoir à l’exécution en raison du fait nouveau qu’est l’arrestation récente du colonel Argoud.

Bastien-Thiry, absent de tout, retourne dans sa chambre, stoïque, silencieux, méprisant devant ces passes juridiques où chacun s’enlise. Il ne dira mas un mot, ni d’intérêt, ni d’impatience.

Le commissaire B.., qui pourtant n’est pas croyant, me dit : « Il est déjà parti en haut ».

Les palabres des hommes de loi prennent fin. Le procureur a refusé tout sursis.

Cette fois c’est bien le départ.

Je vois la voiture du condamné balayer de ses phares le seuil de la prison puis se diriger vers le portail.

Tout le cortège s’ébranle : c’est un cortège de chef d’état.

Ce condamné qui lors de son procès a traité De Gaulle d’égal à égal et l’a assigné devant le Tribunal de Dieu et de l’Histoire, comme renégat à la parole donnée, aux serments les plus solennels et sacrés, ce condamné est bien un chef d’état.

C’est bien le même cortège que j’ai souvent commandé.

La pluie redouble. Je reste loin derrière, suivant la progression par radio codée…comme pour l’Autre !

Je décide d’aller directement au cimetière de Thiais.

Je n’aurais pas pu assister à ce crime et pas même rôder autour du Fort d’Ivry et entendre cette horrible et dernière salve.

Au moment où j’entre parmi les tombes, j’entends cette petite phrase du commissaire B. « Je vois le condamné contre son poteau » et, à 6 h. 42 « Exécution terminée ».

Je sais gré à B. d’avoir évité la formule consacrée « Justice est faite ».

J’attends encore : rien ! Donc il n’y a pas eu défaillance du peloton comme pour le malheureux Degueldre.

Je me rends au carré des condamnés : une triste parcelle recouverte de hautes herbes jaunies par le gel.

Un trou a été creusé dans la glaise qui colle à mes chaussures.

On descend le cercueil en volige de bois blanc. L’aumônier arrive suivi du médecin.

Les gendarmes se retirent.

Avec le commissaire D. nous restons là, tous les quatre, à prier devant cet humble cercueil, courbant le dos sous les rafales de ce sale hiver qui n’en finit pas.

Ainsi est mort pour son idéal, le Rosaire au poignet, Jean-Marie Bastien-Thiry.

Paris, le 11 mars 1963, 11 h. du matin.

Voir en ligne : http://magoturf.over-blog.com/2017/...