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Les risques de désintégration du Soudan

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
Article publié le 21 avril
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Derrière l’affrontement entre Abdelfattah Al-Burhan et Hemetti, ce qui se joue aussi c’est l’unité du Soudan et la place des régions périphériques. Les risques de désintégration de ce vaste pays sont réels.

Une manifestation a eu lieu à Shendi ce mardi 18 avril 2023. Cela peut sembler anecdotique, alors que les combats à l’arme lourde et les tirs des avions de chasse continuent à terroriser la capitale soudanaise, que des témoignages de pillage et de meurtres arrivent du Darfour , que les habitants de tout le pays sont maintenus dans une terreur sans fin depuis samedi 15 avril par deux généraux rivaux et leurs forces respectives. Ça ne l’est pas. Car cette manifestation risque d’être le signe d’une détérioration supplémentaire de la situation, et d’un engrenage.

Ce défilé de pick-up remplis d’hommes en galabiya blanches brandissant le poing ou une arme légère relève de la démonstration de force belliqueuse : il a été organisé en soutien à l’armée nationale qui se bat contre les paramilitaires de la Force de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF). Le lieu est aussi significatif : Shendi est à 160 km au nord-est de Khartoum, sur la rive orientale du Nil. Le général Abdelfattah Al-Bourhan, dirigeant de facto du pays, commandant en chef de l’armée et l’un des deux protagonistes des combats actuels est né dans un village des environs et a fait ses études secondaires à Shendi. C’est aussi de cette partie du pays qu’est originaire la plus grande partie de la classe dirigeante du Soudan depuis son indépendance. Cette même élite accusée de discrimination et de confiscation du pouvoir par les régions dites périphériques, Darfour en tête. Or le Darfour est le berceau du général Mohamed Hamdan Dagalo, dit «  Hemetti »,et de sa RSF.

Khartoum et le centre contre le reste du pays

Bref, il est à craindre, avec Kholood Khair, analyste soudanaise, fondatrice de Confluence Advisory, et très fine observatrice de son pays, que cette démonstration à Shendi n’augure d’un changement de nature du conflit en cours : « L’ethnicisation brutale de ce conflit a commencé pour de bon. Il ne s’agira peut-être bientôt plus de l’ambition à somme nulle de deux hommes, mais d’une nouvelle itération des problèmes éternels du Soudan : qui a des droits sur l’État ? Une contestation qui sape la viabilité même du pays », écrit-elle sur le réseau Twitter.

Pour saisir ce conflit et la violence de l’affrontement, il faut revenir sur l’histoire du Soudan. Depuis son indépendance en 1956, le pays a été dirigé, sauf à de rares et courtes périodes de gouvernance civile et démocratique, par l’armée, dont l’état-major est composé d’officiers du centre et du nord du pays. Depuis son indépendance, des conflits opposent ce centre, c’est-à-dire Khartoum et la vallée du Nil, et les régions dites périphériques. Au Soudan, on a coutume de désigner les habitants du centre comme « arabes » ou « nilotiques ». Ils se dépeignent volontiers eux-mêmes comme « les enfants du pays ». Ceux qui sont originaires des périphéries sont appelés par le nom de leur ethnie (Beja, Funj, Nuba, Fur, Massalit, et nous en oublions beaucoup). Les éleveurs nomades dits « arabes » de l’est sont souvent considérés comme étant à peine soudanais, puisque les tribus sont à cheval sur les pays limitrophes, les frontières ayant été, ici comme ailleurs en Afrique, tracées par les puissances coloniales.

Deux guerres ont opposé le nord au sud, devenu indépendant en 2011, et leurs racines puisaient, davantage que dans la religion, dans les discriminations, la confiscation des richesses et des postes de responsabilité. La partie septentrionale de l’actuel Soudan est encore habitée par ces longues années de guérilla, avec un groupe armé actif, même si un cessez-le-feu est en place depuis la révolution de 2018. De sérieuses tentations séparatistes ont secoué l’est du pays. Quant au Darfour, il est depuis vingt ans le siège d’un conflit atroce qui a valu à l’ancien dictateur Omar Al-Bachir d’être accusé de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

Si les protagonistes d’aujourd’hui, Abdelfattah Al-Burhan et Hemetti, ont tous les deux servi Omar Al-Bachir et sa guerre au Darfour, le recrutement de leurs forces n’est pas du tout le même. La RSF créée par l’ancien dictateur en 2013 regroupe les anciens janjawid, supplétifs de Khartoum, recrutés dans certaines tribus arabes nomades du Darfour. Omar Al-Bachir en avait fait sa milice privée et, pour contrer une armée régulière qui pouvait le menacer, une « force régulière » avant de la faire venir finalement à Khartoum en 2018, juste avant la révolution.

Le mépris pour l’« éleveur de chèvres »

Des éléments de l’armée nationale ont été transférés à RSF et réciproquement. Le recrutement a été élargi, mais rien de ceci n’a empêché ni fait oublier le ressentiment « périphérie contre centre ». Hemetti, qui n’a pas fréquenté les bancs des académies militaires, est souvent désigné dans la capitale comme « l’éleveur de chèvres », les RSF méprisés. Il y a de la revanche dans une courte vidéo publiée sur le réseau twitter, où on voit les paramilitaires triompher : « Nous sommes dans le commandement général [de l’armée, à Khartoum], à l’intérieur ! oui, à l’intérieur ! ».

Après la révolution, RSF s’était dispersé dans la capitale, investissant de multiples endroits à Khartoum, notamment confisqués aux organisations liées à l’ancien régime. Ainsi un impressionnant building de verre situé comme par hasard juste en face du commandement général de l’armée nationale, énorme complexe renfermant les sièges de toutes les armes. Récemment, un mur de béton avait commencé à être érigé le long du QG militaire. « Ils ont plus peur des RSF que de la population », riait-on à Khartoum. Le duel était déjà là, inscrit dans la cartographie de la ville.

Bien sûr, il n’est pas question de réduire la guerre que se livrent les deux généraux rivaux à cette dimension « centre » versus « périphérie ». Entrent en ligne de compte une lutte pour le contrôle des richesses et les intérêts des sponsors régionaux et internationaux des deux forces. Mais oublier les forces centrifuges serait une erreur d’autant plus grave qu’après un bref intermède de sentiment d’unité nationale pendant le soulèvement populaire de 2018 et les 18 premiers mois de la période de transition démocratique sous le gouvernement civil d’Abdallah Hamdok, les fractures sont apparues plus profondes que jamais après le coup d’État du 25 octobre 2021 .

Le putsch a été mené de conserve par Abdelfattah Al-Burhan et Hemetti. Les deux ont œuvré ensemble pour mettre fin à la transition démocratique, arrêter les ministres, dirigeants politiques et activistes les plus importants, lancer la répression contre le mouvement révolutionnaire et notamment les comités de résistance, organisations de quartier et colonne vertébrale de la révolution. Abdelfattah Al-Burhan, réputé proche des islamistes, a remis en selle nombre d’entre eux, anciens du Parti du Congrès national (National Congress Party, NCP), formation tentaculaire de l’ancien régime.

Se préparer à la guerre

Hemetti s’est senti menacé, lui qui se vante d’avoir arrêté Omar Al-Bachir et donc participé à la chute de son régime. Il a cherché à se faire le héraut de la révolution et des forces civiles, s’est autoproclamé barrière contre le retour des islamistes. En somme protecteur des faibles contre les kaizan, partisans de l’autocrate déchu et affairistes kleptocrates des richesses de la nation. À l’été dernier, il a reconnu que le coup d’État avait été un échec et une erreur et a publiquement soutenu le retour des civils au pouvoir. Certains y ont cru. La United Nations Integrated Transition Assistance Mission in Sudan (Unitams), le mécanisme trilatéral (ONU, Union africaine et l’organisation régionale d’Afrique orientale IGAD), le Quartet (États-Unis, Arabie saoudite, Émirats arabes unis et Royaume-Uni) se sont félicités de l’accord-cadre signé le 5 décembre 2022 entre les généraux Burhan et Dagalo, et une quarantaine de partis politiques et organisations représentants des civils. C’est ce processus politique qui vient d’éclater en vol, sur la question de la réforme des institutions militaires et sécuritaires. Al-Burhan voulait une intégration de RSF dans l’armée en deux ans, Hemetti voulait garder la haute main sur ses forces.

Le duel a en fait commencé dès avant le coup d’État. L’inimitié a été renforcée par le putsch et ses suites. Avec des conséquences très tangibles dans le pays. « Hors du centre, le pays a connu une déstabilisation croissante, des tensions ethniques manipulées par certains agendas politiques, l’économie en zone rurale et les moyens de subsistance se sont dégradés. La tension entre le centre et la périphérie s’est aggravée », expliquait, en février dernier, Guma Kunda Komey, chercheur et ancien conseiller pour la paix du premier ministre Abdallah Hamdok, dans un podcast diffusé par l’International Crisis Group.

Les deux camps ont renforcé leur base et préparé la guerre. « Hemetti a utilisé les armes de la violence et de l’argent pour asseoir son contrôle, expliquait en mars dernier Ahmed Gouja, activiste de Nyala au Darfour. Il a distribué des Land Cruisers et des Hilux aux dirigeants communautaires, il a embauché des jeunes pour les envoyer au Yémen. Le mercenariat, ça rapporte énormément d’argent à ces jeunes, 50 000 dollars [46 000 euros] au bout de neuf mois. Avec ça, ils peuvent se marier, se faire construire une maison, monter un business. Hemetti leur offre un avenir. » Et pour faire rentrer dans le rang ceux qui refusent, il use de la carte de la violence : « Il attise les conflits entre ethnies, entre les tribus arabes et les agriculteurs, et il arrive après avec une offre de réconciliation. »

Le poids du Darfour

Au Darfour, l’armée elle aussi a tenté de recruter. Avec moins de succès, car elle n’était pas en mesure d’offrir les mêmes avantages. « C’est pour cela que dans la région, RSF est mieux équipé que l’armée, avec plus de véhicules et des voitures bien plus puissantes », expliquait encore Ahmed Gouja il y a quelques jours. L’armée et les partisans de l’ancien régime ont été accusés ces derniers mois de la mise en place de milices dans le nord et le centre du pays. Ainsi les forces du Bouclier soudanais ont annoncé elles-mêmes leur formation dans la ville de Dongola en décembre 2022, puis ont organisé des rassemblements dans des cités lors de marchés hebdomadaires très fréquentés sans que les autorités interviennent.

Alors que les deux généraux proclamaient à longueur de communiqués et de réunions avec les acteurs internationaux leur acceptation d’un retour des civils au pouvoir, ils mettaient en place les conditions d’une victoire lors de leur affrontement prochain. Ils se sont transformés en seigneurs de la guerre prêts à déchirer leur pays pour le contrôler. Les habitants de Khartoum et ceux du Darfour sont terrés chez eux ou prennent tous les risques pour tenter de fuir.

Ils réagissent, organisent aussi les secours et l’entraide, dans les quartiers et à travers les réseaux sociaux. Un communiqué des comités de résistance de l’État de Khartoum donne des consignes pour combattre la désinformation, organiser des hôpitaux de campagne, faire parvenir à ceux qui en ont besoin nourriture, eau et médicaments. Le slogan « Non à la guerre » doit être répandu partout, dit aussi le communiqué. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui affirment : « Ce n’est pas notre guerre ». Et quelques vidéos montrent des habitants de Khartoum tracer à la bombe de peinture les mots « Non à la guerre » sur les murs de la ville. Comme ils écrivaient il y a quatre ans : « À bas le régime ».

Voir en ligne : https://orientxxi.info/magazine/les...