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Senior mode d’emploi

, par  Karl Eychenne , popularité : 7%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Le senior n’a pas d’âge, comme le diable. Il ère en zone grise, plus tout jeune pour travailler, mais pas assez vieux pour « retraiter ». Le senior est devenu un être ambigu, invisible mais encombrant. Que faire du senior ?

Il y a deux âges que l’on redoute. Celui qui peut nous rendre impotent physiquement et celui qui peut nous rendre impotent financièrement. Le premier est le dernier âge, celui qui tire la révérence. Le second est l’âge du senior, le gars qui peut encore servir mais dont on ne sait plus que faire. De l’angoisse de la mort à l’angoisse du senior, joli programme pour l’Homme contemporain.

Cela dit, les deux angoisses sont-elles comparables ? A priori, non. Autant lutter contre l’angoisse de la mort semble perdu d’avance. Autant lutter contre l’angoisse du senior semble un objectif à notre portée. Mais quelle est cette angoisse du senior précisément ?

Il s’agit de la peur de se retrouver au milieu du long fleuve tranquille de la vie mais sans rames. Confisquées. Impossible alors de joindre le port de pêche du retraité. Et impossible de revenir au port de marchandise de l’actif, où plus personne ne l’attend de toute façon. Vous auriez une bouée ? Un tuba ? Quelque chose pour m’aider ? Désolé (le majeur, en langage des signes)

Que faire du senior ?

Le vivant ça use. Et à la fin, ca meurt. Pas de problème. Nous connaissons les règles du jeu. Mais le vivant de type senior economicus est un truc bancal, à cheval entre avant et après, un zombie qui a devancé l’appel. Plus très jeune, pas assez vieux mais mûr pour la benne économique, le senior est déclaré inapte à la vie d’actif mais pas encore apte à la vie pépère. Il erre alors, serre le mors.

« Savoir qu’on a plus rien à espérer n’empêche pas de continuer à attendre » – Proust

C’est ballot pour lui mais c’est aussi ballot pour nous. En effet, aussi curieux que cela puisse paraître, ce n’est pas l’âge de départ à la retraite qui pose problème mais l’âge où l’on s’arrête de travailler. Pas pareil. Imaginons que les seniors puissent tous travailler jusqu’au terme prévu, alors les cotisations seraient largement suffisantes pour financer toutes les retraites, parait-il . De l’usage du senior dépend donc l’avenir de nos retraites.

Ok. Mais en attendant que les conditions d’un miracle économique voient le jour, soyons pragmatiques. Que faire du senior ? À quoi peut-il encore servir ? À qui ? Et puis après tout, le jeu en vaut-il encore la chandelle ? Pourquoi se décarcasser pour un objet bientôt périmé, difficilement recyclable, encombrant et qui écoute de la musique des années 1970-1980 ? Autant le mettre sur l’étagère, comme nid à poussière ou carrément rangé dans le tiroir à l’abri des regards.

« Ce dont on ne peut rien faire, il faut le taire », pour paraphraser le penseur d’aphorismes Wittgenstein.

Le senior n’est plus ce qu’il était. Il a vu sa cote s’effondrer au cours des dernières années. Aujourd’hui, il retrouve dans la peau d’un Kodak des années 1980. Autant dire qu’il suscite essentiellement de l’intérêt pour les collectionneurs, voire les fétichistes.

Le senior en proie au syndrome du Minotaure

Et déjà, le senior finit par se faire une raison. Il accepte sa vulnérabilité, son infériorité. Il est sommé de « trouver sa place ». Il fait avec et ca lui suffit. Il est bien dans sa ladrerie virtuelle. Au moins on le laisse tranquille. Il finit par se convaincre qu’il ne peut espérer davantage. « Être à sa place » est une forme de réflexe de survie, de capitulation, de fatigue, que la philosophe Claire Marin déploie dans de nombreuses variantes : genre, handicap, origine sociale ethnique et bien sûr l’âge.

Mais le repos est de courte durée. Chaque vague de licenciement, plan de départ, voire banal entretien de fin d’année, est une épreuve dont il faut sortir vivant (rester en poste). Une expiation inévitable afin d’apaiser la colère économique. Et chaque fois, les « survivants » éprouvent une sorte de soulagement comme si le « monstre allait s’apaiser après avoir eu sa ration de chair ». C’est cela le syndrome du Minotaure.

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2023/0...