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Politique restrictive de la BCE : la justification fragile

, par  Philippe Aurain , popularité : 3%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Madame Lagarde, s’exprimant au nom de la BCE, a indiqué , en évoquant l’hypothèse d’un ralentissement économique : « Nous ne croyons pas que cette récession sera suffisante pour dompter l’inflation ». Fabio Panetta ajoute « Lors du calibrage » des décisions, « nous devons faire très attention à ne pas amplifier le risque d’une récession prolongée ou de provoquer une dislocation du marché ».

La BCE considère donc, d’une part, qu’un durcissement monétaire est nécessaire pour réduire l’inflation au-delà de l’effet du ralentissement de l’inflation induit par le signal-prix mais que, d’autre part, ce durcissement fait porter des risques économiques et financiers majeurs et doit donc être « calibré ».

Jusqu’où devrait aller la BCE ?

L’arbitrage étant posé, jusqu’où devrait aller la BCE dans son biais restrictif ? Partons de la définition d’une politique monétaire restrictive.

Pour résumer, la banque centrale dispose de deux outils principaux, les taux directeurs et sa capacité de créer de la liquidité via la variation de taille de son bilan. Concernant le niveau des taux, le « juge de paix » d’une politique restrictive est le seuil de « taux neutre » qui est ce niveau de taux permettant une croissance au potentiel et non inflationniste. En Europe, on peut l’estimer proche de 1,75 % en nominal (cf. cette étude de La Banque Postale du 7 novembre : « Tout l’intérêt du taux neutre à l’heure du changement de cap monétaire »).

Concernant le bilan, il y a débat sur le caractère restrictif : dépend-il du flux (retrait de monnaie par réduction du bilan) ou du stock final (réduction de la quantité de monnaie, c’est-à-dire de la taille du bilan en deçà d’un niveau dépendant de l’activité économique) ? Pour simplifier retenons que, a minima, une politique monétaire restrictive ne doit pas être quantitativement expansionniste (pas d’accroissement du bilan). Sous ces critères, nous serions donc déjà entrés dans une période restrictive depuis la fixation à 2 % du taux de refinancement. Par définition, cela signifie que la politique monétaire ajoute un choc de taux sur un choc de prix sur l’économie.

Pourquoi la banque centrale choisit-elle de peser sur l’activité alors que l’économie ralentit déjà ? Parce qu’elle considère que l’inflation, bien que reconnaissant son origine non domestique (choc d’offre sur les matières premières et de demande sur les biens, essentiellement aux État-Unis sur ce dernier point), pourrait diffuser dans l’inflation « locale » et sous-jacente et « s’autoentretenir » via la fameuse boucle prix-salaire.

Elle veut de plus éviter le « désancrage » des anticipations.

Elle craint également une corrélation « mondiale » de l’inflation.

Or, qu’observe-t-on sur ces différents thèmes ? L’inflation sous-jacente augmente, mais la part due aux salaires reste limitée (d’après nos calculs, de l’ordre de 57 %). Les études internes de la BCE confirment le faible risque de boucle prix-salaire (ECB Economic Bulletin, Issue 5/2022 ).

L’inflation est aujourd’hui ancrée à 2,4 % (SPF à long terme). Contrairement aux Etats-Unis, l’inflation domestique ne vient pas d’un excès de demande pour les biens (qui est inférieure à son niveau 2019 sur la moyenne des 3 pays France, Allemagne, Italie et 7 % sous le niveau 2019 pour les biens durables). Concernant la corrélation mondiale de l’inflation, elle est effectivement patente mais, comme elle baisse aux Etats-Unis, le facteur pourrait plutôt rassurer.

Par ailleurs, en France par exemple, les marges (EBE/PIB) des entreprises sont en forte baisse si l’on exclut les secteurs Énergie et Transport, à un point très proche de celui le plus bas de l’histoire post choc pétrolier de 1980. Cela signifie, d’une part, qu’elles ne passent pas les prix aux consommateurs, et d’autre part qu’elles sont proches du point de rupture économique.

Enfin, le ralentissement économique est en cours, les contraintes d’approvisionnement se réduisent et des premiers effets sur la baisse des prix à la production sont visibles.

En conclusion, le contexte d’inflation justifie le retour à une politique monétaire neutre, un biais accommodant ne faisant qu’amplifier la hausse de prix. En revanche, le passage en mode restrictif fait porter un risque considérable sur l’économie sans être aujourd’hui justifié par les fondamentaux. Il paraîtrait donc raisonnable que la BCE décide d’une « pause » quitte à maintenir une vigilance élevée pour renforcer le resserrement si nécessaire en 2023.

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2022/1...