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Le bitcoin n’est pas une pyramide de Ponzi

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Publié le 19 décembre 2021

Par Gérard Dréan.

Sur la chaîne américaine CNBC, Nassim Nicholas Taleb, le célébrissime auteur du livre Black Swan, s’en est récemment pris au bitcoin, et à travers lui aux cryptomonnaies en général, en déclarant :

Ça a toutes les caractéristiques d’un schéma de Ponzi. Tout le monde sait que c’est un Ponzi.

Les critiques de Taleb

Eh bien non. Malgré tout le respect que j’ai pour Taleb, moi je ne le sais pas. D’ailleurs je me méfie toujours quand quelqu’un dit « tout le monde sait que… » En général, c’est qu’on n’a pas de véritables arguments et qu’on veut intimider le contradicteur éventuel en le faisant passer d’avance pour un ignorant.

Au sens propre, le système de Ponzi consiste à obtenir de l’argent en échange de promesses mirifiques, et de tenir les promesses qu’on a faites aux uns avec l’argent soutiré aux autres, en comptant que le système fera boule de neige et que des nouveaux participants indéfiniment plus nombreux apporteront des rentrées d’argent indéfiniment croissantes qui permettront de tenir les promesses faites aux précédents.

Par exemple, je peux vous promettre que si vous me confiez 100 euros, je vous donnerai chaque année 20 euros. Intéressant, non ? Tant que des nouveaux gogos accepteront ce marché, je pourrai payer les 20 euros aux précédents avec les 100 euros que me donne chacun des nouveaux. Et en constatant que je tiens mes promesses, tous vont me faire de la publicité et m’aider à trouver de nouveaux gogos. Mais il vient forcément un moment où ça s’arrêtera et où les derniers entrants s’apercevront qu’ils ont été escroqués au profit des premiers. Et alors j’irai en prison comme Madoff.

Ce n’est pas sur ce mécanisme que repose le système Bitcoin, qui n’est au fond qu’un système d’enregistrement et de vérification des transactions. Dans Bitcoin et les autres cryptomonnaies, personne ne demande d’argent à personne. Certes, on pourrait utiliser le bitcoin de la même façon que Charles Ponzi et Bernard Madoff utilisaient le dollar ou Adel Dridi le dinar tunisien. Mais non, désolé, Bitcoin n’est pas un Ponzi. On a le droit de penser que c’est une escroquerie, mais une escroquerie d’un autre genre.

Après tout peu importe. Ce qui compte, ce n’est pas le nom qu’on lui donne, c’est l’usage qu’on en fait. Dans la même interview, Taleb précise les reproches qu’il fait au bitcoin, et qui le poussent à qualifier les cryptomonnaies de gadgets :

C’est trop volatil pour être une monnaie efficace et ce n’est pas une couverture sûre contre l’inflation. Quelque chose qui bouge de 5 % par jour, de 20 % en un mois — à la hausse ou à la baisse — ne peut pas être une monnaie. C’est autre chose.

Reprenons ces deux critiques

Trop volatil pour être une monnaie efficace ? Cette critique concerne la fonction première de la monnaie, celle de moyen d’échange. Oui, Bitcoin n’est pas un moyen d’échange très efficace, mais c’est pour d’autres raisons que sa volatilité, qui est réelle.

Il existe actuellement plus de 9500 cryptomonnaies, dont un très grand nombre ont pour vocation le paiement « généraliste », c’est-à-dire de n’importe quoi à n’importe qui n’importe où, mais qui peuvent aussi être utilisées à volonté comme réserve de valeur.

Grâce aux possibilités de change immédiat offertes par quelque 300 systèmes tels que Coinbase, Binance ou Kraken, il est possible de dissocier les fonctions de moyen d’échange et de réserve de valeur, et d’utiliser pour ces fonctions des monnaies différentes, par exemple en tenant un compte courant et un compte épargne comme le font de nombreux usagers, mais dans deux monnaies différentes, et en ne laissant sur le compte courant que le minimum nécessaire aux dépenses courantes.

Ou même en acquérant une cryptomonnaie particulière juste avant de l’utiliser dans un achat, que le vendeur pourra changer immédiatement après l’avoir reçue. Avec ce système, la volatilité de la monnaie utilisée pour les paiements importe peu, car elle ne portera que sur de petites sommes et de courtes durées.

Dans le choix d’un système de paiement, ce qui compte, ce sont les caractéristiques du système : couverture géographique, catalogue de biens, facilité d’utilisation, coûts de transaction, délai de confirmation, fiabilité, confidentialité, etc. Pas celles de l’unité de compte.

Bitcoin est en effet un mauvais choix comme système de paiement, car il est lent à cause de son protocole de validation des transactions : au moins 40 minutes pour être raisonnablement certain qu’une transaction est enregistrée de façon fiable. Il est aussi très cher parce qu’il fonctionne à saturation : autour de 20 euros en moyenne par transaction avec une tendance marquée à la hausse, ce qui ne convient qu’aux transactions de plusieurs milliers d’euros.

Mais d’autres cryptomonnaies ne présentent pas ces inconvénients. Par exemple, la commission de transaction moyenne est de 5 cents pour Litecoin, de l’ordre de un cent pour Bitcoin Cash et encore moins pour Bitcoin Gold et Bitcoin SV. Quant aux délais de confirmation il existe des systèmes où ils sont de l’ordre de la minute.

La critique que fait Taleb de bitcoin en tant que moyen de paiement signifie donc simplement qu’il vaut mieux choisir pour cette fonction d’autres cryptomonnaies que bitcoin. Mais la volatilité n’est pas vraiment un problème.

Il n’en va pas de même pour le choix d’une réserve de valeur, qui par définition engage pour la durée (encore qu’avec le change, on peut revenir sur ses choix antérieurs).

Le bitcoin n’offre pas une protection fiable contre l’inflation […] Fondamentalement, il n’y a pas de connexion entre l’inflation et le bitcoin.

J’ai du mal à imaginer quelle connexion plus ou moins automatique il pourrait y avoir, qui existerait avec d’autres actifs mais pas avec le bitcoin. L’inflation est définie soit comme une augmentation générale des prix, soit comme une création excessive de monnaie, la tradition économique dite autrichienne professant que le second phénomène entraîne le premier (entre autres ravages).

Une création excessive de bitcoins entraînerait une augmentation des prix exprimés en bitcoins, mais quel serait son impact sur les prix exprimés dans d’autres monnaies ? La théorie économique est muette sur ce point, les économistes ayant évacué l’hypothèse de monnaies concurrentes depuis le XVIe siècle. La théorie de la concurrence entre monnaies reste à faire.

La seule connexion imaginable passe par le comportement des individus, comme toujours en économie. Devant le risque d’inflation, les détenteurs de monnaie cherchent à s’en préserver en achetant quelque chose de durable et dont ils pensent que le prix va augmenter plus vite que l’inflation, ici du bitcoin. Le choix de cette chose plutôt qu’une autre relève du jugement personnel plus ou moins raisonné.

Comme le dit Taleb, ils peuvent très bien se tromper, d’autant plus qu’il s’agit d’une prophétie autoréalisatrice : pour un bien considéré comme une valeur refuge, la demande augmente quand on croit que son prix va monter ; et quand la demande augmente, le prix monte, si bien que ce qui fait monter le prix d’un bien, c’est que les gens pensent qu’il va monter ! Cela dit, il ne faut pas oublier qu’en face de chaque acheteur, il y a nécessairement un vendeur qui a par définition l’opinion inverse.

Il peut y avoir hyperinflation et le bitcoin peut tomber à zéro.

C’est en effet possible dans le cas extrême où les utilisateurs trouveraient une meilleure protection contre l’inflation et abandonneraient totalement le bitcoin, ce qui manifestement n’est pas le cas en ce moment où chaque jour entre 1 et 1,2 million d’adresses sont actives sur ce marché, où le cours se maintient à des niveaux historiques entre 50 000 et 60 000 dollars, et où de grands institutionnels comme Goldman Sachs s’y convertissent.

Aujourd’hui vous avez le bitcoin. Vous pourrez avoir autre chose demain.

Ceci est vrai et c’est justement une des forces des cryptomonnaies d’offrir de nombreuses alternatives et de permettre à chacun d’agir selon sa propre opinion, éventuellement en suivant celle de NNT. Mais en matière monétaire, nous n’arrivons pas à nous débarrasser de « la croyance acceptée de façon universelle mais tacite qu’un pays doit être alimenté par son gouvernement avec sa propre monnaie distincte et exclusive » (Hayek).

En présence d’offres de monnaies multiples, nous raisonnons comme s’il fallait en choisir une et une seule que tout le monde utilisera pour tous les usages possibles, alors que les cryptomonnaies nous font entrer dans une ère où chacun pourra utiliser la monnaie de son choix dans chacune de ses transactions, comme instrument d’échange et/ou comme réserve de valeur, à ses risques et périls.

Je note enfin que Nassim Nicholas Taleb ne mentionne pas les monnaies régaliennes comme alternative préférable à Bitcoin.

Il est vrai que si elles sont extraordinairement efficaces en tant que moyens de paiement, elles sont loin d’offrir autant de garanties que le bitcoin et ses semblables en tant que réserve de valeur, en laissant le champ libre aux États et à leurs affidés d’en créer tout à loisir.

À la place, il recommande d’acheter des biens de production concrets, notamment de la terre :

Si vous voulez une couverture contre l’inflation, achetez de la terre, cultivez-y — je ne sais pas — des olives. Vous aurez de l’huile d’olive si le prix s’effondre.

Il dit qu’il a liquidé tous ses bitcoins. Je serais curieux de savoir en quoi il les a convertis. En oliveraies ?

Article publié initialement le 4 mai 2021.

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2021/1...