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Intervention du Général François MEYER lors du COLLOQUE du 14 mars 2013

, popularité : 8%

« Les Harkis, promesses et abandon ».

Général François Meyer :

J’évoque ici brièvement la situation des harkis en 1962, en soulignant les promesses faites – elles expliquent leur fidélité – et la réalité de l’abandon final au moment des accords d’Evian.

Permettez-moi de rappeler ce qu’était l’engagement des harkis aux côtés de l’armée, ceci pour bien saisir la réalité de leur drame en 1962.

C’est beaucoup pour protéger leurs familles de l’incontournable terreur du FLN que les harkis ont pris les armes. En février 1958, lorsque le recteur de la mosquée de Géryville est assassiné, tous ses parents et quelques grandes familles rejoignent alors sans hésiter les harkas et les régiments voisins. Et depuis cinquante ans, quand je demande à l’enfant d’un harki le pourquoi de l’engagement de son père, il me répond le plus souvent : « l’assassinat d’un frère ou d’un parent ».

Connaissant bien la population, leur terrain, les usages, les harkis étaient évidemment de précieux auxiliaires. C’étaient aussi des courageux. (3.100 morts dans les combats) Dans les rapports où l’on cite les accrochages, la part de l’engagement harki n’apparaît pas souvent. Dans plus d’un cas, pourtant, c’étaient eux qui, répartis entre les unités, avaient suivi des traces en tête, et avaient conduit aux caches ou à l’adversaire. 

Le vrai ciment de ces harkas, c’était la confiance. Confiance dans le chef, dans le père, celui qui de tradition soutient la tente ou marche devant, celui qui choisit la route et tient parole. La confiance réciproque, aussi. Et ce furent également des fidèles. 0,4% de déserteurs en 1960. 

Aujourd’hui que les témoins ne sont plus là, on dit un peu n’importe quoi sur les harkis. Par exemple, je lis sur les panneaux d’une exposition qui circule que l’on avait si peu confiance en eux que lorsqu’ils étaient de garde, on les doublait par un européen, ou que la nuit, en opérations, on enchaînait leurs armes. Tant de contre vérités qui s’appuient en réalité sur de prudentes mises en garde conservées en archives.

Enfin, et c’est peut-être aujourd’hui le plus important, ils n’étaient pas les spécialistes du « sale boulot » de l’armée, comme Rotman pourtant les présente dans « l’ennemi intime », une fiction largement diffusée. Gens du bled, les harkis n’avaient pas connu l’école de la République et sauf cas particuliers, ils ne parlaient pas le français. Ils ne servaient pas comme interprètes. 

Claude Lanzmann, directeur des « Temps Modernes » a écrit en 2011 : « Il est nécessaire d’en finir avec les simplifications grossières de la doxa FLN, et de la nôtre, qui n’a pas contribué à l’établissement de la vérité » et il a bien raison. 

Les PROMESSES faites aux harkis.

Je veux surtout parler ici de cette promesse solennelle du général commandant en chef en Algérie faite en 1961. Je n’évoquerai pas les « inoubliables » du général de Gaule : « Venez à la France, Elle ne vous trahira pas », ou encore, en cas de sécession, « la France regroupera et établira ceux qui voudraient rester français. » Nous sommes en 1961, et les harkis ne sont pas aveugles. Ils connaissent l’évolution de la situation politique, et en particulier les grandes manifestations de décembre 1960 à Alger. Certains écoutent les discours à la radio et les retransmettent à leurs camarades. Tous sont maintenant inquiets.

Alors le général Crépin, commandant en chef, adresse aux troupes régulières et supplétives, et jusqu’aux petits échelons (plusieurs milliers d’exemplaires), ce message qui marque particulièrement les esprits :

« …Seule une action vigoureuse conduite par les cadres à tous les échelons fera disparaître l’idée que les événements actuels vont aboutir à de sanglantes représailles …et à la victoire du FLN…L’Armée restera en mesure de faire face à ses engagements au delà du référendum de l’autodétermination, quel qu’en soit le résultat. Elle assurera par sa présence le retour à la vie normale de ceux qui combattent à ses côtés »… 

Ce message se voulait rassurant, mais en 1961, l’anxiété est désormais tenace. L’armée commence à quitter le bled, en se regroupant sur les grands axes et les centres importants. Des régiments partent pour la France. Des enquêtes ont suivi la révolte des généraux et des officiers sont déplacés. Les relèves régulières rompent aussi la confiance établie. Des harkas et des autodéfenses sont dissoutes. Au cours de l’année, un tiers des harkas seront supprimées. Les harkis étaient 60.000 en janvier. Ils ne sont plus que 41.000 en décembre. Les supplétifs se sentent délaissés, et souvent seuls pour s’informer et se déterminer…Certains auraient voulu pouvoir suivre l’armée. Ce n’est visiblement pas le cas. Et pourtant, ils restent fidèles. 

Le ministre des armées continue de son côté de se montrer confiant. Le 30 mai, il affirme dans un message, en diffusion générale : « La France n’abandonnera aucun de ses enfants ! »

Pourtant va prendre forme L’ABANDON que l’on sait.  

Le 8 mars 1962, le ministre informe les commandants de régiments des propositions qui vont être faites aux harkis :

1/ l’engagement dans les armées, s’ils sont aptes ; mais c’est alors laisser sur place sa famille et suivre son régiment. On imagine les pressions familiales ! 1.000 s’engageront cependant.

2/ Un contrat de réflexion de six mois, en uniforme, et sans armes. Mais le 19 mars à l’annonce du cessez le feu, le FLN prévient : « Tous ceux qui le 1er avril porteront encore l’uniforme des colonialistes, ou logeront dans leurs postes, signeront d’eux-mêmes leur arrêt de mort. » 2.000 prendront néanmoins le risque.

3/ Le transfert en France (qu’on ne refusera pas si la demande est justifiée par de réelles menaces.) Ils seront, dit-on 1.500 à demander le rapatriement, mais une note précisera, le 26 mars, « ceux qui choisiraient cette voie devront faire l’objet de la constitution d’un dossier prévu dans une note à paraître…Pourtant on sait bien que les harkis sont illettrés.

4/ Reste alors le licenciement avec prime et le retour chez soi. 15.000 harkis partirent sans prendre leur prime, 21.000 l’acceptèrent (370Fr), et souvent la remirent au FLN. Dans leur douars ou leurs villages, ils passent alors sous un contrôle actif du FLN.

Souvent regardés comme vaincus et environnés par l’hostilité générale, les anciens harkis sont maintenant isolés, et cherchent surtout à se faire oublier. Ils vont affronter seuls le désarroi de l’abandon. Dès le mois d’avril, on signalera des enlèvements et des exécutions.

Le gouvernement dira plus tard que les harkis ont préféré rentrer chez eux. C’est évidemment faux. Ils ne pouvaient faire autrement.

Le 11 avril, une directive de Louis Joxe va faire connaître que le transfert en France est toujours à l’étude et qu’il convient de protéger sur place les personnes menacées tout en prenant les dispositions nécessaires pour connaître avec précision les données du problème. Il est peut-être temps !

Certains officiers des SAS tentent alors début mai de prendre eux-mêmes en charge le transfert de leurs supplétifs. La réaction de Louis Joxe sera vive, et on la connaît : c’est ce fameux message 12 mai qui rappelle l’interdiction et prescrit enquêtes et sanctions. Il sera repris le jour même par Pierre Messmer. 

Cependant un transmis du message est publié dans le journal « Combat » le 23 mai. Il fait scandale ! Toujours est-il que trois jours plus tard, Pierre Messmer mettra le camp du Larzac à la disposition des rapatriements pour trois mois. Le Plan de rapatriement peut alors être lancé, et les premiers bateaux pour Marseille et Port Vendre partiront le 13 juin. Dix jours plus tard, le camp de Bourg Lastic sera lui aussi ouvert aux rapatriés

Et pourtant dès le 19 juillet, les transferts seront déjà arrêtés, à la demande du ministre des armées qui estime que ses camps étant pleins, il ne peut pas faire davantage. Cette décision sera maintenue pendant tout l’été, malgré les demandes répétées du général de Brébisson à Alger. Partout en Algérie, rapporte la presse, les harkis sont emprisonnés ou livrés à la foule…Les rapatriements ne reprendront que le 19 septembre sur décision de Georges Pompidou Premier ministre.

Une étude de la Mission Interministérielle aux Rapatriés évaluera les supplétifs rapatriés à 20.000 environ et à plus de 60.000, familles comprises. Mais d’autres harkis viendront en France sans passer par les camps.

Quant au massacre des harkis restés en Algérie, il semble qu’il ne sera jamais connu avec précision. Des évaluations retiennent des chiffres de 60.000 à 150.000.

Hommes de fierté et de fidélité, les harkis ont très mal ressenti l’abandon – un rapatriement insuffisant et un transfert trop tardif – tout autant que l’absence de considération dont ils ont été l’objet à leur arrivée en France. Certes, le Président Chirac a reconnu en 2.001 la qualité de leurs services rendus. Mais la blessure est profonde. Les enfants de ces harkis prévoient de manifester à Paris le 12 mai prochain pour exiger la reconnaissance de leur préjudice subi.

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Voir en ligne : http://www.mafa-pn.fr/2013/06/08/in...