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Robert Aubertie, alias "Mac Arthur", Censeur de 1949 à 1956

, par  FERNON Jean-Paul , popularité : 5%
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Je le revois encore arpentant les galeries du lycée de son pas régulier, les mains dans son dos, répondant à nos « Bonjour Monsieur ! » ou interpellant untel ou untel avec un air de grand-père bienveillant, émettant toujours cette sorte de sifflement de locomotive essoufflée qui fusait entre ses dents serrées, ffttt ... ffttt ! et venait ponctuer des propos ironiques ou véhéments.

Nous, les potaches, le soir à l’étude, n’avions personne pour nous guider, nous aider dans notre travail. En effet les répétiteurs (ou professeurs adjoints) n’avaient pas la flamme ou de compétence assez grande pour le faire. Aussi, lorsque nous séchions sur une version grecque ou latine, nous n’avions d’autre ressource que de nous adresser à Mr le Censeur.
Nous allions donc, les élèves de A, en petite délégation de deux ou trois, dont j’étais à chaque fois à cause, paraît-il, de la bonne mémoire auditive qui était la mienne alors, interroger Mac Arthur dans son bureau où nous étions sûrs de le trouver à cette heure. Par sa porte toujours ouverte, il nous avait vu arriver et nous invitait à pénétrer.

Ainsi, cette fois-là :

Monsieur le Censeur, nous ne trouvons pas ce mot sur le dictionnaire ... C’était, je m’en souviens encore comme si c’était hier, une version tirée d’Hérodote relatant un exploit du Sage Solon.
Voyons ça, dit-il en hochant la tête avec un sourire entendu, complice, dirais-je même. Prenant le livre qu’on lui tendait, ayant examiné le fameux mot introuvable, il se mit à traduire Hérodote à haute voix, aperto libro, avec une facilité qui nous déconcertait mais nous faisait jubiler intérieurement. Parfois il tirait le dictionnaire de son bureau. Il avait toujours à portée de la main le Gaffiot et le Bailly. Il vérifiait un sens ou deux, pas plus et nous expliquait la difficulté que nous avions rencontrée. J’avais noté mentalement la quasi-totalité de la traduction. C’était assez facile car j’avais déjà passablement peiné sur le texte dans l’heure précédente.
La semaine suivante, lorsque M. Monniot nous donna compte-rendu de notre version, il ne manqua pas, ironique comme toujours quand nous avions recours au censeur, d’ajouter des commentaires discriminatoires à l’égard des potaches : « Naturellement, Monsieur le Censeur est passé par là ! » Comme de fait nous avions tous une note satisfaisante. Cependant quelques externes se trouvaient mieux notés que nous. Il faut croire que ces cadors étaient meilleurs que Monsieur Aubertie.


Mais nous nous adressions à Mac Arthur pour d’autres raisons hautement plus importantes pour nous : les sorties. Ces sorties exceptionnelles en semaine sur le temps de l’étude du soir. Je ne me rappelle pas qu’il y ait eu un seul potache qui n’ait été à l’affût de la moindre occasion de s’échapper du lycée en toute légalité, c’est-à-dire avec la bénédiction du censeur, qui pour aller s’enfumer au « Caveau », qui pour aller au cinéma, qui, plus prosaïquement, pour « faire la rue d’Arzew » Donc, chaque fois qu’on le pouvait on épluchait la page des spectacles de l’Echo d’Oran aimablement prêté par un agent de service de l’établissement. Tout était bon pour satisfaire notre curiosité intellectuelle et parfaire notre culture personnelle : conférence-projection, pièce de théâtre, concert de musique classique ou de jazz. Vous souvenez-vous du CRAD et de ces fort opportunes JMF ?

Celui d’entre nous qui avait le plus de poids auprès de l’administration pour sa réputation de sérieux et dont je ne citerai pas le nom, (il se reconnaîtra) allait présenter le spectacle choisi à Mac Arthur qui donnait l’autorisation de sortie après communication de la liste de tous ces amateurs de théâtre, de musique ou d’exotisme. Il fallait être rentré impérativement avant 20 heures. Là se situait le moment le plus délicat. Il convenait mieux en effet de ne pas rencontrer Mac Arthur à l’approche de son bureau afin de n’avoir pas à lui faire l’analyse de Bérénice, de l’Ecole des Femmes ou un résumé succinct des pérégrinations d’un quelconque explorateur à travers la Papouasie. Si c’était le cas, et cela arrivait parfois car Mac Arthur nous attendait avec quelque inquiétude, celle d’un père responsable, nous le comprenons maintenant, alors l’un d’entre nous était assez habile pour improviser.

Quel homme exceptionnel que notre censeur ! Il n’était pas dupe un seul instant de nos subterfuges, de notre candide hypocrisie. Il jouait le jeu. Cette attitude participait de ses conceptions pédagogiques avancées pour l’époque et que l’on a pu voir émerger en France métropolitaine seulement après le raz de marée contestataire de Mai 1968. D’ailleurs, en 1963 j’avais été sidéré d’apprendre que dans les lycées et écoles normales de Rouen le régime disciplinaire fleurait encore le Moyen-Age. Les internes n’y jouissaient pas du centième des libertés dont nous avions bénéficié, nous, à Lamoricière sous le provisorat de M. Massiéra. Mac Arthur fut un pionnier écouté quoique vivement contesté par une frange de professeurs peu concernés par les questions de pédagogie ...

J’en veux pour preuve l’autodiscipline totale qui régnait à l’internat au moment des révisions à l’approche du Bac : éclatement des études, installation des « bûcheurs » par groupes de quatre ou cinq selon les affinités dans les salles de classe du premier étage, ces fameuses « turnes » comme nous disions et dont nous faisions nos quartiers d’été en quelque sorte, sans surveillance aucune.

Cette liberté que Mac Arthur nous confiait en toute sérénité et dont nul n’a abusé, même si les révisions n’étaient pas toujours soutenues et efficaces comme elles étaient supposées l’être, nous ne l’avons jamais galvaudée.

L’ apprentissage sans heurt de la liberté et de la responsabilité sans lequel il n’est pas de passage possible de l’adolescence à l’âge adulte, nous le devons à Mac Arthur. Que Monsieur Aubertie en soit remercié

Yves MATHIAS

N.D.L.R : Pourquoi ce surnom de "Mac Arthur" ? C’est parce qu’il semblait vouer une grande admiration au général américain au point d’avoir dans son bureau un portrait de lui.
L’administration de l’Education Nationale ayant décidé de muter le censeur Aubertie, l’ensemble des Lycéens, potaches comme externes, déclencha, le 7 février 1957, une grève générale de protestation, rapportée en détail par "l’Echo d’Oran"(documents Lycée Lamoricière ci-dessous), et dont tous les Lycéens qui la vécurent ont gardé un souvenir impérissable

Voir en ligne : http://alysgo-apollo.org/lycee-lamo...