Avez-vous pris votre abonnement 2024 ? Non ! CLIQUEZ ICI !
Ou alors participez avec un DON


Découvrez des pages au hasard de l’Encyclo ou de Docu PN
A compter du 25 mai 2018, les instructions européennes sur la vie privée et le caractère personnel de vos données s’appliquent. En savoir +..

Le métier de diplomate se réduit-il à peau de chagrin ?

, popularité : 7%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Le métier de diplomate se réduit-il à peau de chagrin ?
François Nordmann

Un ancien ambassadeur suisse a récemment déploré que les diplomates ne sont plus pressentis pour négocier avec les gouvernements, mais sont cantonnés à des tâches superficielles. Qu’en est-il ? François Nordmann nuance ce point de vue et rappelle que la diplomatie reste un art et non une science

Au cours de la récente conférence des ambassadeurs, le chef de l’une des plus importantes missions suisses à l’étranger s’est plaint du fait que Berne ne savait pas utiliser ses ambassades. Il n’avait jamais été consulté spécifiquement sur les relations entre la Suisse et son pays de résidence, et n’avait presque jamais reçu d’instructions.

La semaine dernière, M. Paul Widmer, ancien ambassadeur de Suisse, qui enseigne à l’Université de Saint-Gall, publiait un essai dans la NZZ dans lequel il reprenait ce point de vue à sa façon. La diplomate contemporaine – sur laquelle il a écrit nombre d’ouvrages – a élargi son champ d’action au détriment de la profondeur. L’ambassadeur est de moins en moins sollicité pour ses vues sur son pays de résidence ou pour donner des informations à sa capitale. Les nouvelles technologies de communication, l’immédiateté des relations personnelles entre ministres et hauts responsables rendent superflu le recours au diplomate en poste. En revanche, on attend de lui qu’il conduise une véritable diplomatie publique – à coups de conférences, d’interventions dans les médias, de manifestations culturelles ou sociales destinées à populariser son pays d’envoi. Sa fonction première, la négociation de traités, est reprise par l’administration centrale, qui lui dicte ses positions dans les moindres détails, quand elle ne dépêche pas un haut fonctionnaire pour mener les pourparlers à sa place.

A telle enseigne, poursuit Paul Widmer, que l’on est surpris de voir de brillants candidats, souvent forts d’une expérience professionnelle de plusieurs années, chercher à entrer dans la carrière diplomatique et se soumettre longtemps après la fin de leurs études à une nouvelle série d’examens, alors que la diplomatie a de moins en moins à leur offrir. Ils iront gonfler les services pléthoriques du ministère, qui s’écrivent des notes à longueur de journées. Depuis trente ans, un seul des six secrétaires d’Etat qui se sont succédé à la tête du service diplomatique a été chef de mission avant de revêtir sa haute charge, alors qu’auparavant il fallait avoir été ambassadeur dans une grande capitale pour le devenir. Aujourd’hui, la coordination de la politique menée à l’extérieur par plusieurs départements est passée au second plan, alors que les ambassades sont pourtant bien placées pour accomplir cette tâche. Et d’entrevoir le moment où les formations spécialisées, l’exigence d’un concours d’admission et les fonctions du diplomate disparaîtront, les relations avec l’étranger étant gérées désormais par des fonctionnaires de l’administration générale.

C’est une remarque bien curieuse, car en fait, si le rôle de l’ambassadeur a effectivement beaucoup évolué, il n’est nulle part question d’y renoncer. Au contraire, l’extrême fluidité des relations internationales et l’importance croissante de la diplomatie multilatérale rendent plus nécessaires que jamais l’analyse informée et l’approche stratégique qui s’acquièrent au fil du temps et au prix d’un entraînement spécialisé.

L’ambassadeur ne peut se mesurer aux agences de presse ou aux médias pour transmettre une information brute qui est instantanément disponible dans le monde entier. Mais il peut apporter un éclairage particulier, en la mettant dans son contexte et surtout en livrant l’interprétation qu’en fait le gouvernement du pays où il est accrédité. Certes, les ministres se rencontrent, se parlent et se font des confidences. Mais comment savoir le poids réel de tel ou tel interlocuteur dans son propre gouvernement ? En quoi sa position est-elle dictée par des difficultés politiques qu’il éprouverait au parlement ? Et de quoi faut-il lui parler en priorité ? Comment assurer le suivi de ces discussions ?

C’est là qu’intervient le savoir-faire du diplomate, qui consulte, s’informe et exerce son jugement. La valeur ajoutée de ce jugement tient au fait que le diplomate connaît à fond la situation politique, sociale, économique et culturelle et les mécanismes de pouvoir dans son pays de résidence et qu’il est en mesure de mettre ces éléments au service de son pays d’origine. Cette connaissance ne s’improvise pas « en regardant le téléjournal, en échangeant des e-mails avec des partenaires dans des ministères éloignés ni même en multipliant les déplacements rapides », comme l’indique Louise Fréchette, ancienne vice-secrétaire générale de l’ONU : « Comprendre le fonctionnement d’un Etat et savoir mettre à profit cette compréhension dans l’intérêt de son pays résulte d’un engagement professionnel pour la discipline des relations internationales. Cet esprit d’ouverture s’accompagne de la volonté d’aller passer plusieurs années de sa vie active loin de chez soi, à découvrir les us et coutumes de sociétés étrangères. Les diplomates ne sauraient rivaliser avec les experts dans les domaines techniques, mais ils sont sans pareil pour définir une stratégie et identifier les tactiques à suivre dans la poursuite des objectifs de leur pays. La diplomatie est un art, non une science. »

Les Etats qui la négligent le font à leur péril.

Voir en ligne : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/7cb...