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Ces 12 000 soudeurs qui questionnent le modèle mental français de l’éducation

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Il manque 12 000 soudeurs à l’industrie française, en particulier dans le nucléaire , en pleine renaissance.

Et ce n’est pas le seul secteur où il manque des postes. Toutes les entreprises ont du mal à recruter. Les six familles professionnelles les plus en tension, soit 90 000 postes, sont des métiers de l’industrie et de la construction . Les aides à domicile et aides ménagères, les infirmiers et sages-femmes, les aides-soignants et les professions paramédicales sont également en forte tension. Même si les causes sont multiples, ces tensions sont en grande partie le produit du modèle mental français de l’éducation, obsédé par le diplôme et l’abstraction.

Le diplôme est une obsession française.

Cette obsession tire vers le haut toutes les études qui deviennent de plus en plus abstraites. Nous avons amené plus de 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, la poussant ainsi vers l’Université, c’est-à-dire vers des études abstraites. Nous sommes le pays où les études de sport s’appellent désormais Sciences et techniques des activités physiques et sportives, où l’économie s’appelle Sciences économiques, et où les instituteurs sont désormais des professeurs des écoles. D’ailleurs, pour être professeur des écoles, il faut désormais passer un Master. A-t-on besoin d’un Master pour apprendre à lire à des enfants ? Non, bien sûr.

Mais c’est une question de statut : plus de diplôme, plus de prestige. Les écoles d’ingénieurs sont devenues des écoles de mathématiques. Même les études d’entrepreneuriat ont été rattrapées par la patrouille et sont devenues une forme de concours d’agrégation dont le but est de créer un grand-œuvre, un business plan irréprochable bourré de chiffres et magnifiquement décoré, créé par des gens qui n’ont jamais de leur vie vendu le moindre truc, et que la rencontre avec un premier client terrorise. L’obsession pour le diplôme et l’abstraction est une pieuvre qui enserre tout le système éducatif français. Elle renforce la norme sociale qui valorise les études longues, donc abstraites, au détriment des études courtes, méprisées.

Des modèles mentaux profonds

Qu’est-ce qui explique cette poussée vers l’abstraction ? Un bon vieux modèle mental, c’est-à-dire un paquet de croyances profondes.

On peut en distinguer quatre principales.

La première est celle du mépris du monde sensible, et en particulier du monde commercial et industriel. Celui-ci est considéré comme purement matériel, non intellectuel, et amoral.

Une seconde croyance très proche est celle d’une hiérarchie des études, situant dans le plus bas de l’échelle celles considérées comme professionnelles ou, pire encore, manuelles et techniques. L’orientation vers celles-ci ne peut être qu’involontaire, et constitue une marque d’échec. Dans ce modèle, on croit qu’un plombier ou un technicien de laboratoire ne pensent pas, et sont donc socialement inférieurs. Quant au mot professionnel, il suggère, lui, une certaine utilité moralement suspecte. Autrement dit, le modèle mental de l’Éducation nationale est celui d’une hiérarchie du mépris.

Alors que des centaines de milliers de postes ne peuvent être pourvus, ce qui a un impact direct sur l’économie, quelle est la réaction de l’Éducation nationale ? Aucune. Elle continue à former pour l’abstraction. Les récents appels du ministre à l’enseignement privé pour que celui-ci encourage la diversité sonnent faux lorsque l’on sait combien l’Éducation nationale est une formidable machine à exclure ceux qui ne correspondent pas aux critères de la performance cognitive, pour les diriger vers ce qu’elle considère comme des voies de garage où ils disparaissent littéralement des écrans radars. Et après on s’étonne que ces filières aient du mal à recruter ! Heureusement, ces voies de garages sont aussi parfois, bien malgré elles, des endroits d’excellence, et en tout cas des endroits où l’on forme des jeunes dont l’économie a besoin et qui s’y épanouissent.

L’art pour l’art

La troisième croyance, que j’ai entendu énoncer si souvent, est que le rôle de l’Éducation nationale est de former des citoyens, pas de former pour trouver un travail. Et si les citoyens n’en trouvent pas, ce n’est pas son problème. Ceux qui pensent ainsi se moquent bien des enfants et de ce qui peut leur arriver. C’est l’art pour l’art. On sélectionne les meilleurs pour qu’ils rejoignent la Gnose, l’élite cognitive, et on abandonne les autres à leur triste sort.

La quatrième croyance est que la maîtrise de l’abstraction est indispensable pour affronter demain. Très forte en France, elle est aussi relayée par le World Economic Forum (WEF), censé être l’endroit où se discutent les grandes questions du monde. Depuis des années, le WEF prédit un futur du travail dans lequel les compétences-clés seront exclusivement cognitives. Nous aurons besoin, tenez-vous bien, de « pensée analytique », « d’apprentissage actif », de « résolution de problèmes complexes », de « pensée critique », de « créativité », de « leadership », de « résilience » et « d’idéation ».

Dans le monde du WEF, toute matière a disparu, les humains ont disparu. Le travail est purement conceptuel. En fait, le WEF ne reflète pas ce dont l’économie a besoin, mais comment l’élite cognitive voit le monde. Et sans surprise, elle voit le monde comme une fête cognitive, une orgie d’abstractions, dans lequel ce qui compte n’est pas ce qu’on fait mais ce qu’on raconte.

Elle nous explique qu’à l’avenir, nous aurons besoin de penseurs critiques créatifs résolveurs de problèmes complexes, alors que nous manquons de chauffeurs de camion. Pourquoi ? Parce que du point de vue de l’élite cognitive, le travail manuel est invisible, il est une sorte de résidu du passé, appelé à disparaître rapidement.

Robert Reich, qui fut ministre du Travail sous Bill Clinton, avait ainsi théorisé le remplacement des travailleurs par des « travailleurs du savoir », habile jeu de mots. Il a ainsi laissé des pans entiers de l’industrie américaine disparaître sans réaction, presque avec satisfaction. On comprend que cette élite soit en panique totale depuis que ChatGPT a fait son apparition, lui qui menace de réduire à néant le mur qu’elle a passé des années à construire pour exclure les gueux qui réussissent sans diplôme.

Il est grand temps de cesser cette poussée vers l’abstraction.

Non pas évidemment qu’il ne faille pas des formations longues et abstraites. Mais depuis des dizaines d’années, sur la base de ces quatre croyances, nous avons considéré comme axiomatique qu’il fallait absolument pousser chaque classe d’âge vers le plus haut diplôme possible, le plus abstrait possible. Les tensions constatées aujourd’hui sur le marché du travail en sont le résultat direct. Le coût considérable pour l’économie, mais aussi pour les jeunes poussés vers des métiers qui ne leur conviennent pas, devrait nous inciter à revoir radicalement notre modèle éducatif pour qu’il embrasse enfin la réalité du monde.

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Sur le web

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2023/0...