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Rudolf Hess par Pierre Servent

, par  Franck ABED , popularité : 3%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Pierre Servent est officier de réserve et journaliste, ancien conseiller ministériel et porte-parole du ministère de la Défense, enseignant pendant vingt ans à l’Ecole de guerre. Il a publié de nombreux écrits sur l’histoire militaire et les questions de défense dont Le Siècle de sang, Les présidents et la guerre, et une biographie de Manstein. Son dernier livre intitulé Rudolf Hess et sous-titré « La dernière énigme du IIIe Reich » revient sur le parcours d’un des plus anciens compagnons de route d’Adolf Hitler.

En réalité, Hess est à la fois très « connu » et méconnu. Soutien indéfectible d’Hitler depuis 1920, membre du gouvernement, adjoint du Führer en tant que chef du parti national-socialiste, il fut l’une des personnalités majeures du Troisième Reich. Pourtant, nous apprenons dès les premières lignes « qu’aucune biographie de Hess n’avait encore été publiée en France. C’était pour le moins surprenant car des milliers de livres ont été consacrés au Troisième Reich et à ses dignitaires. »

Servent ajoute à raison que « d’autres caciques nazis ont été passés au crible des historiens, des journalistes et des chercheurs français, mais pas le premier lieutenant d’Hitler ». L’auteur note que « son profil ne manque pourtant pas de point d’accroche pour qui veut saisir, dans l’épaisseur de l’acier de la machinerie hitlérienne, l’un de ses rouages les plus profilés et les plus résistants ».

Selon Servent, «  Hess est un national-socialiste du type canal historique, un des plus vieux camarades de lutte d’Adolf Hitler. Sur les archives filmées de l’époque, lors des défilés et rassemblements nazis, il est impossible de rater sa silhouette raide, le front sombre, la main droite rivée au ceinturon – en tenue brune ou noire. » Cet homme voue littéralement sa vie à Hitler : « Sa vocation n’est pas seulement d’être dans le sillage de son maître : il est le sillage du Führer. Cet ancien pilote de chasse de la Grande Guerre est devenu très tôt son homme de confiance, son clone à la tête du parti, un pur produit politique des années de crise. »

Pourtant, même si Hess évolue dans les hautes sphères du pouvoir, il reste « très aimé du peuple allemand pour la simplicité de ses mœurs, son honnêteté et son empathie apparente, il est aux yeux de tous la conscience du parti ». Concernant la description physique, Servent établit le rapport suivant : « Sa physionomie ne plaide pas en sa faveur. Taillé à la serpe, le visage semble souvent inquiet et facilement inquiétant. Un maxillaire inférieur carnassier lui donne une structure faciale parfaitement rectangulaire. Ses yeux gris-bleu, que l’on devine au fond d’orbites profondes, sont protégés par un faisceau dense de sourcils broussailleux. »

Cependant, des qualités et des avantages non négligeables accompagnent Hess : «  L’homme est grand, élancé et sportif. Il est poli, a de l’éducation et de bonnes manières. Hess a bien plus d’allure qu’un Göring ventripotent, qu’un Goebbels boiteux ou qu’un Himmler chétif et binoclard. » Hess est un véritable travailleur, mais un travailleur de l’ombre. L’auteur relève les éléments suivants : «  Coquetterie suprême, au rayon du nazisme où l’uniforme se porte le plus chargé possible de décorations, il pratique dans ce domaine – comme dans son alimentation – une sobriété qui tranche avec les mœurs satrapiques des autres paladins du Troisième Reich. Cet ascète est du type moine-soldat. C’est dire qu’il a bien peu d’amis au sein de l’équipe dirigeante du Reich.  »

Pour beaucoup, il existe une énigme Hess comme nous pouvons le lire sur la couverture de ce passionnant ouvrage. Pour quelles raisons « la conscience du parti  » s’envole-t-elle pour l’Ecosse alors que son pays se trouve en pleine guerre ? Néanmoins, il ne s’agit pas de la seule question importante au sujet de Hess. L’auteur en propose plusieurs : « Qui a dicté à l’autre la bible du nazisme, Mein Kampf ? Est-ce Hitler qui n’a jamais séjourné à l’étranger (en dehors de la France et de la Belgique durant la guerre) et dont le bagage universitaire était inexistant, où l’étudiant en école de commerce, puis en histoire et géopolitique, né et grandi à l’étranger ? Est-il parti en 1941 sur ordre d’Hitler pour refermer le front de l’Ouest, ou de sa seule imitative ?  »

Il existe de nombreuses autres questions auxquelles répond ce livre, notamment sur le séjour prolongé et non prévu de Hess en Grande Bretagne. Il faut également revenir, ce que fait Servent avec talent, sur les épisodes de Nuremberg et de Spandau. Ainsi, Servent pose la question suivante, que nous trouvons particulièrement importante : « Comment est-il concevable, que, disculpé à la fin du procès de Nuremberg des accusations de crimes de guerre et de crime contre l’humanité, Hess ait écopé de la perpétuité tandis qu’un haut responsable comme Albert Speer, fidèle d’Hitler y compris dans les derniers jours du Reich, coupable de la mise en esclavage industriel de millions d’hommes et de femmes, ait été condamné à seulement vingt années de prison ?  »

Pour répondre à toutes les zones d’ombres entourant la vie de Hess, l’auteur explique qu’il s’est « appuyé notamment sur des archives inédites, une vaste bibliographie, une connaissance solide des arcanes du nazisme et de la Seconde Guerre Mondiale ainsi que du fonctionnement des services secrets. Sans oublier une bonne dose de bon sens, denrées plutôt rares dans le kitch des ouvrages consacrés à ce pilier du Troisième Reich. »

Servent étudie tous les aspects de la vie de Hess, notamment sa relation très particulière à Hitler. Nous relevons ce passage fort révélateur : « D’emblée, Rudolf Hess a été palpé, soupesé et jugé apte à rejoindre le premier cercle des convertis. Imbibé des thèses fantasmagoriques de la société de Thulé, marqué par son enfance égyptienne, il a vu dans Hitler un nouveau Moïse : un personnage quasi surnaturel levant les mains avec autorité pour séparer en deux vagues immenses la mer Rouge menaçante (celle des bolchéviques) afin de faire passer son peuple aryen à pied sec ; un peu comme en route vers la Terre promise, celle d’un Reich de Mille ans étendu à l’Est, débarrassé de toute impureté. D’un geste d’Hitler, les flots se refermeront ensuite sur ceux – les Juifs – qui les poursuivaient depuis la nuit des temps. Le nazisme, par bien des aspects, est une Bible inversée…  » Il faut bien convenir que la mystique nazie, simpliste pour certains, passa pour puissante aux yeux de nombreux européens.

Nous l’avons bien compris, Hess est très proche de son chef. Pourtant, une fois arrivé au sommet de l’Etat, les incompréhensions et les jalousies naissent dans l’esprit de Hess. Même s’il occupe une fonction privilégiée au sein du gouvernement national-socialiste, au point que nombreux sont les observateurs et les acteurs de l’époque à le désigner comme le dauphin d’Hitler, il perd petit à petit de son influence. Effectivement, à l’approche de la guerre, Hess se voit marginaliser au profit de Hermann Göring, Joseph Goebbels et Heinrich Himmler – considérés comme « les stratèges d’Hitler ».

Il semble loin le temps où Hess était pour Hitler « le confident, un homme-lige, et une sorte de garde du corps à l’occasion  ». Dans les plus dures épreuves, Hess paraît ne jamais regretter de « s’être mis au service d’un caporal au physique incertain, au comportement étrange et au curriculum vitae mince ». Hess estime « que la pureté révolutionnaire ne se jauge pas à l’épaisseur des parchemins dans un pays où le titre de docteur de l’université est pourtant révéré  ». Il considère que « la modestie des origines de Hitler est un signe du destin ». Il remarque « les talents de celui-ci quand il prêche, cela prouve bien qu’il est prédestiné, comme dans les contes et légendes germaniques  ».

Alors que l’Allemagne affronte ses ennemis et s’apprête à lancer l’opération Barbarossa le 22 juin 1941 contre l’URSS, Hess s’envole le 10 mai à bord d’un Messerschmitt sans armement, qu’il pilote jusqu’au nord du Royaume-Uni. Pendant des semaines, il a pu s’entraîner à l’abri des regards. Personne n’a osé lui demander pour quelles raisons il agissait ainsi, car personne n’aurait soupçonné «  la conscience du parti  » de fomenter une action sans l’accord du Führer. Pour justifier sa future absence, il ment à sa femme en disant qu’il reviendra bientôt. Avant de monter dans l’avion, il remet une enveloppe au capitaine Pintsch en lui donnant l’ordre de la remettre à Hitler quatre heures après son départ, s’il ne revenait pas. La montre de Pintsch indique 18h10 quand Hess s’envole «  pour une détention de quarante-six années ». Hess file vers l’Europe puis finit par subir des tirs de DCA et saute en parachute dans l’Ayrshire en Ecosse, près du village d’Eaglesham au sud de Glasgow. Il se casse la cheville en atteignant le sol et les services de sécurité britanniques l’arrêtent immédiatement.

A partir de ce moment-là, la panique sévit aussi bien à Londres qu’à Berlin. Des milliers de questions viennent à l’esprit de Churchill et Hitler. Servent décrit très bien les différentes manœuvres politiques et diplomatiques qui agitent les différentes chancelleries. Hess était-il devenu fou ? A-t-il obéi à un ordre de son chef ? Quelles étaient les chances qu’il réussisse sa mission diplomatique ? Etait-ce une tentative de déstabilisation ? L’auteur répond avec brio à toutes ces questions essentielles, sans jamais s’écarter du chemin de l’histoire, c’est à dire en se basant constamment sur des sources : journaux intimes, rapports officiels, déclarations publiques des principales personnes citées, archives allemandes et britanniques inédites, etc. Bien évidemment, l’auteur présente avec pédagogie le contexte diplomatique et les raisons qui poussent Hess à entreprendre cette virée périlleuse.

Nous suivons Hess en détention de la Tour de Londres à Nuremberg, de Nuremberg à Spandau. Alors que le verdict de Nuremberg retentit, Hess déclare qu’il est innocent de tous les crimes dont ces accusateurs le parent. Il se dit même « fier d’avoir servi son maître, Adolf Hitler, et le peuple allemand ». Finalement, Hess est reconnu coupable de « complot et de crimes contre la paix ». Il a eu beau rappeler son action de 1941, quand il avait travaillé au péril de sa vie à la paix entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne, mais sa déclaration ne pesa pas lourd dans la balance. Après des années de captivité, Servent rappelle que les alliés occidentaux voulaient bien le libérer pour des raisons humanitaires, étant donné son grand âge, mais les Soviétiques s’y opposèrent… Les passages décrivant sa détention avec ses anciens camarades nationaux-socialistes montrent à la fois toute la complexité des rapports qui existaient entre eux et la déchéance humaine.

Officiellement, Hess se suicide le 17 août 1987 alors qu’il était sous garde américaine : « Le vieil homme de quatre-vingt-treize ans s’est pendu grâce à une rallonge électrique de deux mètres soixante-quinze de long. » Sa famille considère que les circonstances de sa mort sont très étranges : « Les traces relevées sur le cou ne sont pas celles ordinairement constatées après une pendaison classique… » Elle remet en cause le suicide, arguant qu’un homme de cet âge – avec ces conditions de vie – ne pouvait mettre fin à ses jours tout seul. Les autorités maintiennent leur version en expliquant que Hess avait déjà échoué dans plusieurs de ses tentatives…

Ce livre remarquable et servi par une plume alerte, lève à ce jour le voile sur les derniers mystères de Rudolf Hess. Cette enquête biographique ravira les passionnés d’histoire car elle est captivante. Les nombreux sources bibliographiques et les documents annexes permettent de creuser le sujet sur «  La dernière énigme du IIIe Reich… »

Le dernier pasteur à avoir accompagné le prisonnier numéro 7 – numéro de cellule qu’occupa Hess – est le Français Michel Roehrig. Il livre un témoignage fort intéressant : « Franchement, il ne m’a paru à aucun moment antisémite, loin de là ! Il est clair qu’il avait connu une évolution. » Roehrig était convaincu que Hess « a reconnu Jésus-Christ comme son Sauveur », d’où le « travail intérieur  » qu’il avait perçu. Toutefois, comme conclut Servent, « ce personnage torturé est resté jusqu’à son dernier souffle fidèle au seul véritable amour de sa vie : Adolf Hitler. En ce sens, s’il ne fut pas précisément le dernier des nazis, il fut bien le dernier des hitlériens. »

Franck ABED

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