À la veille de la présentation du budget de la Sécurité sociale, le catalogue des problèmes du système d’assurance-maladie français a été dressé par la journée parlementaire consacrée aux complémentaires santé. Il est impressionnant. Et son déficit récurrent annoncé par la ministre de la Santé (6,2 milliards d’euros en 2014, 6,9 prévus en 2015), n’est qu’un symptôme du mal. Mais « la » véritable solution, appliquée chez nos voisins, n’a même pas pu être envisagée au terme de cette journée : ce serait iconoclaste.
Dès l’ouverture du colloque, Pascal Terrasse, député de l’Ardèche, a pourtant cadré le débat. Pour la santé, seuls les États-Unis et le Canada dépensent plus que nous. Et en rappelant que la France consacre plus (en pourcentage du PIB) que tous les autres pays du monde aux dépenses sociales, il a voulu éviter aux intervenants et aux participants de s’échapper dans des solutions irréalistes. Il est clair pour lui que les problèmes de compétitivité de notre économie excluent toute hausse des dépenses sociales, et exigent même une remise en ordre du système.
Les trois plaies des complémentaires santé
Les intervenants, très divers, ont dressé le catalogue des problèmes posés par l’organisation actuelle de l’Assurance-maladie :
"Quand les complémentaires s’installent, les inégalités commencent."
Cette affirmation, reprise plusieurs fois au cours de la journée, est forte dans un colloque consacré à ces organismes. Elle est exacte :
- Les contrats collectifs bénéficient d’exonérations sociales et souvent fiscales dont ne profitent pas les contrats individuels ;
- Les contrats collectifs souscrits par les entreprises pour leurs salariés sont plus favorables que les contrats individuels… mais sont déficitaires, donc financés par les contrats individuels ;
- De nombreuses complémentaires sont « fermées » et donc réservées à des groupes de personnes homogènes. Les complémentaires (souvent des mutuelles ou des instituts de prévoyance) qui concernent des populations nettement au-dessus de la moyenne en termes de ressources et de niveau d’éducation (ex. celle de la Caisse des Dépôts, de l’Education nationale ou de grandes entreprises comme Total ou EDF), ne pratiquent aucune solidarité avec les complémentaires individuelles ou avec celles d’autres entreprises dont les salariés sont moins favorisés (ex. ouvriers du bâtiment, de petites entreprises, personnels domestiques).
Assurer la solidarité dans un système à plusieurs assureurs
Pour obtenir l’équité entre adhérents de différents assureurs, l’Allemagne et les Pays-Bas ont mis en place une double sécurité. D’une part la sélection à l’entrée et le ciblage de certaines populations sont interdits. Et comme un certain biais dans le recrutement est presque inévitable, une analyse a posteriori des adhérents et des prises en charge est réalisée et conduit à des compensations entre assureurs. Les algorithmes de compensation sont régulièrement audités et mis à jour, mais ne donnent pas lieu à remise en cause du système. La concurrence entre assureurs se fait sur les services rendus aux adhérents, pas sur le récrutement de "bons clients".
Des mécanismes complexes mais toujours incomplets
Malgré la CMU (couverture maladie universelle) et l’AME (aide médicale d’État de nouveaux mécanismes sont régulièrement mis en place pour favoiser l’accès aux soins et éviter des effets de seuil, et l’exclusion de nombreux ayants droit rebutés par la complexité des démarches.
Après la mise en place de la CMU-C (Couverture médicale complémentaire), création de l’ACS (Aide à la complémentaire) ;
Dans le cadre de l’Accord national interprofessionnel (ANI), création de l’assurance santé complémentaire obligatoire dans les petites entreprises avec d’interminables débats pour savoir qui choisira l’assureur (au niveau des branches ou de l’entreprise) ;
Des mécanismes qui ne résolvent pas les problèmes d’Assurance-maladie complémentaire des jeunes, des chômeurs et des retraités, soit de dizaines de millions de personnes.
Un système coûteux et inefficace
Frais de gestion des complémentaires.
Ils peuvent être élevés, jusqu’à 15-20% des cotisations. Comme l’a rappelé de façon très objective Frank von Lennep du ministère de la Santé, les causes sont connues et inévitables :
1) des frais de gestion des remboursements voisins de ceux de la CNAM pour des montants très inférieurs à ceux de la CNAM (la CNAM rembourse 75% des dépenses et notamment des frais importants d’hôpitaux, les complémentaires 13% et beaucoup de petits frais),
2) des frais de collecte des cotisations qui ne sont pas « obligatoires » comme celles de la CNAM,
3) des dépenses de recrutement des adhérents individuels ou entreprises que n’a pas la CNAM ;
Taille des complémentaires.
Il existe entre sept cents et un millier d’organismes fournissant des complémentaires santé, prenant en charge 13% des dépenses, soit chacune en moyenne un dix millième des dépenses de santé des Français. Certaines (ex. MGEN, 3,5 millions d’assurés) sont beaucoup plus importantes que la moyenne. Mais même s’il ne restait que 10 complémentaires santé, chacune ne prendrait en charge en moyenne que 1% de ces dépenses, une part de marché très insuffisante pour influer sur le système de soins et le système d’Assurance-maladie ;
Gestion du système de santé.
Malgré la loi de 2004 et la création d’une représentation des complémentaires santé, l’UNOCAM, elles sont en pratique exclues par la CNAM et par le ministère de la Santé de l’organisation et de la gestion du système de santé. Elles sont les seules a avoir pris des initiatives sur ces dossiers : négociation de contrats avec des professionnels de santé (optique, dentaire notamment) et conseil à leurs assurés perdus dans le dédale du système de soins ;
Accès aux informations.
Dans leur volonté de développer des services de prévention et de conseil, les complémentaires santé sont aussi handicapées par leur ignorance des caractéristiques médicales de leurs adhérents. Elles remboursent leurs dépenses de façon aveugle sans avoir la moindre idée de ce qu’elles paient, et sont donc dans l’incapacité d’organiser une prévention globale (ex : campagne en direction des personnes de 50 ans en fonction des problèmes qu’elles constatent chez leurs adhérents) ou un suivi plus individuel (ex : campagne de prévention en direction de personnes ayant déjà eu un problème particulier).
Les solutions illusoires
Tous ces problèmes rappelés au cours de la journée parlementaire sont bien connus. Leur fondement est que la frontière entre l’Assurance-maladie obligatoire et les complémentaires est floue et instable. Cette journée n’a pas vraiment abordé les solutions possibles. Plusieurs sont d’habitude mises en avant, telles que :
Prise en charge par les Complémentaires | Prise en charge par la CNAM |
Le petit risque | Le gros risque |
Autres soins | Panier de soins obligatoire |
L’optique, la dentisterie et l’audition | Tous les autres traitements |
Au-dessus de 3.000 euros de revenu mensuel | En dessous de 3.000 euros de revenu mensuel |
Affections chroniques | Autres affections |
Aucune de ces propositions qui semblent a priori sympathiques ne résiste à un examen : c’est la négligence du petit risque qui conduit aux gros problèmes, le malade devrait être vu comme un tout et pas découpé en tranches, la frontière entre maladies chroniques et autres est floue, définir "le" panier de soins est impossible, il ne faut pas créer (aggraver) la médecine à deux vitesses, etc.
PDF - 167.5 ko Télécharger : CAE : Refonder l’assurance maladie
Les deux seules solutions
De nombreuses études comme celles du Conseil d’analyse économique (Brigitte Dormont, Pierre-Yves Geoffard et Jean Tirole) ont montré que l’Assurance-maladie partagée entre deux niveaux (base et complémentaires) n’a aucun sens quand 95% des Français ont une complémentaire et que l’objectif est que ce taux soit pratiquement de 100%. Leur proposition 4 ci-dessous est la plus radicale pour traiter ce problème.
Rapport du CAE
Proposition 4. En finir avec un système mixte d’Assurance-maladie, en organisant un financement des soins unifié sur un mode public décentralisé ou sous la forme d’une concurrence régulée entre caisses d’assurance.
Jean-Fançois Chadelat [1] l’a d’ailleurs rappelé au cours du colloque, ce double niveau est étonnant (incompréhensible) pour les étrangers. L’expérience de nos voisins tend à prouver qu’il n’existe que deux solutions praticables. Celle du Royaume-Uni où il n’existe qu’un seul assureur, l’État. Et celle de l’Allemagne ou des Pays-Bas où il existe une vingtaine d’assureurs maladie au premier euro en concurrence.
Pour une réforme structurelle
Le titre de la journée parlementaire sur les comlémentaires santé "Quels enjeux et perspectives pour notre système de santé ?" indiquait bien que c’est le système de santé tout entier qui est en jeu dans leur réforme. Tant que la France n’aura pas choisi l’une des deux organisations de l’Assurance-maladie, le pilotage du système de santé restera incohérent, injuste et coûteux. Entre les deux, la Fondation iFRAP s’est prononcée depuis longtemps pour un système à l’allemande, plutôt que pour une étatisation complète du système de santé à l’anglaise.