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L’institutionnalisation de l’islam : cet islamisme à bas bruit

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
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Par Malik Bezouh.

Poursuivi pour « offense aux préceptes de l’islam et aux rites musulmans », l’islamologue Saïd Djabelkhir, âgé de 53 ans, a été condamné le 22 avril 2021 à 3 ans de prison par un tribunal algérien.

Une sinistre affaire qui n’est pas sans rappeler celle de Slimane Bouhafs, cet activiste algérien converti au christianisme et qui a connu, en août 2016 les affres de l’incarcération dans une prison algérienne. Son crime : avoir porté « atteinte à la religion musulmane » en manquant de respect à la personne du prophète et aux textes sacrés.

Cette nouvelle sentence prononcée contre Saïd Djabelkhir étonne par sa sévérité. Pour certains commentateurs cette condamnation signe la dérive du pouvoir algérien qui pense à tort se renforcer en étouffant toute forme de dissidence tant politique que religieuse. À moins que cette peine injuste autant que disproportionnée est pour le pouvoir algérien, en période de ramadan, une façon de rassurer les courants ultra-conservateurs du pays ; sorte de gage de bonne volonté donné à la frange dévote du pays pour s’attirer ses bonnes grâces.

Au-delà des raisons réelles ou supposées ayant conduit à cette condamnation, il y a une réalité pénale algérienne que l’on ne peut nier. Elle est contenue dans l’article 144 du Code pénal qui prévoit une peine d’emprisonnement ainsi qu’une amende pour toute personne portant atteinte au prophète de l’islam et aux envoyés de Dieu ou qui attaque le dogme ou les préceptes de l’islam. Et c’est bien à l’aide de cet arsenal juridique que la justice algérienne a eu raison du prétendu offenseur Saïd Djabelhir dont le seul crime est d’avoir affirmé que « le jeûne du ramadan n’était pas une obligation ».

Mais est-ce ainsi que les autorités algériennes croient défaire le fondamentalisme théocratique et l’islamisme exalté dont les adeptes ont tant fait gémir le pays durant la calamiteuse décennie noire ? Est-ce en abondant dans leur sens que l’on pense contenir ou mieux défaire les sectateurs de ces mouvances ultra-réactionnaires ? Quelle folie ! On ne fait que les nourrir, les engraisser ! De plus, jamais, la bête n’est rassasiée. Il lui en faut toujours plus. Et plus on l’alimente, plus elle devient vorace.

En condamnant très lourdement le malheureux islamologue, sans même s’en rendre compte, les officiels algériens ont apporté leur écot à la désagrégation de l’islam en tant que spiritualité et ce de deux façons.

Premièrement en faisant le lit des tenants de l’intégrisme religieux qui se félicitent que les autorités, épousant leur querelle, fassent de l’offense religieuse un acte hautement répréhensible par la loi.

En second lieu, en infantilisant gravement l’islam, à l’instar des pays majoritairement musulmans qui ont fait de cette foi une religion d’État et ce pour son plus grand malheur.

Faut-il donc que ceux qui prétendent protéger cette religion aient si peu confiance en elle qu’il faille nécessairement faire appel à la puissance publique pour éteindre les feux pourtant salutaires de la controverse religieuse ? N’est-ce pas là, en effet, un terrible aveu de faiblesse ? À considérer même que l’islam soit un enfant, et il l’est, relativement aux autres grands monothéismes du fait de son irruption tardive sur la scène religieuse, est-ce lui rendre service que de le surprotéger ainsi ? En aucun cas !

Pis encore. On le fragilise au point d’en faire un insupportable enfant gâté, agité, susceptible et enclin à tous les caprices. L’un d’eux, de loin le plus problématique, étant la fermeture théologique, mère de toutes les intolérances contemporaines, de tous les fondamentalismes et, par suite, de toutes les radicalités.

Or, pour affronter le monde contemporain, qui produit agnosticisme, athéisme, offense religieuse et blasphème, la religion musulmane doit apprendre à voler de ses propres ailes. Aussi est-il urgent que les États musulmans entament toute affaire cessante un processus séparant le temporel du spirituel. Celui-ci jettera les bases d’une laïcité endogène et apaisée. Le catholicisme français l’a fait jadis. Certes, on l’a contraint et cela ne fut guère aisé.

On se souvient des propos du pape Pie XI condamnant, en 1925, en des termes acrimonieux, la séparation des Églises et de l’État : « La peste de notre époque, c’est le laïcisme » ! Et que dire des foudres de Louis Veuillot, catholique ultramontain du XIXe siècle, fulminant, dans son fameux journal L’univers, contre les apôtres du modernisme ?

Oui, la négation de Dieu, l’apostasie et l’irrévérence religieuse, filles de la modernité occidentale, inquiètent le monde musulman, en particulier sa frange conservatrice ; ces filles diaboliques suscitèrent les mêmes peurs dans les sociétés occidentales lorsqu’elles étaient toutes pétries de foi chrétienne, naguère. Pourtant, comme l’a très bien noté au XVIIe siècle l’illustre Pierre Bayle, humaniste protestant et père des Lumières, on ne peut tenir en bride la conscience qui a « le droit à l’errance ».

Par ailleurs, il convient d’insister sur le fait que la condamnation de l’islamologue Saïd Djabelkhir est d’autant plus injuste que ce dernier n’a fait que poursuivre une longue tradition, celle de la saine et constructive querelle théologique qui marqua en l’enrichissant le débat exégétique à l’époque des Omeyyades et des Abbassides.

Oui, l’islamologue Saïd Djabelkhir est victime d’une forme manifeste d’inquisition enfantée par un islam défiguré par des États musulmans qui, en l’institutionnalisant, l’ont empêché d’évoluer, de grandir, en un mot de devenir pleinement adulte, c’est-à-dire de s’armer pacifiquement et spirituellement en vue de gérer, avec sérénité et intelligence, son rapport à la remise en cause des dogmes établis, à l’abjuration, à l’athéisme, bref au monde tel qu’il est aujourd’hui, comme le fait, depuis plus d’un siècle, le catholicisme.

Car si l’on dénonce régulièrement la politisation de l’islam par les mouvements d’obédience islamiste, il convient aussi de s’alarmer contre son institutionnalisation, un processus qui contribue dangereusement à sa sclérose. À cette fin, rappelons qu’en Égypte, une mère de famille ayant perdu la foi en Dieu, s’est vue notifier par le Tribunal des affaires familiales une déchéance de ses droits parentaux.

En d’autres termes, la justice égyptienne lui a retiré la garde de ses enfants pour cause d’athéisme ! Un exemple, parmi une pléthore d’autres, montrant que l’étatisation de l’islam est un problème majeur en ce sens qu’elle est une des causes du non-renouvellement de la théologie musulmane claquemurée dans une citadelle gardée et surveillée jalousement, voire maladivement, tantôt par des cerbères assermentés – entendez l’État – tantôt par des islamistes dont certains sont enragés et assoiffés de sang.

Il s’agit donc de libérer la religion musulmane des entraves étatiques qui en ont fait un culte officiel, le condamnant ainsi à errer sans fin dans le printemps de sa vie. Une pathologie de la modernité que l’Orient et par ricochet l’Occident paient au prix fort comme nous le rappelle inlassablement l’actualité. Oui la politisation de la religion pose problème. Son institutionnalisation aussi. La condamnation du chercheur algérien Saïd Djabelkhir le démontre tristement.

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