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Se dirige-t-on vers le délit d’opinion en France ?

, par  Yannick Chatelain , popularité : 6%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Par Yannick Chatelain.

« L’État de droit peut se définir comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Cette notion d’origine allemande (Rechtsstaat) a été redéfinie au début du vingtième siècle par le juriste autrichien Hans Kelsen, comme un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée. Dans ce modèle, chaque règle tire sa validité de sa conformité aux règles supérieures. Un tel système suppose, par ailleurs, l’égalité des sujets de droit devant les normes juridiques et l’existence de juridictions indépendantes  ».

Un grand lanceur d’alerte : Jean-Marie Delarue

Il ne suffit pas de répéter en boucle l’expression « État de droit », le mot « liberté », pas plus que de prétendre agir pour « plus de démocratie » pour que ces mots soient défendus dans les faits et dans les actes, tant au niveau du comportement observé chez certains élus de la République – et qu’importe leur appartenance politique – que de projets de lois et de lois liberticides qui se multiplient.

Depuis plusieurs années des lois très controversées, ciblant les libertés publiques, ont été votées et pour certaines promulguées. Aujourd’hui la multiplication de projets de loi de la même veine se poursuit. Même si elles font l’objet de forte contestation de la part d’experts, même si certains amendements viennent un peu les infléchir, même si des questions prioritaires de constitutionnalité sont régulièrement portées par des organisations non gouvernementales, ces lois régressives en termes de libertés fondamentales grignotent ces dernières et s’appliquent ensuite au citoyen dans son quotidien on et off line.

Ces dérives sont peu à même de servir « plus de démocratie » slogan scandé par la classe politique.

C’est dans un contexte de tension sociale extrême que Jean-Marie Delarue a fait part le 26 avril 2019 de son inquiétude sur la situation de notre pays et la dégradation alarmante des libertés fondamentales.

Déjà en mai 2015 alors qu’il était président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) devenue depuis la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR ), il s’inquiétait du manque de cadre et le flou régnant autour de la loi renseignement , « Il est légitime pour un gouvernement d’assurer la protection de ses concitoyens », mais ajoutait-il « il y a un équilibre à trouver entre cette protection à rechercher et les libertés qui sont les nôtres » pour marquer les esprits il avait également ajouté qu’« Une société où il y a 200 appartements sonorisés, on peut penser que c’est pour les criminels et les terroristes. Une société où il y en a 200 000 c’est +La Vie des autres+ » faisant référence au film de Florian Henckel von Donnersmarck qui portait sur les méthodes de surveillance de la Stasi dans l’Allemagne de l’Est. »

Quatre ans se sont écoulés depuis la promulgation de la loi renseignement1, le déploiement des boîtes noires qui surveillent nos usages est désormais en cours, l’arsenal juridique est venu s’alourdir de la loi fake news, de la loi anticasseurs précédemment évoquée.

En avril 2019 le lanceur d’alerte Jean-Marie Delarue désormais président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH ) tente à nouveau de prévenir une population française qui semble, au regard de ses difficultés quotidiennes, indifférente, résignée à accepter l’inacceptable, voire désinformée.

L’appel du 26 avril 2019 de Jean-Marie Delarue

Dans un entretien au quotidien Le Monde du 26 avril 2019 , Jean-Marie Delarue a tenté une nouvelle fois et par-delà les divergences d’opinions politiques, d’alerter l’opinion publique nationale sur une situation préoccupante et des libertés fondamentales qui sont en « très mauvais état » en France.

Cette alerte devrait être entendue et prise très au sérieux tant par les citoyens français que par la représentation nationale qui porte la lourde responsabilité de cette situation et a entre ses mains la possibilité d’engager une désescalade à l’opposée de la surenchère !

« En apparence, nous sommes un État de droit, et l’on s’en flatte assez, nous avons un corpus juridique étoffé, des juges chargés de protéger nos libertés… En apparence, rien de tout ça n’est menacé. Dans la réalité, c’est autre chose. Au nom de la sécurité, toutes nos libertés le sont. On n’arrête pas de nous dire que « la sécurité est la première de nos libertés », selon une formule désormais consacrée. C’est faux ! La sécurité est éventuellement l’une des conditions de notre liberté. Cet aphorisme est une dangereuse illusion qui pousse depuis plusieurs décennies les gouvernements à grignoter nos libertés toujours davantage.  »

Se dirige-t-on vers le délit d’opinion ?

Pourtant nous assistons depuis plusieurs années à une multiplication de lois portant atteinte à la liberté de la parole (cf loi renseignement et loi fake news), à la liberté de circulation et au droit de manifester : lois anticasseurs, recours au kettling, multiplication des actions préventives, la violence d’où qu’elle vienne, étant par ailleurs un levier largement utilisé pour décourager le citoyen, fut-il pacifiste, d’exercer ce droit !

« Préserver le droit de manifester, sécuriser les cortèges, contenir les débordements, interpeller les fauteurs de troubles et porter secours : une nouvelle fois, en ce 1er mai et sur l’ensemble du territoire, mobilisation totale des femmes et des hommes du ministère de l’Intérieur » avait déclaré le ministre de l’Intérieur… Il est vrai qu’avec 19 785 contrôles préventifs réalisés à Paris le 1er mai 2019, si cela ne nuit en rien au droit de manifester, ce n’est certainement pas pour l’encourager.

À ce sujet, comme le souligne Jean-Marie Delarue évoquant le mouvement des Gilets jaunes et la loi anticasseurs : « Désormais, il suffit de se trouver dans les environs d’une manifestation pour devenir un Français suspect faisant l’objet de mesures extraordinaires, comme des fouilles » et d’aller plus loin pour appeler à un sursaut : « Il est par ailleurs très inquiétant de voir des gouvernements donner toujours raison à leur police. Les policiers sont des gens très estimables, mais comme tout le monde, ils peuvent faire des erreurs et avoir tort.  »

Par ailleurs, il est étonnant de voir les garants d’un État de droit répondre de façon lapidaire à une instance internationale et en l’occurrence à madame la Haut-commissaire aux Droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet, qui réclamait en mars 2019 à la France une « enquête approfondie » sur les violences policières… : « On n’a pas attendu l’ONU sur les Gilets jaunes ».

Outre les coups portés au droit de manifester que Jean-Marie Delarue a soulignés, pour ce qui concerne les fake news, le parlement a adopté le 20 novembre 2018 une loi contre la manipulation de l’information en période électorale intégrant les deux textes controversés sur les fake news . Une nouvelle loi inutile au regard de l’existant, permettant au demeurant — si elle était dévoyée — de se mettre au service d’une censure aggravée.

Doit-on se préparer à une liberté d’expression à géométrie variable ? Doit-on se préparer à court terme à une sélection par le pouvoir alors en place, aujourd’hui comme demain, de la diffusion d’informations qui lui convient et à la censure d’informations dérangeantes ? Cette loi n’est-elle qu’un alibi pour une censure étatique augmentée ?

Les régimes totalitaires, nouveaux référentiels ?

Nos nouveaux référentiels pour jauger de l’état de nos libertés sont-ils désormais les régimes autoritaires ?

Au regard des suspicions multiples de violences policières actuellement traitées par l’IGPN et de l’usage du LBD qui est bel et bien une arme de guerre lors du mouvement social initié par les Gilets jaunes, la députée des Yvelines, porte-parole du mouvement La République en marche a explicité que « au Venezuela on tire à balles réelles sur les manifestants ». Voilà un référentiel qui ne peut qu’interroger !

Effectivement, pour aller dans son sens, quels que soient les sujets relatifs au contrôle social, nous pouvons toujours naturellement trouver pire ailleurs pour démontrer à quel point notre démocratie et notre État de droit sont vivaces ! Si nous poursuivons dans cette logique nous pouvons par exemple nous glorifier d’une loi fake news française très light si nous la comparons avec les nouvelles lois de la gouvernance de Vladimir Poutine :

— La première loi punit les fausses informations socialement significatives et diffusées comme de vraies informations » qui créent une « menace pour la sécurité » du public ou de l’État ou peuvent « mener à des troubles massifs ». Les procureurs détermineront ce qu’est une fausse information et Roskomnadzor le gendarme russe des médias pourra alors exiger sa suppression sous peine de blocage voire d’une amende pouvant s’élever à 1,5 million de roubles (20 500 euros).

— La seconde loi s’attaque elle aux offenses aux symboles de l’État, « elle permet à Roskomnadzor de bloquer les contenus faisant preuve d’irrespect » et aux autorités d’infliger des amendes et d’envoyer quinze jours en prison les récidivistes. Même si la loi sur les fake news françaises n’apparaît pas aussi drastique que celles promulguées par le gouvernement russe, elle manque cependant parfaitement de transparence, laisse une grande marge de manœuvre, et c’est une porte grande ouverte à tous les arbitraires…

Mise en perspective, notre loi fake news n’est-elle pas merveilleuse ? Quelle est la réelle intentionnalité de la mise en œuvre d’une telle loi ? Est-ce la volonté non avouable d’avoir un monopole de la parole publique et d’être les seuls détenteurs de la vérité ?

Délit d’opinion, il y a de quoi s’inquiéter

Est-ce la volonté de disposer d’un levier de censure augmentée de faits déplaisants pour le pouvoir en place ? L’usage répétitif ces derniers mois d’éléments de langage comme « subversifs », « factieux », « séditieux » laisse dubitatif et interroge. Il serait fort simple en usant d’un seul de ces qualificatifs de tuer dans l’œuf toute forme de contestation et de porter à loisir gravement atteinte à la liberté d’expression.

Est-ce là un préambule avant de franchir une nouvelle étape, celle du délit d’opinion ? Les citoyens lambda sont-ils priés insidieusement de retourner se mêler de leurs affaires ? Ne devraient-ils pas disposer du droit inaliénable d’informer ?

Un mouvement tel que celui des Gilets jaunes pourrait-il voir le jour demain et s’organiser sur les réseaux sociaux avec cette nouvelle loi ? Désormais, de mon point de vue, rien n’est moins certain. Alors oui, cogérer un pouvoir régalien avec des entreprises comme Facebook pour pouvoir opérer des censures proactives… pourquoi s’inquiéter ?

Pourquoi s’inquiéter également du détournement de l’usage du système d’information pour le suivi des victimes2 (SI-VIC ) dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes au niveau national et à fin de fichage ? Car les faits sont là. Si ces accusations ont d’abord été rejetées par l’AP-HP et l’ARS ces organismes ont fini par reconnaître un usage inapproprié de l’outil et par lancer une mission d’enquête le 25 avril 2019. Mais pourquoi s’inquiéter puisqu’on doit naturellement pouvoir trouver pire dans des régimes autoritaires en matière de méthodologie de fichages des opposants ?

Enfin, pourquoi s’inquiéter de l’interpellation de Gaspard Glanz, même si le tribunal correctionnel a reconnu l’irrégularité de la procédure et levé le contrôle judiciaire ? Le ministre de l’Intérieur déclare : « Je pense que journaliste, c’est aussi avoir une carte de presse . C’est là son interprétation, et c’est une lecture personnelle qui est inexacte. En effet « L’exercice du journalisme en France est libre et non réservé aux journalistes détenteurs d’une carte de presse et ce document n’est en aucun cas obligatoire pour exercer le métier de journaliste, qui peut être exercé librement par n’importe qui, sans avoir besoin de diplôme spécifique  »…

Une surveillance de votre opinion ?

Au travers de ces quelques faits qui sont loin d’être exhaustifs, si l’on ne s’inquiète pas de ces multiples dérives, alors l’État peut poursuivre sa progression pas à pas, loi après loi vers un État « de travers ». Les libertés fondamentales peuvent dormir tranquilles ! Et les attaques vont pouvoir se poursuivre pour le bien des citoyens, cela va de soi… avec une marginalisation récurrente du juge judiciaire, remplacé par des autorités administratives.

Le texte européen le plus liberticide de cette décennie en matière de censure est en approche. La rapporteure s’inquiète entre autres de mesures proactives contenues dans l’article 6 de la « proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste ». Un article qui imposerait « aux fournisseurs de services d’hébergement de prendre, s’il y a lieu, des mesures proactives pour protéger leurs services contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne. Ledit article leur impose en outre de présenter un rapport sur les mesures proactives spécifiques qu’ils ont prises afin d’empêcher la remise en ligne de contenus à caractère terroriste qui ont été supprimés et dont l’accès a été bloqué ».

Si la rapporteure considère et qualifie cet article de « très problématique » c’est qu’il ferait peser sur les fournisseurs de services d’hébergement une obligation générale de surveillance contraire à l’article 15 de la directive 2000/31/CE .3

Conclusion

Le plus inquiétant en définitive est peut-être, comme le soulignait Jean-Marie Delarue dans l’entretien du 26 avril que j’ai évoqué, que devant ces reculs de nos libertés nous avons « des citoyens qui ne semblent pas concernés… ». Au lendemain du 1er mai ce lanceur d’alerte très particulier réitérait sur France Inter ses inquiétudes quant aux risques de privation de libertés au motif d’assurer la sécurité. Il faisait un constat dur au micro de France inter :

« Cet empilement de lois déguise un peu le fait que les gouvernements soient un peu paralysés devant les choses. Je préférerais qu’on renforce les moyens du renseignement, de la DGSI, alors qu’elle ne peut pas faire face, qu’on renforce les moyens des tribunaux (11 juges d’instruction pour l’antiterrorisme, il en faudrait deux fois plus), etc. Mais ça, on ne peut pas parce qu’on n’a pas d’argent pour cela. Alors on fait des lois, c’est gratuit. » !

Français, si vous l’entendez ! Il serait temps de l’écouter. La liberté on la défend avec sincérité ou un jour, plus rien ne l’empêchera de nous quitter. Le porteur du projet de Loi Renseignement alors président de la commission des lois, qui, déclarait à l’époque avoir été inspiré par Gandhi …. « Je me suis inspiré de Gandhi, qui affirmait que son exigence pour la vérité lui avait enseigné la beauté du compromis », n’avait pas hésité à accuser d’amateurisme les experts et les opposants aux projets, de traiter ses contradicteurs d’individus de mauvaise foi, d’exégètes amateurs pour avoir entre autres démontré que des dizaines de milliers de personnes allaient être suspectées à tort . Comme des malhonnêtes. ↩ La plateforme SIVIC (SI VICtimes) est une base de données partagée et sécurisée adaptée aux événements générant de nombreux blessés (attentat, prise d’otage, accident sur la voie publique, etc.). Elle a été développée suite aux attentats de novembre 2015 pour recenser les personnes admises aux urgences au sein d’une plateforme unique. Consulté sur https://www.epiconcept.fr/produit/sivic . ↩ Article 15

Absence d’obligation générale en matière de surveillance

1. Les États-membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

2. Les États-membres peuvent instaurer, pour les prestataires de services de la société de l’information, l’obligation d’informer promptement les autorités publiques compétentes d’activités illicites alléguées qu’exerceraient les destinataires de leurs services ou d’informations illicites alléguées que ces derniers fourniraient ou de communiquer aux autorités compétentes, à leur demande, les informations permettant d’identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d’hébergement. ↩

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