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Au Caporal-Chef Aimé Trocmé

, par  noreply@blogger.com (atoilhonneur corto) , popularité : 5%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Ce n’était pas il y a 3 ou 4 ans mais il y a 5 ans.

Le Caporal-Chef Trocmé était venu déjeuner à la maison. Rarement personnage ne m’avait autant impressionné. Il est mort il y a 4 jours, à 89 ans . Paix à son âme ; et puisque la République, bien ingrate, semble vouloir les oublier, gardons en mémoire ces vaillants combattants, nous nous leur devons.

De cette rencontre, j’avais écrit le billet ci-dessous...

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J’avais à déjeuner un personnage hors du commun. Peu importe les circonstances qui ont fait qu’il soit à ma table, il était là le vieux caporal-chef tout engoncé dans un vieux costume gris sans doute ressorti du placard pour l’occasion. Sur le revers du veston, il y avait le canapé rouge, une barrette jaune et un pin’s des anciens de là-bas. Son épingle de cravate, c’était deux fusils en croix. Il avait mis une belle chemise blanche, un peu mitée au col ; enfin blanche, plus vraiment. Tout dégingandé, le pas mal assuré, il a grimpé l’escalier et à peine entré a demandé un fauteuil, avant même de dire bonjour, un peu épuisé par les huit marches.

Il était là, donc, juste pour rencontrer un autre ancien. Je n’ai eu qu’à écouter et oser poser quelques questions.

Pas intimidé pour un sou, l’ancien, il a le bagout de ceux qui ont vécu, de ceux qui ont affronté la mitraille. Dans la cuvette, il était troupe de choc, parachutiste. Alors les pruneaux, il en a balancé à ceux d’en face autant qu’il en a reçu. Il y a laissé deux doigts et un œil d’ailleurs car des fois, qu’il nous a dit, les grenades pétaient un peu trop tôt. On a pris l’apéritif et il a commencé à nous raconter Dien Bien Phu. Son Indochine, sa guerre à lui, celle qu’il a fait pour la France, pas pour lui. Il nous a parlé des tranchées. Les mêmes qu’en 14, dis-je ? Les mêmes. Seules les pelles pour creuser étaient différentes, elles étaient plus larges. Mais dedans, il y pleuvait tout autant, il y faisait bien plus chaud. Chaud et moite, terriblement moite. Parfois, ça sentait très fort.

Comme si c’était hier, il nous a décrit les lieux et les collines environnantes qui toutes avaient un prénom : Eliane, Béatrice ou Gabrielle... Il nous a raconté cet ennemi sournois et sans pitié, en guenilles mais combattant féroce, le VietMinh, qu’il n’a pourtant jamais réussi à détester. Il nous a raconté par le menu les 50 jours de combats acharnés qui précédèrent la chute et la reddition des troupes françaises. Il se souvenait du nom de tous ses copains, ceux qu’ont eu pas d’chance et qui sont tombés et ceux qui, comme lui, ne savent toujours pas pourquoi ils sont encore debout. Il nous a parlé de la chaleur, du sang, des cris et des larmes car voyez-vous, jeune homme, un soldat, ça pleure, souvent même. Ils nous a parlé des avions français, des Corsaires, des Dakotas et des B26, qui pilonnaient les positions ennemies et des bombes que le Viet, pas avare, leur balançait sans arrêt sur la tronche, s’cusez, madame, sur la tête. Il nous a dit aussi qu’un ou deux officiers français, effondrés par la défaite qui s’annonçait, avaient préféré se tirer une balle dans la tête ; mais il nous a aussi raconté l’ardeur que tous, du rang ou de la haute, mettaient à se battre puisqu’ils étaient là pour ça. Il m’a parlé des infirmières, des anges, et des médecins, un peu bouchers ou charcutiers et des blessés que l’on ne pouvait pas faire autrement que de laisser mourir, parfois, non, souvent. Il m’a expliqué les nuits d’attente ou les quelques instants de calme où ils pouvaient rire, un peu, chanter, se reposer brièvement ou aller à la messe dite à la va-vite par un aumônier qui officiait derrière un autel fait de caisses de munitions ou de vivres. Tu sais, mon gars, ça bouillonnait dans la cuvette, y avait des cris, des rires, des blessés et des morts, forcément. L’ennemi était partout et se rapprochait chaque jour. On avait la pétoche mais c’était comme ça.

Il nous a raconté tout cela, c’était poignant et "criant" de vérité, forcément ; mais le rôti en fut trop cuit. M’en excusant, pas grave, on a eu pire qu’il me répondit le vieux caporal-chef.

Aujourd’hui, le vieux caporal-chef se promène partout où on lui demande de venir témoigner tant que ses jambes arrivent encore à le porter, mais plus dans les écoles, la guerre, c’est plus de mode. Il y a peu, il a rendu visite à Geneviève, elle n’a pas l’air très en forme, elle est très fatiguée. Il va aux enterrements d’anciens, juste pour être aux côtés de ceux qui ne partent qu’aujourd’hui. La semaine dernière, ils étaient huit, seulement, dans une église pour rendre un dernier hommage à un comme lui, qui était là-bas. Faut dire que tout le monde s’en fout aujourd’hui, mon gars, on nous oublie. La France nous oublie...

Je ne pense pas que j’oublierai ce vieux caporal-chef de quatre vingt cinq ans. Il m’a ému, tout autant que le poème "de guerre" qu’il avait écrit la veille à mon attention. C’est mieux que d’offrir des fleurs quand on va chez les gens, n’est-ce pas ?

Dans cinq ans ou peut-être dix, plus personne ne pourra nous raconter tout cela de vive voix. Il faudra se fier aux écrits ou aux films et je vous le garantis, ça ne sera pas pareil.

D’accord, pas d’accord : atoilhonneur chez yahoo.fr

Voir en ligne : http://corto74.blogspot.com/2018/10...