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Parrainages : et si l’on s’en passait ?

, par  Nathalie MP Meyer , popularité : 6%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Indépendamment des idées qu’ils défendent et des conditions évidentes d’âge et de droits civiques, les candidats à l’élection présidentielle française sont soumis à trois strates de réglementations pour mener à bien leur candidature : obtenir 500 parrainages auprès d’environ 42 000 élus (maires essentiellement) pour pouvoir se présenter, puis respecter les règles de financement de leur campagne et enfin obtenir un score final qui leur permettra d’accéder à un remboursement public plus ou moins important des frais engagés.

Interrogé jeudi dernier sur les résultats de sa recherche de parrains, Éric Zemmour a indiqué disposer actuellement de 300 promesses d’élus, puis il a mis en cause l’obligation de rendre public le nom des parrains, « perversion de la loi originelle » orchestrée par François Hollande en 2016 selon lui, y voyant une façon malsaine d’exposer les signataires à des pressions ou des rétorsions politiques – de la part de juges de gauche par exemple (vidéo, 03′ 14″) :

En réalité, la fin de l’anonymat des parrains ne date pas exactement de l’époque Hollande avec la loi du 25 avril 2016 , comme Zemmour le prétend. On n’est certes pas surpris de constater que le candidat de Reconquête ! profite de toutes les occasions pour décocher ses flèches contre la gauche et les juges, quitte à prendre quelques libertés avec l’histoire.

Mais le fait est que si la loi de 2016 élargit la divulgation de l’identité des parrains à l’intégralité des signatures recueillies par les candidats, le passage de l’anonymat à la publicité date de la loi organique du 18 juin 1976 adoptée à l’époque de Valéry Giscard d’Estaing. Elle prévoyait que le Conseil constitutionnel devait publier les noms des 500 parrains nécessaires en procédant par tirage au sort parmi l’ensemble des signatures obtenues par un candidat.

Autrement dit, entre 1976 et 2016, un élu ne pouvait exclure de figurer sur la liste publique des parrains de tel ou tel candidat. Il en résultait déjà des réticences importantes, comme le rapportait par exemple le quotidien d’information des élus locaux Maire Info en 2007. Des réticences essentiellement dues au fait qu’apporter sa signature au candidat du Front national Jean-Marie Le Pen, même sans le soutenir, exposait à des procès d’intention sans fin sur une possible collusion avec l’extrême droite. Une expérience vécue en 2002 que peu d’élus avaient envie de revivre en 2007.

C’est ainsi qu’en 2012, alors qu’elle se présentait pour la première fois à l’élection présidentielle, on a pu entendre Marine Le Pen dénoncer le scandale du non-anonymat des parrainages, tandis que Nicolas Sarkozy estimait pour sa part que « l’anonymat n’a pas sa place » dans les parrainages.

Il n’empêche que le système tel qu’il se présente actuellement pose problème. Mis au point au départ pour écarter les candidatures farfelues et limiter le nombre de candidats (qui est monté à 12 en 1974 et2007 et 16 en 2002 ), il tend à être instrumentalisé par les candidats pour servir leur agenda politique personnel plutôt que pour garantir qu’un candidat motivé et non-farfelu qui a effectivement quelque chose de solide à proposer aux Français pourra le faire.

Marine Le Pen et Éric Zemmour ne sont pas les seuls à se plaindre de leurs difficultés à rassembler les signatures nécessaires. C’est aussi une spécialité du leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon, qui, lors de la campagne de 2017, dénonçait déjà « les appareils politiques qui verrouillent [les parrainages] par la peur et les intimidations ». Dans son viseur, le Parti socialiste, riche en élus, si ce n’était en électeurs. Il en avait finalement obtenu 805 grâce à un accord avec le Parti communiste. Pour 2022, la candidature communiste solo de Fabien Roussel complique la tâche des Insoumis.

L’expérience de Jean-Luc Mélenchon montre cependant qu’il est de bon ton pour les candidats qui se veulent anti-système de se dire empêchés par le système (représenté par LREM, LR et PS) et qu’il est tout autant de bon ton pour les candidats des partis du « système » d’utiliser les parrainages en leur faveur, soit pour intimider un candidat qui pourrait leur faire de l’ombre, soit au contraire pour s’assurer la présence d’un autre candidat afin d’en affaiblir un troisième.

Tout le monde comprend par exemple qu’il est dans l’intérêt de la candidate des Républicains Valérie Pécresse qu’Éric Zemmour puisse se présenter, puisque c’est grâce à sa candidature que l’accès au second tour est passé de 22-23 % des voix lorsque Marine Le Pen était seule à l’extrême droite à 15-16 ou 17 % maintenant qu’il est dans la course. D’où quelques encouragements discrets du parti LR en direction de ses élus afin qu’ils parrainent le journaliste.

On voit donc que d’un côté, la publication des parrainages provoque des risques de pression politique tandis que d’un autre côté, le retour à l’anonymat pourrait encourager plus encore qu’aujourd’hui des accords d’arrière-cuisine bien éloignés des intérêts et des souhaits des électeurs.

Regardons maintenant le cas de Nathalie Arthaud qui a succédé en 2012 à Arlette Laguiller comme candidate présidentielle du parti trotskiste Lutte ouvrière.

Silencieuse la plupart du temps, on la voit réapparaître tous les 5 ans sur la ligne de départ pour l’Élysée. En 2017, elle a obtenu0,64 % des suffrages exprimés. Un chiffre attendu qui passe difficilement pour l’expression achevée d’une demande irrépressible de trotskisme dans le corps électoral français. Elle n’en a pas moins obtenu tous ses parrainages (637 au total) – probablement au nom de ce pluralisme démocratique de façade que la gauche défend bec et ongles quand il s’agit d’elle, tout en le déniant à tout ce qui s’apparente à la droite et l’extrême droite.

Pour faire campagne, Nathalie Arthaud a dépensé 956 000 euros. Comme son score final fut inférieur à 5 %, elle a reçu un remboursement public forfaitaire égal à 4,75 % du plafond des dépenses de campagne, soit 800 423 euros, le plafond ayant été fixé en 2017 à 16,9 millions d’euros pour le premier tour.

Autrement dit, Nathalie Arthaud n’intéresse pas les électeurs, elle ne compte d’ailleurs nullement être élue, mais elle a eu ses parrainages et elle a à peu près réussi à calibrer ses dépenses afin qu’elles soient presque entièrement remboursées par l’argent des contribuables. Idem pour Cheminade, Poutou et Lassalle. Elle est pas belle, la vie politique ?

À ce stade, rappel de la règle de remboursement des frais de campagne en vigueur : les candidats dont le score en suffrages exprimés dépasse 5 % au premier tour reçoivent un financement étatique forfaitaire équivalent à 47,5 % d’un plafond fixé à 16,9 millions d’euros pour un candidat présent uniquement au premier tour (soit environ 8 millions d’euros) et à 22,5 millions pour un candidat présent aux deux tours (soit environ 10,7 millions d’euros). Pour les autres candidats le remboursement sera de 4,75 % du plafond de premier tour (soit un montant de 0,8 million d’euros). Dans tous les cas, le remboursement ne peut excéder les dépenses effectives.

Voici donc ma suggestion : supprimons complètement les parrainages, mais modifions parallèlement les modalités des remboursements publics afin que les candidats et les partis qui les présentent soient poussés à mettre un peu plus de « skin in the game » , à risquer leur peau (financière), seule façon de tester une vraie motivation et d’augmenter la qualité du débat, notamment du côté des petits candidats. Car c’est un faux pluralisme que celui qui consiste à reconduire automatiquement une candidature aussi peu désirée et aussi peu risquée que celle de Lutte ouvrière.

Faisons jouer la possibilité de ne pas être remboursé pour stimuler des candidatures sérieuses et motivées plutôt que la cuisine politicienne des parrainages. Faisons en sorte que l’espérance de score final soit déterminante sur la décision de se lancer dans la course et sur les sommes engagées. Faisons en sorte qu’il revienne aux citoyens d’apporter directement leur soutien financier aux candidats de leur choix plutôt que de maintenir une offre politique par le seul jeu des subventions et des remboursements publics.

On devine que cette proposition sera assez mal reçue au pays où l’État met son point d’honneur à tout encadrer au millimètre. On m’objectera notamment que ce serait faire le jeu des candidats soutenus par les « puissances de l’argent » contre ceux qui manquent de moyens.

Il va sans dire que les modalités précises sont à étudier dans tous les détails au-delà de ce que je peux dire dans ce court article. On pourrait par exemple faire passer le seuil de 5 % des voix à 7,5 ou 8 % et/ou l’on pourrait envisager de baisser les taux de remboursement sans modifier les plafonds de dépenses et les règles de financement des campagnes et des partis.

Mais quoi qu’il en soit, l’idée de fond doit être de rapprocher au maximum le jeu électoral présidentiel d’une concurrence non-faussée entre les candidats et de faire en sorte que les partis politiques prennent leurs responsabilités financières et idéologiques plutôt que de toujours compter sur les fonds publics et une sorte de routine électorale pour exister, indépendamment de l’intérêt réel qu’ils suscitent chez les électeurs. L’association des Maires de France (AMF) appelée à la rescousse par Éric Zemmour – qui voudrait obtenir un retour à l’anonymat des parrainages sur la base d’un score minimum obtenu dans les sondages – s’est dite incompétente en la matière mais elle n’est pas hostile à l’idée de réfléchir à la question de la « présentation » des candidats dès le début du prochain quinquennat.

Mettons en effet ce sujet sur la table, non seulement « sans pression » comme le demande l’AMF, mais surtout sans tabou aucun.

Mise à jour : 11/01/2022

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Sur le web

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2022/0...