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Liberté d’expression : qui a peur du nouveau twitter ?

, par  Nathalie MP Meyer , popularité : 3%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Elon Musk rachète Twitter ! L’homme le plus riche du monde s’offre ce qu’il appelle lui-même « la place publique numérique [digital town square] où sont débattues les questions vitales pour l’avenir de l’humanité. » Il y a un petit côté « moi, riche et célèbre, maître du monde » dans la façon dont s’est nouée cette affaire en quelques jours pour 44 milliards de dollars. Mais là n’est pas le reproche essentiel adressé au patron de SpaceX et Tesla .

Tout autre milliardaire plus acquis aux idées de contrôle des « discours de haine » et des fake news sur internet aurait certainement été accueilli avec joie. Mais voilà, Elon Musk déboule sur le marché de l’information et des opinions avec le dessein spécifique d’y renforcer la liberté d’expression et soudain, rien ne va plus : pour de nombreux grands démocrates autoproclamés et autres gentils woke conscientisés, son projet reviendrait ni plus ni moins à menacer la liberté et la qualité des médias traditionnels et à soutenir Trump, le patriarcat et le suprémacisme blanc !

À propos de Trump, qu’ils se rassurent. Ce dernier a expliqué qu’il ne reviendrait pas sur Twitter mais resterait sur Truth Social, le réseau qu’il a lui-même créé. C’est du reste un élément important à prendre en compte : Twitter n’est ni la seule « place publique » au monde – j’aime penser qu’à sa façon, mon blog est aussi une petite place publique au sein de l’univers de la production et de l’échange d’idées – ni la plus importante , loin s’en faut.

De nouveau lieux peuvent apparaître, d’autres s’effondrer, car finalement, l’utilisateur (payant ou pas) des médias et des réseaux sociaux reste le roi : lui seul décide d’y participer ou pas, lui seul choisit le support qui lui convient le mieux, lui seul exerce ses préférences dans le choix de ses amis, ses publications personnelles, ses likes et ses partages. À Elon Musk de montrer que son nouveau Twitter sera digne de l’intérêt et de la confiance de ses utilisateurs actuels et futurs. La transparence qu’il compte instaurer à propos des algorithmes utilisés pour gérer l’ordre de présentation des publications joue clairement en sa faveur.

Elon Musk n’a pas l’intention de contourner la loi

Cependant, face à la levée de boucliers pratiquement hystérique qu’il a dû affronter depuis l’annonce du rachat, il a précisé qu’il ne comptait pas étendre la liberté d’expression en dehors des contours légaux existants, mais simplement s’interdire les censures non exigées par la loi :

By “free speech”, I simply mean that which matches the law.

I am against censorship that goes far beyond the law.

If people want less free speech, they will ask government to pass laws to that effect.

Therefore, going beyond the law is contrary to the will of the people.

— Elon Musk (@elonmusk) April 26, 2022

Mais quand on sait à quelle vitesse les États (de l’Union européenne, en l’occurrence) s’affairent pour resserrer les barrières sociales et fiscales autour d’internet, on peut vraiment se demander si l’intervention d’Elon Musk changera quoi que ce soit à l’obligation de pensée conforme qui s’installe de plus en plus bruyamment dans les textes de lois. Comme le rappelait notre secrétaire d’État au numérique Cédric O, attention, il va falloir respecter les dispositions du tout nouveau Digital Service Act. Pas question de laisser proliférer des publications qui pourraient perturber les gentils utilisateurs :

Il y a des choses intéressantes dans ce qu’@elonmusk veut impulser pour @Twitter , mais rappelons que le #DigitalServicesAct – et donc l’obligation de lutter contre la désinformation, la haine en ligne, etc. – s’appliquera quelle que soit l’idéologie de son propriétaire. #PFUE2022

— Cédric O (@cedric_o) April 25, 2022

J’ai déjà eu l’occasion de souligner dans d’autres articles combien il était difficile de définir la haine en ligne et de tracer une limite avec la liberté d’expression. Prenons l’exemple de la discrimination religieuse et du blasphème. Lorsque la jeune Mila tenait sur Instagram les propos ci-dessous :

Je déteste la religion […], le Coran, il n’y a que de la haine là-dedans, l’Islam, c’est de la merde, c’est ce que je pense […] Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir.

Ces propos lui ont valu harcèlement, menaces de mort et toute la bêtise idéologique de la garde des Sceaux d’alors. Était-elle dans la haine ou faisait-elle simplement usage de sa liberté d’expression ?

La question des fake news

Quant aux fake news , les gouvernements sont-ils si certains de ne jamais se tromper qu’ils seraient bons juges en la matière ? Rien ne vaut la contre-argumentation pour réfuter des affirmations qui nous semblent fausses. De plus, l’expérience a montré à maintes reprises que toutes les tentatives d’interdiction n’ont jamais réussi à mettre fin à une pratique ou une rumeur et tendent au contraire à lui donner un surcroît d’intérêt.

C’est exactement ce qu’a pu constater Facebook. Régulièrement accusés de servir de trop bons vecteurs à la propagation quasi instantanée de fake news aux quatre coins du globe, les réseaux sociaux ont été sommés de faire le ménage chez eux. En 2017, les dirigeants de Facebook considéraient plutôt qu’ils n’avaient pas à être « les arbitres de la vérité » , mais ils ont commencé tant bien que mal à mettre des contrôles en place et butent sur l’irrésistible charme de l’interdit ou du sulfureux désigné comme tel :

Indiquer avec un drapeau rouge qu’un contenu est faux ne suffit pas à changer l’opinion d’une personne, et peut même avoir l’effet inverse.

Mettre un drapeau rouge, ordonner des bannissements permanents – voilà ce que Musk ne veut plus faire. Après tout, les gens sont adultes. Doivent-ils être soumis à une sorte de contrôle parental toute leur vie ?

Eh bien, oui, d’après le philosophe et grand adepte des tweets comminatoires Raphaël Enthoven. Pour lui, c’est très simple, trop de liberté tue la liberté ! « Il y a quelque chose de liberticide dans une liberté totale » a-t-il affirmé sur Europe1, ajoutant qu’un Twitter sous la houlette d’Elon Musk constituait pour lui « une perspective liberticide et non pas libérale » (vidéo, 02′ 40″) :

Ah oui, parce que depuis quelque temps, Raphaël Enthoven se revendique libéral et fait partie de ces libéraux ayant appelé à voter pour Emmanuel Macron au second tour de la récente élection présidentielle. Donc, à l’en croire, nous serions plus libres dans le cadre d’une liberté d’expression encadrée ? Quel retournement acrobatique des concepts !

Rappelons d’entrée de jeu que la diffamation et les injures publiques telles que « sale arabe » ou « sale juif » décochées nommément à quelqu’un (exemples d’Enthoven dans la vidéo) peuvent donner lieu à des poursuites judiciaires.

Dans le débat sur la liberté d’expression qui nous occupe, il ne s’agit pas de cela, mais de savoir qui pourrait avoir le pouvoir supérieur de décider quelles opinions ont droit de cité et quelles autres ne l’ont pas. Inutile de vous dire qu’hormis un petit couplet de pure propagande politique sur le futur Digital Service Act, M. Enthoven ne répond pas à la question. Tout simplement parce qu’il n’y a pas de réponse satisfaisante, à part le recours à une liberté d’expression totale.

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Mais en réalité, les préoccupations des inquiets face au free speech revendiqué par Elon Musk ont moins de rapport avec je ne sais quel désir d’harmonie pure et parfaite sur des réseaux sociaux où tout ne serait que luxe, calme et vérité qu’avec la volonté nettement moins louable de vouloir voir leurs idées et elles seules s’imposer à l’opinion publique. Bref, le fameux deux poids deux mesures, marque indélébile (et débile) des militants de tout bord.

J’aimerais rappeler à Raphaël Enthoven qu’en janvier 2020, date anniversaire des attentats islamistes de 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, il estimait sur Twitter que :

Les gens qui disent « la liberté de la presse ? Oui, mais… attention au blasphème ! » ne sont pas des gens mesurés, mais des lâches qui donnent à leur trouille les contours flatteurs de la pondération. Et dorment tranquilles après avoir botté en touche.

J’adhère absolument à ces propos, j’adhère absolument à ce qu’il disait à la même époque en défense de Mila que j’ai évoquée plus haut. De ce fait, j’ai d’autant moins de scrupules à lui retourner le compliment.

Les gens qui disent : « La liberté d’expression ? Oui, mais… attention aux débordements, on ne peut pas tout dire ! » ne sont pas des gens mesurés, mais des lâches qui donnent à leur trouille les contours flatteurs de la pondération. Et dorment tranquilles après avoir botté en touche.

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Sur le web

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2022/0...